Bisesero: Les militaires Français de l’Opération Turquoise ont abandonne les Tutsi entre les mains des génocidaires

By Dr BIZIMANA Jean Damascène*

L’abandon de Bisesero est l’une des plus graves situations qui ont marqué l’Opération Turquoise.

La présence des militaires français à Bisesero, le 27 juin 1994 a exposé les survivants dont plus de 2000 personnes ont été massacrées.

Les faits se sont déroulés en présence de journalistes étrangers, et de nombreux témoins rwandais ont confirmé l’attitude criminelle de certains officiers français de l’Opération Turquoise.

L’abandon des survivants tutsi est une confirmation que l’Opération Turquoise était une opération militaire, qui se méfiait du génocide.

1) LES MILITAIRES FRANÇAIS ONT ABANDONNE LES REFUGIES TUTSI ENTRE LES MAINS DES TUEURS

Le 27 juin 1994, trois journalistes dont Patrick de Saint-Exupéry, Sam Kiley, les militaires français du commando parachutistes de l’air commandé par le lieutenant-colonel Diego, de son vrai  nom Jean-Remy Duval se sont rendus à Bisesero.

Arrivés  dans  les  collines  de Bisesero,  ils  ont aperçu quelques survivants qui  très  vite ont disparu. Un refugié, Eric Nzabahimana, a parlé aux Français. Il leur a expliqué qu’ils étaient à bout, que cela fait deux mois qu’ils se battaient et fuyaient des groupes de tueurs qui, tous les jours, les traquaient. Petit à petit, d’autres survivants ont rejoint le groupe. Le journaliste Patrick de Saint- Exupéry a constaté qu’ils étaient d’une très grande maigreur, les vêtements en lambeaux, et nombre d’entre eux ont des blessures causées par des coups de machette, « un enfant une fesse gauche arrachée, un homme le bras droit à moitié sectionné ».

Les survivants ont montré une fausse commune creusée à quelques mètres de là, ainsi que le cadavre encore frais d’un homme tué deux heures plus tôt. Ensuite, les survivants ont reconnu le guide des Français Jean-Baptiste Twagirayezu, un des chefs des miliciens qui les traquaient. Ce milicien voulait détourner les Français pour qu’ils ne voient pas les survivants, et les amener plutôt dans un camp de déplacés hutu installé près de Gisovu. Il a été chassé par les Français. Diego a assuré aux réfugiés qu’il reviendrait dans deux ou trois jours, en attendant il fallait se cacher.

De retour à Kibuye, Diego s’est confié à Patrick De Saint-Exupéry : « Le lieutenant-colonel est encore sous le choc : « J’ai de l’expérience, mais ça… » Il ne se fait pas d’illusion : « Avant que l’on puisse intervenir à Bisesero, au moins 2 000 autre réfugiés  seront  assassinés. »

 L’air  épuisé  et  plein  de  remords,  l’officier  envoie  ses informations à l’état-major : « A eux, dit-il, de prendre une décision. Si on part là-bas protéger ces milliers de gens traqués comme des animaux, on s’engage d’un côté et on risque d’avoir toutes les milices et les autorités locales contre nous. Nous, on est prêt. Nous obéirons aux ordres. Mais sont-ils prêts à Paris ? »

Dans son livre reconstituant en la développant la rencontre et l’abandon, Patrick de Saint- Exupéry a écrit que de retour à Kibuye « Diego restait pendu à son téléphone crypté, adressant à Paris rapport sur rapport. » Le refus d’intervenir à Bisesero est venu directement de Paris, les 2000 tutsi ont été abandonnés et tués malgré les propos rassurant du lieutenant-colonel Diego.

2) PLUS DE 2000 SURVIVANTS ONT ETE MASSACRES APRES LE DEPART DES FRANÇAIS

Les rescapés de Bisesero sont unanimes pour dire que suite à la rencontre avec les militaires français, les attaques se sont amplifiées durant les trois jours précédant leur retour. Selon les rescapés de Bisesero, au moment de leur rencontre avec Diego et son groupe, ils étaient environ 2000 survivants, après trois jours de massacres intensifs, 800 seront finalement sauvés.

Le pessimisme de Diego, lorsqu’il déclare «[qu’]avant que l’on puisse intervenir à Bisesero, au moins 2 000 autres réfugiés seront assassinés » est pour le moins curieux, tout comme le fait qu’il considère que porter secours aux Basesero serait prendre parti dans le conflit.

Ceci semble dénoter, au-delà peut-être de sa compassion personnelle, une vision de la mission dans laquelle il est engagé éloignée de l’objectif déclaré de sauver les vies en danger.

3) LE REFUS DU CAPITAINE MARIN GILLIER DE FAIRE CESSER LE MASSACRE DES SURVIVANTS DE BISESERO

Entre les dates du 28 et du 29 juin 1994, des centaines de personnes arrivent de tous côtés se réunir au centre de Gishyita. Cette mobilisation se fait sous les yeux de militaires français installés depuis environ deux jours à Gishyita. Environ soixante-dix éléments des troupes d’élites françaises, des commandos de marine et des membres du GIGN se sont installés dans Gishyita le 25 ou le 26 juin.

La présence des Français à Bisesero a permis aux tueurs de se rendre compte que contrairement à ce qu’ils croyaient, il restait encore de nombreux survivants à Bisesero. Cette information a été le motif d’une mobilisation générale des tueurs des alentours, mais aussi de faire venir des renforts de Cyangugu et Kibuye. La mobilisation générale rassemblant plusieurs centaines  de tueurs dans le petit centre de Gishyita s’est faite sous les yeux des militaires français et de Marin Gillier leur chef. Chaque matin, pendant trois jours, ces tueurs montaient vers Gishyita. Pour se rassembler dans Gishyita, ils devaient passer devant les trois barrières érigées par les soldats français aux principaux points d’entrée et de sortie du village.

