La justice française ordonne le transfert de l’ancien homme d’affaires rwandais, Kabuga Félicien, pour répondre des charges de génocide devant la juridiction onusienne.

Félicien Kabuga

Kigali: Mercredi le 3 juin 2020, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a rendu une décision ordonnant le transfert de Félicien Kabuga, poursuivi pour des crimes liés au génocide des Tutsi, commis au Rwanda en 1994, vers le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), une structure instituée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour exercer les fonctions résiduelles des deux tribunaux ad hoc, à savoir le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie «TPIY» et Tribunal pénal international pour le Rwanda «TPIR»

Après son arrestation à Asnières-sur-Seine dans la région de Paris, il était question pour la justice française de se prononcer sur la validité du mandat d’arrêt émis par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, sur le maintien ou non en détention de l’accusé, ainsi que sur son transfert devant le Mécanisme onusien.

A l’audience du 27 mai, Kabuga et sa défense avaient  sollicité de la cour de remettre l’accusé en liberté, soutenant qu’il n’y avait pas de risques d’altération des preuves, de pression sur les témoins, ni de trouble à l’ordre public, ils avaient aussi invoqué son âge avancé et son état de santé ainsi qu’une garantie de représentation. Le Parquet avait quant à lui, plaidé pour le maintien en détention, rappelant que  Kabuga avait réussi à fuir la justice pendant 25 ans, et soutenant que sa remise en liberté présentait le risque de fuir à nouveau et qu’il représentait un risque évident pour l’ordre public.  L’avocat général avait également souligné que, dès lors que Kabuga était détenu à la prison de la Santé, qui présente des garanties nécessaires, il n’y avait pas lieu à se faire des soucis quant à son suivi sanitaire.

Sur la question du transfert, la défense avait avancé des motifs tenant à la langue utilisée dans le mandat d’arrêt délivré par la juridiction onusienne et au système de santé de la Tanzanie qui, d’après la défense, ne présente pas de garanties pour l’accusé, compte tenu de son état de santé et de son âge avancé.  Kabuga et sa défense avaient également fait valoir que les juridictions françaises étaient compétentes pour le juger, estimant que son transfert vers le Mécanisme aurait pour conséquence de transformer l’affaire en un procès politique, et de le priver d’un procès équitable.  La défense avait également mis en cause le principe de primauté de la juridiction onusienne sur les juridictions nationales.

A l’issue de l’audience du 27 mai, le juge avait rejeté la demande de remise en liberté sur motifs d’« insuffisance de représentation et pour risque de trouble à l’ordre public »,  tandis que l’affaire avait été mise en délibérée quant à la question relative au transfert vers le MTPI. C’est ce mercredi 3 juin, que la chambre a statué en faveur du transfert, jugeant que l’état de santé de Kabuga n’était pas incompatible avec son transfert.

L’accusé et les chefs d’accusation

Kabuga Félicien est un ancien homme d’affaires rwandais, né le 19 juillet 1935, à Muniga, dans la préfecture de Byumba (actuel District de Gicumbi).  Il était proche de l’ancien Président Juvenal Habyarimana, avec qui, il avait un lien d’alliance,  deux de ses filles étant mariées aux fils de l’ancien Président.

Il est accusé notamment d’avoir joué un  rôle important dans la création de la «  radiotélévision libre des mille collines – RTLM » et du journal « Kangura » – tous des médias qui diffusaient des messages incendiaires contre les Tutsi, et d’un rôle  dans la création et l’armement de la milice Interahamwe. Il était visé depuis 1997 par un mandat d’arrêt du Tribunal Pénal International Pour le Rwanda qui l’inculpaient de sept chefs d’accusation de génocide, de complicité de génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, de tentative de génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, de persécution et d’extermination. Kabuga qui nie les accusations portées contre lui, a réussi à vivre en cachette pendant plus de 25 ans et à se maintenir hors d’atteinte des instances judiciaires onusiennes qui le recherchaient à savoir le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) et le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (MTPI). Il était alors considéré comme l’un des fugitifs les plus recherché au monde.

Arrestation et suite de la procédure

Après 26 ans de cavale, Félicien Kabuga a été arrêté à Asnières-sur-Seine dans la région de Paris, le 16 mai 2020, dans le cadre d’une opération dénommée « opération 955 » – ce nombre correspond au numéro de la résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 8 novembre 1994, qui a institué le Tribunal Pénal International pour le Rwanda.  Suite à la décision citée plus haut de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, Kabuga devra désormais être transféré au MTPI pour la suite de la procédure et ensuite pour y être jugé sur le fonds. A noter toutefois, que la défense dispose de la faculté d’exercer un recours devant la Cour de Cassation française.  Cette dernière aura deux mois pour rendre soit un arrêt de rejet qui confirme le transfert, ou un arrêt de cassation qui  aurait pour conséquence de renvoyer l’affaire pour être examinée à nouveau par une cour d’appel. (Fin).

Cette note d’information est une communication du programme « Justice et Mémoire » qui vise à faciliter aux populations rwandaises la compréhension et la participation aux procès de génocide sur base de compétence universelle, et favoriser l’intégration des apports de ces procès dans la mémoire de la justice du génocide.

Ce programme est conduit par les organisations RCN Justice & Démocratie, PAX PRESS, Haguruka et Association Modeste et Innocent (AMI).  Ce programme entend suivre la suite de la procédure et informer sur le déroulement de ces procès.

Ce programme bénéficie du soutien financier de la Belgique à travers la Direction générale au développement (DGD). Les diffusions du programme n’engagent pas la DGD.