02 juin 1994: les troupes du FPR Inkotanyi ont sauvé des Tutsi dans le camp de concentration de Kabgayi

By Dr BIZIMANA Jean Damascène*

Dès le commencement du Génocide au début du mois d’avril 1994, les Tutsi, affluant depuis le 12 avril 1994 de différentes localités du pays, ont commencé à se réfugier à Kabgayi.  Au 20 avril 1994, de très nombreux Tutsi étaient arrivés à Kabgayi, et furent installés dans des endroits différents. Depuis l’arrivée des Tutsi, les milices Interahamwe et des militaires venaient régulièrement choisir des Tutsi qui étaient tués, soit à l’intérieur du camp, soit à l’extérieur de celui-ci notamment dans les forêts environnants. Le 31 mai 1994, la MINUAR a déclaré qu’environ cinq cent (500) Tutsi ont été tués et a envoyé sur place une équipe de spécialistes qui ont confirmé les tueries. Les survivants de ces différents massacres ont été sauvés par les troupes du FPR le 02 juin 1994.

1.      LES SPECIFICITES DU CAMP DE CONCENTRATION DE KABGAYI

 Les réfugiés de Kabgayi étaient installés dans les différents bâtiments de l’Eglise catholique repris ci-après : ceux de l’école primaire de Kabgayi A et ceux de l’école primaire de Kabgayi B, ceux de l’école secondaire Saint Joseph, ceux du Petit Séminaire Saint Léon, ceux du Grand Séminaire de Kabgayi (Philosophicum), les bâtiments Saint Kagwa où était situé la TRAFIPRO (bâtiments connus sous le nom de CND), les salles où étaient dispensés des cours de catéchisme, l’endroit appelé Gishumba et les bâtiments de l’hôpital de Kabgayi.

 Dans ces bâtiments, à l’exception de ceux de Kagwa (CND), les réfugiés Tutsi cohabitaient avec des réfugiés Hutu qui fuyaient la guerre, dont la plupart étaient venus de Nyacyonga. A l’évêché, y habitaient également des militaires. Les Tutsi qui s’étaient réfugiés dans la cathédrale de Kabgayi en ont été chassés sur l’ordre de Monseigneur Thaddée Nsengiyumva qui dirigeait le diocèse de Kabgayi, sous prétexte d’éviter à la cathédrale d’être détruite.

 Monseigneur Thaddée Nsengiyumva a demandé à ce que les Tutsi quittent la cathedrale pour ne pas y être tués pour éviter la saleté que cela amènerait dans la cathédrale, raison pour laquelle ceux qui étaient tués, l’étaient pour la plupart à l’extérieur de Kabgayi. Et pourtant une messe était célébrée chaque jour dans cette cathédrale, et même des tueurs y assistaient avant d’aller chercher des Tutsi à tuer.

 Sur la route qui reliait Gitarama à Kabgayi, étaient installées de nombreuses barrières, raison pour laquelle un grand nombre de Tutsi qui venaient se réfugier n’ont jamais pu arriver dans le camp de Kabgayi. Les barrières étaient installées aux endroits suivants : A Rugeramigozi sur la route qui mène à Mbare, en dessous du cimetière des prêtres de Kabgayi, devant l’Ecole des Sciences Infirmières (ESI-Kabgayi), devant l’Imprimerie de Kabgayi, à l’entrée de l’Hôpital de Kabgayi et sur la route qui menait au Grand Séminaire de Kabgayi.

2.      PRINCIPALES DATES QUI ONT ÉTÉ MARQUÉES PAR LA MISE EN ŒUVRE DU GÉNOCIDE À KABGAYI

Certaines dates sont connues pour avoir été marquées par les massacres d’ampleur à Kabgayi:

 Au début du mois d’avril 1994, à l’Ecole des Sciences Infirmières, un groupe de tueurs composé de militaires a attaqué l’école et ont demandé après l’animatrice du nom de UMURUNGI Chantal. La directrice de l’école, une Hutu du nom de MUKANDANGA Dorothée, s’est interposée pour protéger l’animatrice, a refusé qu’ils amènent celle-ci avec eux, et s’est opposée à ce qu’ils violent d’autres filles qui s’y trouvaient. Les tueurs ont immédiatement fusillé la directrice MUKANDANGA, UMURUNGI et son frère MUGUNGA Narcisse qui était venu la visiter ; ces deux derniers étaient les enfants de MUBERUKA Jean Baptiste de Nyanza.