4)          LE COLONEL ROSIER A CHERCHE A SACRIFIER LES SURVIVANTS DE BISESERO

L’abandon par Diego des survivants de Bisesero et le refus par Gillier d’aller sauver les Basesero, mènent vers le colonel Rosier. Diego a prévenu le colonel Rosier de sa découverte.  De plus, Gillier a dit que par deux fois, il avait sollicité l’autorisation de se rendre à Bisesero, le 27 et le 28 Juin 1994. Or, Diego et Gillier sont les subordonnés directs de Rosier qui, par ailleurs, suit de près l’évolution de la situation sur le terrain. Il est quasiment certain que Rosier a reçu de ses deux subordonnés l’information concernant la situation désespérée des survivants de Bisesero et la demande d’intervenir. Il est donc évident que l’abandon des survivants de Bisesero émane d’une décision du colonel Rosier.

La déclaration du colonel Rosier au journal Libération du 27 juin 1994 permet de comprendre la logique de son action: « Les miliciens font la guerre. Par souci de neutralité, nous n’avons pas à intervenir. Sinon, demain, s’il y a des infiltrations de rebelles, on nous fera porter le chapeau».

Mais, au-delà de l’action du colonel Rosier, l’affaire de Bisesero permet de voir l’adoption par la hiérarchie militaire française d’une position que l’on ne peut même plus qualifier d’ambiguë. A cet égard, le renversement des rôles entre victimes et bourreaux dans le briefing préparant les troupes à leur mission au Rwanda est particulièrement révélateur.

Pour rappel, c’est Thierry Prungnaud qui était à Bisesero lors de l’Opération Turquoise affecte au détachement COS dirige par Marin Gillier, le révèle lorsqu’il explique, dans son entrevue, qu’à sa base en France, on leur avait dit que c’était les Tutsi qui massacraient les Hutu. Cette inversion des rôles dans le cadre du génocide révèle une hostilité envers les populations civiles tutsi encore survivantes, que l’armée française était censée venir sauver, ainsi qu’une connivence avec les tueurs. Le commandement de l’armée a cherché à manipuler ses hommes afin que leur compassion éventuelle pour les véritables victimes du génocide ne gêne.

5)      DES ATTITUDES REPREHENSIBLES DES MILITAIRES FRANÇAIS DANS LA PRISE EN CHARGE HUMANITAIRE DES SURVIVANTS DE BISESERO

–          Les militaires français ont exposé les survivants aux mauvaises conditions qui ont causé leur mort et pratiqué des amputations abusives à Goma.

Encore une nouvelle fois, l’attitude des militaires français allait s’avérer ambivalente envers leurs protégés. D’abord, les militaires français se sont empressés de désarmer les survivants, alors qu’ils laissaient leurs armes aux Interahamwe et aux militaires des FAR qui passaient près du camp des survivants. Ensuite, lorsque les réfugiés signifieront, à leurs protecteurs qu’ils préféraient aller rejoindre le territoire sous contrôle du FPR, plutôt que de rester sous protection française, les militaires français arrêteront de les nourrir, poussant ainsi certains réfugiés à se risquer en dehors du camp pour chercher à manger. Certains ne reviendront pas, ils seront massacrés par les groupes de tueurs continuant à rôder autour du camp des Basesero. Enfin, les militaires français effectueront ce transfert vers la zone FPR de façon brutale, mettant en danger la vie des survivants.

 –      Les survivants ont subi des amputations abusives à Goma

Les survivants de Bisesero gravement blessés et transportés d’urgence à Goma par l’armée française gardent un souvenir très amer du traitement reçu des médecins militaires français. Ils les accusent d’une part de les avoir traités de façon profondément humiliante, mais plus grave encore, d’avoir procédé à des amputations de membres abusives. L’unité en charge de la cellule médicale militaire à Goma est le Groupe Médico-Chirurgical Aéroporté constituée de 12 membres comprenant 2 chirurgiens, un anesthésiste ainsi que des infirmiers et des infirmières.

Pascal Nkusi, survivant de Bisesero transporté à Goma le 1er juillet, commence par raconter les conditions de leur séjour à Goma, la façon dont les militaires français ont rassemblé tous les blessés et ont amené les cas les plus graves à Goma pour y être soignés. Les blessés ont été transportés sur des tentes en caoutchouc étalées à même le fonds des hélicoptères. Ils ont été installés dans le jardin de l’hôpital de campagne des militaires français tout près de l’aéroport de Goma et ont commencé à être soignés le lendemain de leur arrivée.

CONCLUSION

Sur la colline de Bisesero, il y avait beaucoup de survivants Tutsi. Il y avait eu beaucoup d’attaques depuis le 15 avril. Ils ont été souvent attaqués, mais ils avaient réussi à se défendre tant bien que mal. Seulement, lorsque les Français sont arrivés, ils ont exposé les Tutsi qui étaient cachés en leur promettant protection. Cela concerne Bisesero, mais aussi les environs de Kibuye. Apres leur retrait, plusieurs milliers de Tutsi furent tués.

La situation de Bisesero confirme encore une fois, que l’objectif de l’Opération Turquoise était de soutenir le régime génocidaire et son armé. Sauver des Tutsi était pour la hiérarchie française,  constitutif de violation de « neutralité », pour ne pas s’opposer aux tueurs. Les Tutsi qui ont été sauvé l’ont été par la présence des journalistes. (Fin).

* Dr BIZIMANA Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)