10 Juin 1994: le gouvernement de Kambanda a donné instruction aux commerçants d’acheter eux-mêmes des armes qui devaient servir à commettre le génocide, et a ordonné d’intensifier l’extermination des tutsi à Kibuye

By Dr BIZIMANA Jean Damascène*

Le 10 juin 1994, la guerre faisait rage près de la ville de Gitarama entre l’armée gouvernementale, qui était en train de commettre le Génocide, et les troupes du FPR Inkotanyi. Le Gouvernement de KAMBANDA continuait à chercher les moyens de distribuer à la population des armes et autre matériel nécessaire pour accélérer la mise en œuvre du Génocide, et a décidé d’ordonner aux commerçants d’acheter des armes pour eux-mêmes et pour leurs voisins afin de continuer les massacres. C’était toujours dans le cadre de l’exécution du plan du Génocide porté et coordonné par le Gouvernement.

1)      LES COMMERÇANTS ONT REÇU INSTRUCTION D’ACHETER DES ARMES POUR LEUR PROPRE USAGE ET À DISTRIBUER À LEURS VOISINS

Comme consigné dans l’Agenda de NYIRAMASUHUKO de 1994, le conseil du Gouvernement du 10 juin 1994 a examiné plusieurs sujets, parmi lesquels le sujet le plus important, celui de l’avancement de la mise en œuvre du Génocide. NYIRAMASUHUKO a écrit que les modalités pour accélérer le fonctionnement de l’ “auto-défense civile” dans tout le pays, ont été examinées. Pour disponibiliser le nombre d’armes nécessaire, il a été décidé de contraindre chaque commerçant d’acheter au minimum deux (2) armes, une pour son propre usage et l’autre pour ses voisins près de son domicile.

 Il a également été décidé de distribuer des armes dans les écoles de façon que chaque établissement scolaire devait être en possession de dix (10) armes.

Ce conseil a aussi constaté qu’il fallait intensifier dans Gisenyi le fonctionnement de l’ “auto-défense civile” qui n’y était pas satisfaisant, tandis que Butare devait être félicité pour le bon fonctionnement de ce programme, raison pour laquelle cette Préfecture a reçu la somme supplémentaire de deux millions de francs rwandais (2.000.000 Frw) pour la consolidation de ce programme. Ce qui signifie que c’est le Gouvernement qui finançait et coordonnait les massacres.

2)      LE GOUVERNEMENT DE KAMBANDA A DISTRIBUÉ DES ARMES À LA POPULATION ET S’EST FELICITÉ DE LA MISE EN ŒUVRE SATISFAISANTE DE L’EXTERMINATION DES TUTSI, CONFORMÉMENT À SES PLANS

Parmi les sujets abordés lors du conseil du Gouvernement du 10 juin 1994, il y a la question des armes qui devaient continuer à être distribuées à la population, c.à.d. surtout aux Interahamwe.

Comme elle l’a consigné dans son Agenda, NYIRAMASUHUKO a écrit que le conseil s’est félicité de la bonne distribution d’armes dans la zone de combat de Rulindo et que le commandant de l’armée dans cette zone en a même été remercié. Le conseil a également félicité la bonne collaboration entre les Sous-préfets de Rushashi en Préfecture de Kigali Ngari et de Kiyumba en Préfecture de Gitarama, dans la mise en œuvre de l’ “auto-défense civile”, et a souhaité que cela serve de bon exemple aux autres acteurs.

Le conseil a félicité la manière avec laquelle le Lieutenant-colonel Marcel BIVUGABAGABO coordonnait à Ruhengeri l’ “auto-défense civile”, et il a été mentionné que dans la Commune Kinigi à Ruhengeri, cent vingt (120) armes ont été distribuées.  Le commandement de l’armée à Butare a cependant suscité de l’inquiétude pour son fonctionnement désordonné. 

Toutes ces décisions pour intensifier la distribution d’armes à la population apparaissent aussi dans l’Agenda de NGIRABATWARE Augustin qui était Ministre du Plan, où il a été consigné que l’ “auto-défense civile” fonctionnait avec satisfaction dans les Préfectures de Gitarama, Gisenyi et Ruhengeri.

NGIRABWATWARE a ajouté que les cinquante millions de francs rwandais (50.000.000 Frw) destinés au fonctionnement de ce programme dans tout le pays ont été débloqué immédiatement. Rappelons que cette somme constituait une rallonge du budget alloué à l’ “auto-défense civile”, rallonge qui avait été décidée lors du conseil du Gouvernement du 9 juin 1994.

NYIRAMASUHUKO a aussi écrit que le Gouvernement s’est félicité de ce que toute la population avait compris ce que l’on demandait d’elle en ce qui concerne l’ “auto-défense civile”, qu’elle l’avait fait sienne et y participait avec satisfaction. Ce qui veut dire que le Gouvernement se félicitait de ce que la mise en œuvre du Génocide était en train d’atteindre son objectif ultime, l’extermination des Tutsi dans tout le pays. Il a été décidé que les Responsables de cellule et les Bourgmestres reçoivent une récompense pour y avoir participé en accomplissant correctement ce qu’il leur était demandé.

Mais le Gouvernement a été attristé par la fuite du Bourgmestre de la Commune Butamwa, Laurent TWAGIRAYEZU, qui a ainsi abandonné sa Commune, laissant dans son bureau quatre-vingt (80) armes qu’il n’avait pas encore distribuées. Il est évident que ces armes ont été immédiatement distribuées aux Interahamwe pour les utiliser dans les massacres. Le Bourgmestre Laurent TWAGIRAYEZU était membre du parti MDR.

