Burundi: 15 ans plus tard, toujours pas de justice pour les victimes du massacre de Gatumba

Le 16 août 2004, des personnes endeuillées se rassemblent autour des cercueils de plus de 150 Tutsis congolais massacrés à Gatumba.

Kigali: Les victimes d’une attaque à main armée contre un camp de réfugiés au Burundi, ainsi que leurs familles, attendent toujours, 15 ans plus tard, que justice leur soit rendue et que des indemnités leur soient versées, a déclaré Human Rights Watch (HRW) à l’occasion de la commémoration de ce carnage.

L’ONG de défense des droits humains basée à New York rappelle que cette attaque contre le camp de Gatumba qui accueillait des réfugiés banyamulenge,-Tutsi originaire de la province congolaise du Sud-Kivu, avait fait plus de 150 morts et 106 blessés.

Des personnes en deuil se rassemblent lors d’un service funèbre pour plus de 150 Tutsis congolais massacrés le week-end précédent à Gatumba

Une procédure pénale a été ouverte en 2013, mais celle-ci est restée au point mort depuis 2014. Les autorités burundaises devraient garantir que le système judiciaire demeure indépendant de toute ingérence politique et faire en sorte que la justice soit rendue en conformité avec les lois du Burundi et le droit international.

«Il incombe au gouvernement de rendre justice aux survivants de l’attaque et aux familles des victimes», a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mettre fin à l’impunité dans cette affaire de référence aiderait les personnes affectées par cette attaque à tourner la page après des années de souffrance, et démontrerait que le concept de responsabilité est pris au sérieux au Burundi.»

Le 13 août 2004, des membres des Forces nationales de libération (FNL) ont pris pour cible des réfugiés essentiellement banyamulenge – des Tutsis congolais originaires de la province du Sud Kivu, en République démocratique du Congo – sur la base de leur appartenance ethnique. Les hommes des FNL, un mouvement rebelle burundais composé essentiellement de Hutus, les ont abattus et brûlés vifs, alors qu’ils ont épargné les réfugiés appartenant à d’autres ethnies et les Burundais vivant dans une autre partie du camp.

Des recherches effectuées à l’époque par Human Rights Watch ont permis d’établir que la police et les militaires des forces armées burundaises se sont abstenus d’intervenir, alors même que le massacre se déroulait à quelques centaines de mètres de leurs propres camps. Les militaires de la force de maintien de la paix des Nations Unies n’ont pas pu sauver ces civils car ils n’ont été informés de l’attaque qu’après qu’elle eut pris fin. Les victimes avaient fui le conflit armé en RD Congo et vivaient dans ce camp de réfugiés situé à proximité de la frontière congolaise.

Une rescapée de ce massacre de 2004 à Gatumba a récemment déclaré à Human Rights Watch: « « Quinze ans plus tard, nous nous souvenons très bien de ce qui s’est passé. J’avais onze ans à l’époque, mais la douleur d’une personne qui brûle jusqu’à la mort est insoutenable. Ce n’est pas quelque chose que vous oubliez.»

Peu après le massacre, les FNL ont revendiqué la responsabilité de cette attaque. Mais plusieurs années plus tard, leur porte-parole de l’époque, Pasteur Habimana, a nié avoir fait cette revendication. Les FNL, branche armée du Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération (Palipehutu–FNL), ont déposé les armes et sont devenues un parti politique en 2009, marquant la fin de la guerre civile.

Mais de même que l’attaque a été exploitée par divers groupes armés et par diverses personnalités en quête de pouvoir en RD Congo et au Burundi pour faire avancer leurs objectifs politiques, la justice dans cette affaire semble avoir été politisée.

L’un des deux dirigeants des FNL contre lesquels les autorités burundaises ont émis en 2004 des mandats d’arrêt relatifs à ces meurtres est Agathon Rwasa, qui demeure une personnalité en vue de l’opposition. Rwasa n’a jamais été arrêté en vertu du mandat d’arrêt, et en septembre 2013, les autorités judiciaires ont annoncé qu’un dossier avait été ouvert afin de poursuivre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis à Gatumba. Rwasa a affirmé qu’en tant qu’ancien chef du Palipehutu-FNL, il bénéficiait d’une « immunité provisoire » obtenue aux termes de l’accord de cessez-le-feu de 2006 qui a conduit à la fin de la guerre civile. Le porte-parole du parquet à l’époque a déclaré aux médias que « cette immunité ne couvre pas les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. »

La loi adoptée par le Burundi pour mettre en œuvre l’accord de cessez-le-feu de 2006 exclut explicitement les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre de l’immunité accordée aux parties au conflit. Les amnisties générales pour des crimes graves au regard du droit international constituent de la part d’un État une violation de ses obligations juridiques internationales.

La décision d’ouvrir un dossier judiciaire a coïncidé avec le retour de Rwasa dans son pays pour être candidat à l’élection présidentielle de 2015 sous les couleurs des FNL. Son unique comparution devant un tribunal, prévue pour décembre 2014, a été reportée à une date indéterminée et depuis lors, aucun progrès significatif n’a été accompli vers l’établissement de la justice.

Depuis la fin de la guerre civile au Burundi en 2009, dans laquelle environ 300 000 personnes ont été tuées lors d’attaques motivées principalement par des considérations ethniques, les violences politiques ont continué. De nombreuses personnes ont été victimes de meurtres commis pour des motifs politiques entre 2010 et 2012, dans la foulée des élections de 2010. De nombreuses victimes étaient membres ou anciens membres des FNL perçus comme étant proches de Rwasa et tués par des agents de la sécurité de l’État ou par des individus liés au parti au pouvoir. Des membres présumés des FNL et d’autres groupes armés ont également pris pour cible des membres du parti au pouvoir dans des attaques de représailles. La majorité de ces crimes sont restés impunis.

Des centaines d’autres personnes sont mortes, victimes de meurtres commis pour des motifs politiques, depuis le début d’une crise déclenchée par la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en avril 2015. Les tensions politiques continuent de s’accentuer avant les elections presidentielles de 2020. En 2019, Rwasa a reçu l’agrément de son nouveau parti, le Congrès national pour la liberté (CNL). Depuis lors, Human Rights Watch a documenté des dizaines de meurtres, de disparitions, d’arrestations arbitraires et de passages à tabac visant les membres réels ou perçus de ce parti, commis pour la plupart dans une impunité presque totale par des agents de la sécurité d’État ou des individus liés au parti au pouvoir.

«Les autorités burundaises devraient prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les responsables du massacre de Gatumba soient jugés de manière crédible et impartiale », a affirmé Lewis Mudge. « L’absence de poursuites pénales pour des meurtres commis par un camp offre souvent un prétexte à ceux qui veulent commettre des meurtres pour l’autre camp, et la justice est indispensable à la prévention de nouvelles atrocités.» (Fin)