Exécution du génocide dans la Commune Rukara

Kigali: La haine envers les Tutsi transparaissait dans tous les discours des autorités locales de Rukara à partir du 7 avril, incitant la population à tuer les Tutsi. Après une réunion des Conseillers et du Bourgmestre, les tueries des Tutsi commencèrent et se répandirent au marché de Secteur Gahini, dans les centres de négoce, aux villages et surtout à la Paroisse de Rukara et à l’Hôpital de Gahini, et ailleurs dans cette Commune, comme dans les marécages. Ceux qui étaient à la tête des tueurs sont le Bourgmestre Jean Mpambara, Claver Kananga qui était le Conseiller du Secteur Rukara, Damas Nyiringango, Responsable de la Cellule Rukara, Ruremesha, Kubwabagabo. Dans le Secteur de Gahini, il s’agit du Conseiller Jean Bosco Butera et de Samson Gacumbitsi.

Une survivante de la Commune Rukara qui a survécu aux tueries de la Paroisse de Rukara et qui a été sauvée vers le 13 avril par le FPR, témoigne : le 7 avril 1994 vers 7h du soir, en compagnie de nombreux tutsi, elle s’était réfugiée à la Paroisse de Rukara. A son arrivée elle a vu plus d’un millier de réfugiés tutsi dans l’Eglise, les salles et les champs environnants. Avec d’autres personnes dont Claudine, la nièce de son mari, ils se cachèrent dans des pièces situées derrière l’Eglise. De là, elle entendit des personnes qui, à l’extérieur, disaient qu’ils étaient « sur le point d’être tué », et des milices hutu qui disaient : « Nous allons vous tuer ». Dans la nuit du 8 avril, elle a entendu des coups de feu et des explosions de grenade et des gens qui poussaient des cris. Le lendemain matin, elle a vu des cadavres dans l’enceinte de l’Eglise. Selon la survivante, la situation était particulièrement mauvaise à Gahini où les tueries de Tutsi se poursuivaient sans relâche.

Selon l’informateur Gervais Ruhiguri, policier de la Commune Rukara, le matin du 8 avril 1994, le Conseiller de Gahini Jean Bosco Butera et d’autres responsables locaux rassemblèrent des groupes de civils Hutu et d’Interahamwe au centre commercial d’Akabeza pour aller attaquer les Tutsi de la Cellule d’Ibiza. Au matin du 9 avril 1994 le Conseiller de ce Secteur, Jean Bosco Butera et le brigadier de la police communale, Gervais Ruhiguri, prirent la tête de ces groupes de civils Hutu, et miliciens Interahamwe et Abajekaro qui attaquèrent et tuèrent les Tutsi qui s’étaient réfugiés à l’Hôpital de Gahini. Vers la fin des tueries, le Bourgmestre Jean Mpambara vint à l’Hôpital en compagnie de Jean Bosco Butera, et se renseignèrent sur les noms des Tutsi qui y avaient été tués.

Les tueries de Gahini commencèrent à Umwiga pendant la nuit du 7 avril. Le plan visant à éliminer les Tutsi a été conçu ce jour-là dans la Cellule d’Akabeza et dans les zones environnantes après une réunion dirigée par des autorités locales. Beaucoup de corps de victimes ont été laissés sur les lieux du crime, d’autres furent jetés dans les latrines. La police communale et les gendarmes ont pris part à ces tueries.

Le matin du 7 avril 1994, les gens de Gahini avaient remarqué une colonne de fumée dans la Commune voisine de Murambi, où les maisons étaient en train d’être brûlées sous les ordres de Jean-Baptiste Gatete, l’ex-bourgmestre de Murambi, en Préfecture de Byumba. Les Tutsi de Gahini paniquèrent en raison de la détérioration de la situation. Ils se rendaient aussi compte que l’élimination systématique des Tutsi avait été planifiée d’avance. C’est ainsi qu’un certain nombre de Tutsi de Gahini fuirent vers les Secteurs voisins, tandis que d’autres se réfugièrent à l’Hôpital de Gahini, à la Paroisse de Rukara et à la Paroisse de Mukarange dans la Commune Muhazi.