3)      LE TRAITEMENT PARTICULIER QUI A ÉTÉ RESERVÉ À LA PRÉFECTURE KIBUYE

Malgré qu’au cours de cette réunion le Gouvernement de KAMBANDA s’était félicité de la bonne avancée du Génocide, il a été constaté que dans certaines localités la situation n’était pas satisfaisante. NYIRAMASUHUKO a écrit dans son Agenda qu’à Kibuye il y avait un problème posé par de nombreux Hutu qui étaient des sympathisants du FPR Inkotanyi parce que Seth SENDASHONGA était originaire de la même région. La Commune Rwamatamu a été citée en exemple parce qu’elle était dirigée par le Bourgmestre Abel FURERE qui était le propre frère de Seth SENDASHONGA.

L’Agenda de NGIRABATWARE mentionnait aussi que ce problème avait été examiné malgré qu’à ce sujet il a écrit moins de commentaires que  NYIRAMASUHUKO.

NGIRABATWARE a écrit que le FPR avait infiltré Kibuye et y possédait de nombreux membres Hutu. Et pourtant, FURERE Abel a mis en œuvre le Génocide même si le Gouvernement considérait  que le fait qu’il était le frère de Seth SENDASHONGA constituait un problème. La Commune Rwamatamu a été sur le devant de la scène en ce qui concerne le Génocide, car déjà en 1992 elle a été parmi les endroits où les Tutsi avaient commencé à être tués, tout comme dans la Commune de Gishyita qui lui était voisine.

Le Gouvernement est allé jusqu’à inventer un problème comme quoi les Inyenzi seraient déjà arrivés à Bisesero, mensonge qui a pourtant fait l’objet de discussions au cours de sa réunion du 10 juin 1994. NYIRAMASUHUKO a repris comme telle cette information dans son Agenda.

Comme remarqué pendant les jours du mois de juin 1994 qui ont suivi, ce mensonge sur l’infiltration des Inkotanyi dans Bisesero devait servir de prétexte pour y envoyer des militaires exterminer les Tutsi qui survivaient encore sur les collines de Bisesero où ils affrontaient les Interahamwe. Ce qui est encore plus malheureux est que le Gouvernement avait condamné à la mort les Tutsi de Bisesero tout en recommandant dans sa réunion du 10 juin 1994 que l’antenne qui était sur la colline de Karongi soit gardée pour éviter sur elle tout dommage. Ce qui signifie que cette antenne avait pour le Gouvernement plus de valeur que la vie des Tutsi.

4)      LE MINISTRE DE LA DÉFENSE, AUGUSTIN BIZIMANA, A DEMANDÉ QUE DES ÉVÊQUES TUTSI SOIENT TUÉS

Devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) un témoin, appelé XX pour sa sécurité, a rendu son témoignage; ce témoin, qui a fait partie du Gouvernement de KAMBANDA, a déclaré qu’au cours de la réunion du Gouvernement du 10 juin 1994, il a été étonné par les propos du Ministre de la Défense, Augustin BIZIMANA qui demandait que des évêques Tutsi soient tués.

Ce témoin a déclaré qu’au cours de sa prise de parole,  le Ministre BIZIMANA a expliqué que sa demande est conforme au souhait du Haut commandement de l’armée qui avait demandé que Mgr GAHAMANYI Jean Baptiste et Mgr KALIBUSHI Wenceslas soient tués pour venger la mort de trois autres évêques, Mgr Thaddée NSEGIYUMVA, Mgr Vincent NSENGIYUMVA et Mgr Joseph RUZINDANA qui avaient été tués le 5 juin 1994 par des militaires du FPR Inkotanyi à Kabgayi.

Ce témoin a déclaré qu’il a été très étonné de voir une telle demande de tuer être examinée avec beaucoup d’attention au cours d’une réunion du Gouvernement, et a mentionné qu’il s’y était opposé. Il a également expliqué que la réunion s’est terminée sans qu’une décision soit prise à ce sujet parce que KAMBANDA l’avait clôturé rapidement car, a-t-il dit, il devait se rendre aux funérailles de la mère de Protais ZIGIRANYIRAZO, et a demandé de reporter le sujet en question pour son réexamen lors d’une prochaine réunion.

Parmi les Ministres présents à cette réunion, le témoin a cité MUGENZI Justin, Prosper MUGIRANEZA, Pauline NYIRAMASUHUKO, Edouard KAREMERA et Augustin NGIRABATWARE, et a expliqué que parfois certains des Ministres ne participaient pas aux réunions du Gouvernement parce qu’ils s’étaient rendus dans les Préfectures leur assignées y mobiliser la population.

Nous tenons à préciser que Mgr KALIBUSHI n’était pas Tutsi comme le signale ce témoin. Simplement, Mgr KALIBUSHI n’était pas extrémiste. C’était un homme droit et humain qui ne pratiquait pas la ségrégation. Il était originaire de Byimana et pendant le génocide il a fait son possible pour protéger les Tutsi. A maintes reprises, il a fallu être assassiné par les milices Interahamwe et les militaires.

CONCLUSION

Les réunions du Gouvernement de KAMBANDA qui ont eu lieu au mois de juin 1994 montrent à souhait la responsabilité de ce Gouvernement dans la planification de l’extermination des Tutsi. Tous les efforts qui ont continué à être mis dans l’acquisition d’armes, dans la distribution de celles-ci à la population, dans la mobilisation de la population pour continuer à traquer les survivants Tutsi pour les tuer, et dans la remise de récompenses fixées par l’Etat rwandais aux tueurs les plus zélés. Si le FPR Inkotanyi n’avait pas gagné la guerre et arrêté le Génocide, il n’y aurait plus aucun Tutsi dans toutes les régions du Rwanda. Ceux qui nient l’existence d’un plan du Génocide devraient tenir compte de ces preuves. (Fin).

* Dr BIZIMANA Jean Damascène,  Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)