 Le 15/4/1994, un groupe de tueurs a attaqué l’école Saint Joseph et, pendant cinq heures, se sont mis à sélectionner leurs victimes. Ils ont amené avec eux de nombreux Tutsi dont l’épouse de Rudahunga Louis, Justin qui enseignait à l’ETEKA et d’autres.

 Le 08 mai 1994, un groupe de militaires est retourné dans cette école, en possession de la liste des Tutsi qu’ils voulaient amener avec eux. Ce jour au matin, ils ont amené 27 Tutsi au camp militaire de Gitarama et les ont battus toute la journée. Le soir, les tueurs ont divisé leurs victimes en trois groupes et sont allés les tuer, les uns à Murambi (Gitarama), d’autres à Byimana, et le reste à Nyabarongo. Parmi les 27 Tutsi, un seul a pu survivre. Parmi ces victimes il y avait notamment RWICANINYONI Emmanuel qui travaillait au MINEDUC, au bureau pédagogique-section Histoire, GATSINZI Gervais, enseignant au ACEJ Karama, NIYOYITA André, NTIBYIRAGWA Jean Marie Vianney alias Maso, HODARI, NYAKARASHI Ignace, qui enseignaient tous au Collège Saint-Joseph de Kabgayi et d’autres qui n’ont pas été identifiés.

 Le 24/5/1994, des Tutsi qui étaient au Grand Séminaire de Kabgayi, ont été amenés pour aller être tués à Byimana. Les dirigeants de l’Eglise catholique à Kabgayi avaient donné comme  instruction que les religieux devaient aller se réfugier au Grand Séminaire de Kabgayi où des réfugiés Tutsi se trouvaient déjà; il y avait même des réfugiés Hutu qui étaient venus de Kigali et d’ailleurs.

 Certains parmi les membres du Gouvernement des Abatabazi, y logeaient, dont KAMBANDA et SINDIKUBWABO, mais le plus souvent s’y rendaient la nuit. Chaque catégorie était installée à part, mais les religieux quant à eux cohabitaient sans aucune distinction.

 A cette date, le Grand Séminaire a été encerclé vers 10h du matin par des tueurs, aussi bien des civils que des militaires, lesquels ont sorti tous les réfugiés et les ont regroupés ensemble. Il y avait un Frère Hutu du nom de Adalbert qui a amené une liste des Tutsi, qui ont été appelés et amenés pour être tués.

 Parmi les religieux qui ont été amenés pour être tués, il y avait les Frères Joséphites MUREKEZI Fidèle, MUGABO Emmanuel, MUNYANSHONGORE Martin et RUSEZERANGABO Théophile. Il y avait aussi les Frères Maristes GATARI Gaspard, NYIRINKINDI Canisius et  BISENGIMANA Fabien. Les tueurs ont également amené la Soeur Benebikira du nom de Bénigne NAKANA, les Pères NIWENSHUTI Célestin, MUSONERA Callixte et NYIRIBAKWE Vedaste qui enseignait au Grand Séminaire. Les tueurs ont également amené Karinda Viateur qui était journaliste à Radio-Rwanda. Tous ceux-ci ont été appelés alors que le même jour, Monseigneur Thaddée Nsengiyumva était venu tenir une réunion avec les réfugiés, mais quand il a vu les tueurs encercler l’endroit, il est monté dans sa voiture et est retourné à sa résidence.