Selon l’informateur Célestin Gakware, le 7 avril 1994 était un jour de marché dans le centre de Gahini ; malgré l’annonce de la mort de Habyarimana, les gens étaient allés au marché comme d’habitude. Vers 9h00, une voiture est arrivée. Dans cette voiture, il y avait le Bourgmestre Jean Mpambara, le Conseiller de Gahini, Jean Bosco Butera, le brigadier de la Commune, Gervais Ruhiguri, le comptable du Petit Séminaire, Samuel Gasana, le Responsable de la Cellule Umwiga, Kanyamurere et l’Agronome de la Commune, Pierre Kalisa. Dès leurs arrivées dans ce centre commercial, les autorités fermèrent le marché. L’informateur a répété les propos du bourgmestre en la circonstance : Vous êtes des vaches ! Je pensais que les gens de Gahini étaient des hommes braves mais pas du tout. Regardez ce qu’ils font chez Jean Baptiste Gatete, à Murambi d’où vous pouvez voir des colonnes de fumée. Il est très regrettable de ne pas trouver un seul corps Tutsi dans le Secteur Gahini ; et moi qui croyais que les Hutu d’ici sont braves! »

Après ce discours, qui avait duré seulement quelques minutes, la foule se dispersa et tout le monde rentra chez soi. Après cette réunion, la situation s’est vite détériorée endéans quelques heures. Certains Hutu conseillèrent à leurs voisins tutsi de venir chez eux se cacher, car il avait été décidé de les exterminer. Des Tutsi se réfugièrent à la Paroisse de Rukara, à l’Hôpital de Gahini et d’autres passèrent la nuit dans la brousse. Et ce soir même, les tueries commencèrent dans les Secteurs voisins d’Umwiga et d’Akabeza.

Ce même jour, vers 15h00, des Tutsi voulaient se diriger vers l’Eglise Episcopale de Gahini pour s’y réfugier, mais le Pasteur Tito Ruvugabigwi avait déjà fermé les portes de l’Eglise. Par conséquent, ils se réfugièrent à l’Hôpital de Gahini, d’autres à la Paroisse de Rukara.

Des Tutsi qui avaient fui les Interahamwe de la Commune Murambi vinrent aussi à l’Hôpital de Gahini. Le Bourgmestre encourageait les tueurs à exterminer tous les Tutsi qui s’y étaient réfugiés. C’est ainsi que le 8 avril 1994, une attaque dévastatrice de grande envergure fut menée par les Interahamwe. Cette attaque a été dirigée notamment par les personnes suivantes : le Conseiller de Gahini Jean Bosco Butera et son frère cadet François Karegeya, le secrétaire de la Commune Rukara Mugiraneza Alphonse, un enseignant à l’Ecole Secondaire de Gahini François Rudacyahwa, Emmanuel Kamanda, Emmanuel Nshinzishyaka surnommé Bolingo, Emmanuel Uwizeye, Donat Munyemana, le Sergent Adelite Habyarimana et le Lieutenant Ruvugo.

Ainsi, le même jour vers midi, les Tutsi ont été traqués, recherchés partout où ils pouvaient se cacher, même dans les maisons des Hutu soupçonnés être leurs amis. Beaucoup d’entre eux ont fui et sont allé chercher refuge dans les Eglises, notamment auprès des Paroisses de Rukara et Mukarange dans la Commune Muhazi.

Le 9 avril, le marché d’Akabeza baignait dans le sang des victimes qui venaient d’y être massacrées, et le même jour les réfugiés de l’Hôpital de Gahini furent aussi attaqués et tués sous la supervision du Conseiller Jean Bosco Butera et des gendarmes qui assistaient aux meurtres. Seuls, une poignée de femmes et un garçon ont survécu à ces tueries et ont pu trouver refuge dans la Paroisse de Rukara.

Les tueries à l’Hôpital de Gahini furent accompagnées d’atrocités extrêmes. Les armes utilisées le plus souvent étaient des bâtons, des machettes et de petites haches.

Après ces tueries, les bâtiments ont été nettoyés et les corps des victimes furent jetés dans les fosses latrines et dans une fosse Commune creusée près de l’Hôpital. Les choses considérées sans valeur étaient brûlées sur place, tandis que les vaches et les chèvres étaient emmenées par les tueurs.

Selon l’envoyé spécial du journal L’Humanité, Jean Chatain, les troupes du FPR sont arrivées à Rukara en provenance de leur quartier général de Mulindi vers le 13 avril. Gérard Gasherebuka, un survivant interviewé par l’envoyé spécial du journal l’Humanité déclare : J’ai pu voir le charnier de Rukara : entre 700 et 800 cadavres qui pourrissaient sur la place, dans la Paroisse et les bâtiments voisins». Le survivant a été sauvé par l’arrivée des troupes du FPR. (Fin)