«Génocide des Tutsi du Rwanda : Pourquoi le travail de mémoire et pas le dialogue de mémoire?» -Prof Valérie Rosoux

Prof Valérie Rosoux est Directrice de Recherche à l’Université Catholique de Louvain en Belgique

La Prof Valérie Rosoux est Directrice de Recherche à l’Université Catholique de Louvain en Belgique et elle aborde la question de travail de mémoire et pas le dialogue de mémoire. C’était lors de la Conférence Internationale organisée par RCN J&D la dernière semaine : Lire son intervention. -Travail de mémoire : parce que la mémoire est douloureuse après un génocide. On ne peut pas échapper à la notion d’effort et de travail, tellement c’est dur.

-Pourquoi pas dialogue : parce qu’après une violence politique de cette ampleur, il n’y a pas de dialogue naturel. C’est aussi un effort et un travail. Peut-être que le dialogue, c’est le cap, c’est peut-être l’idée de la dynamique qu’il faut rechercher, mais ça ne semble jamais naturelle sur un terrain post-conflit. Premièrement, c’est douloureux ; deux, ce n’est pas naturel ; et trois, même après une guerre sans génocide, a fortiori dans le cas d’un génocide, après ce type de violence, on ne compte pas en années, on compte en générations.   C’est hyper difficile à comprendre, mais c’est ce qui est observé par tous. Vous ne pouvez pas attendre des groupes qui ont été marqués par ce type de violence qu’ils se rapprochent vite.  Le changement de croyances, des représentations prend du temps. Ça appelle à la modestie. Je comprends que le gouvernement soit hyper ambitieux, -je ne pense pas qu’il ait d’autres possibilité-, mais il y a un  prix à l’ambition. Ça demande des efforts à tous les niveaux, énormément des moyens, des énergies colossales. Bien garder en tête le fait que les rivières ne se mélangent pas vite.

Deuxième question : C’est la reconnaissance de toutes les victimes. Je ne veux pas du tout rentrer dans une polémique, par contre, ce que je peux apporter, c’est  un point de réponse éventuelle, c’est ce qui a été observé sur plusieurs continents concernant la mémoire et le travail de deuil après les crimes.

Arrivé sur un terrain d’après-guerre, c’est comme arriver sur un terrain qui a été asséché, pris d’incendie.  Quand on arrive sur une forêt qui a été pris par un incendie, ce qui est frappant, c’est que tous les arbres de manière singulière ont été affectés. Tous de manière plus ou moins forte. 

Le post conflit : la reconstruction implique que l’on traite pratiquement arbre après arbre, les problèmes (les blessures et les brûlures). C’est gigantesque.  Et si toute une partie d’une  population, quel que soit le pays, quel que soit le conflit, n’est pas pris en compte dans ce traitement, s’il y a un déni des crimes passés. C’est comme je vous disais tout à l’heure en fait, personne ne pose droit dans la génération qui suit. Ça n’implique pas seulement que le chagrin passe d’une génération à l’autre. Ça implique que le ressentiment non seulement passe mais gonfle. Ce qu’on observe dans le groupe de recherche dans lequel je suis, quand on a trois générations dans la même famille, et qu’il y a eu un déni de la violence initiale, la génération la plus violente n’est pas la première. Ce n’est pas seulement les vieux qui ne changent pas, ce n’est pas ça. La génération qui est la plus porteuse de violence au sens large, la plus porteuse des émotions les plus intenses et je pense les plus dangereuses, c’est la troisième.  La dernière.

Seulement pour vous dire, je me résume, quand il y a un déni de reconnaissance, les choses ne se digèrent jamais simplement avec le temps qui passe. Ça pourra prendre une génération, deux générations, trois générations ou plus, il y a toujours une voix qui viendra toujours demander le droit à la mémoire. Donc, il n’y a pas d’alternative à la reconnaissance. La question n’est pas si mais quand. Voilà. (Fin)