 Le 29/5/1994, des tueurs ont à nouveau attaqué l’école Saint Joseph. Les tueurs avaient amené avec eux un bus dans lequel ils embarquaient les Tutsi qu’ils allaient tuer sur la rivière Nyabarongo. Parmi les Tutsi qui ont été amenés, il y avait notamment RURANGWA Alexis qui était juge, RWAGAKIGA Prudence, commerçant à Ngororero, MUKOBWAJANA Eugénie, GASASIRA Vital, MUKANGAMIJE Beline qui travaillait à l’école Saint Joseph, UTAZIRUBANDA Leonard, MUCYURABUHORO, fils de GATABAZI, MUNYESHURI Jean Marie Vianney, agronome, HABIMANA Deogratias qui était enseignant et d’autres.  

 Au cours du mois de mai 1994, à une date non formellement identifiée, à l’endroit où était situé la TRAFIPRO (endroit désigné sous la dénomination de CND), des militaires sont venus et ont amené des Tutsi, dont Isidore, fils de Ruyenzi, KAJANGWE Célestin, NIZEYIMANA Jean Bosco et d’autres qui ont tous été massacrés. Toujours au cours de ce mois, l’école primaire de Kabgayi A a été attaquée par des tueurs de Mushubati appelés Abazulu (Les Zoulous) qui ont également à plusieurs reprises attaqué les différents bâtiments du camp de Kabgayi.

 Parmi les différentes attaques qu’ils ont menées à Kabgayi, lors de l’une d’elles, ils ont tué six personnes dans le bois situé en dessous du centre des enfants handicapés.

 Deux attaques d’ampleur ont été menées contre le Petit Séminaire Saint Léon de Kabgayi entre les mois de mai et de juin 1994. La première a été menée fin mai 1994 et de nombreux Tutsi ont sélectionnés et amenés au cours d’une fouille dans cet établissement : ces Tutsi ont été tués dans le bois de Byimana et ailleurs. La deuxième attaque a été menée par des Interahamwe de Mushubati qui se faisaient appeler Abazulu et qui ont amené des Tutsi de Mushubati qui s’étaient réfugiés à Kabgayi, pour aller les tuer

 Une attaque a été menée le 30 mai 1994 dans tous les endroits où s’étaient cachés les Tutsi à Kabgayi, parmi lesquels certains ont été sélectionnés et embarqués dans des bus pour aller être tués à Ngororero. Cette attaque a été menée par des tueurs venus de Ngororero qui recensaient les corps sans vie de leurs victimes et lorsque des Tutsi manquaient à l’appel, allaient vérifier si ceux-ci ne s’étaient pas réfugiés à Kabgayi. C’est pourquoi ces Tutsi étaient tués à Ngororero quoique parmi eux il y en avait qui n’étaient pas originaires de cette localité.

3.      LE GÉNOCIDE A ÉTÉ MIS EN ŒUVRE À KABGAYI D’UNE MANIÈRE DIFFÉRENTE QUE DANS D’AUTRES LOCALITÉS.

Parce qu’à Kabgayi s’étaient réfugiés des Tutsi qui étaient venus de nombreuses localités du pays, les autorités de diverses communes et des tueurs d’autres préfectures venaient à Kabgayi avec les listes des Tutsi originaires de leurs communes qui s’étaient réfugiés à Kabgayi, et amenaient ceux-ci les tuer dans d’autres localités. Les Tutsi étaient parfois dénoncés par des réfugiés Hutu avec lesquels ils cohabitaient, qui les avaient trouvés à Kabgayi, et qui venaient de localités qui ont été prises par les troupes du FPR Inkotanyi.

Les massacres commis à Kabgayi l’ont été par des personnes qui venaient de localités différentes du pays, des tueurs de chaque commune allaient y chercher les Tutsi qui en étaient originaires. Parmi les tueurs il y avait des gendarmes, des militaires de la Garde Présidentielle, des militaires d’autres unités qui étaient chargés de la protection des religieux et des membres du Gouvernement des Abatabazi.

 Les Tutsi étaient tués, mais également leurs femmes et leurs filles ont été violées, les tueurs qui amenaient celles-ci, soit les ramenaient, soit les tuaient après avoir abusé d’elles. Des obus de gros calibre étaient parfois lancés sur les réfugiés Tutsi, surtout sur les bâtiments appelés CND, et tuaient certains d’entre eux.

 Des Tutsi qui s’étaient réfugiés à Kabgayi sont également morts de faim et de maladies causées par la saleté parce qu’il n’y avait plus d’eau. Les cadavres se sont accumulés, la puanteur est devenue insupportable, et les tueurs ont pris la décision de ne plus tuer à l’intérieur du camp mais d’amener des véhicules dans lesquels ils embarquaient les Tutsi, à partir des plus éduqués et les plus nantis qu’ils avaient déjà recensés, et surtout les hommes et les jeune gens de sexe masculin, pour aller les tuer dans une autre localité. Chaque jour des Tutsi étaient tués, raison pour laquelle connaitre le nombre des victimes est difficile.

 Parmi les responsables des massacres qui ont été commis à Kabgayi il y avait notamment:

  Le Sous-préfet Rutegesha Misago Antoine que la juridiction Gacaca du Secteur Gitarama a condamné à la prison à perpétuité ;

  Le Sous-préfet Gatera Gaspard que la juridiction Gacaca du Secteur Gitarama a condamné à la prison à perpétuité ;

  Gahutu Emmanuel Demarere qui était un agent des renseignements et que la juridiction Gacaca du Secteur Gihuma B a condamné à trente (30) ans de prison ;

  Sagahutu Thomas qui était un agent du service émigration et migration ;

  Gilbert qui était le représentant du parti C.D.R dans la ville de Gitarama ;

  Le Sergent-Major Karata ;

  Le Frère Adalbert qui a dénoncé ses collègues religieux qui ont été tués. Il semblerait qu’il aurait été ordonné prêtre et qu’il réside en Zambie ;

  Gasirikare, un réfugié Hutu qui était venu de Nyacyonga mais qui s’était infiltré parmi les Tutsi qui se trouvaient dans les bâtiments TRAFIPRO et les dénonçait ;

  Le Sous-Lieutenant Musabyimana ;

  Philippe, fils de Théopiste ;

  Le Major Nyirahakizimana Anne-Marie qui a été condamnée à la prison à perpétuité et est incarcérée ;

  Tuyisenge Narcisse qui a été condamné à quinze (15) de prison ;

  Hakizimana Papias qui a été condamné à quinze (15) de prison ;

  Nicolas alias Bob, fils de Rupaca Janvier, et qui a été condamné à dix-neuf (19) ans de prison,  et  Rindiro qui lui aussi a été condamné à dix-neuf (19) ans de prison ;

  Nigena Protogene a été condamné à trente (30) ans de prison. Ces derniers ont tous été condamnés par la juridiction Gacaca de Gatikabisi.

Parmi les tueurs de Mushubati il y avait notamment Sadam, Mitterand, Basesekaza, Twagirimana Clément, Protogène, Evode, fils de Révocat, Mutabaruka Hassan, les militaires Rachidi et Semanyenzi Jean Claude, Mugemana, Kimonyo Tharcisse qui était chauffeur, des militaires qui portaient des noms d’emprunt comme  Shitani et Kajisho qui vivaient dans le camp militaire de Gitarama et étaient souvent en compagnie d’un civil du nom de Gikeri, Nsanzineza Vincent et d’autres.

 CONCLUSION

Le camp de Kabgayi est celui dans lequel les troupes du FPR Inkotanyi ont pu sauver un grand nombre de Tutsi. Dans d’autres endroits, les tueurs avaient tué un maximum de Tutsi et les Inkotanyi n’y trouvaient qu’un nombre infime de survivants. Les Inkotanyi ont pris par surprise Kabgayi alors que les tueurs étaient en train de planifier l’extermination de tous les survivants Tutsi avant leur arrivée. Nous devons toujours nous remémorer l’histoire du Génocide, et ceux qui veulent la déformer n’y arriveront jamais. (Fin).

* Dr BIZIMANA Jean Damascène, Executive Secretary National Commission for the Fight Against Genocide (CNLG)