«La lecture de mes livres forme les jeunes générations qui ne savent pas beaucoup sur l’idéologie qui a conduit au génocide» – JMV Rurangwa

Basile Diatezwa (RDC) et JMV Rurangwa (Rwanda)

Canadien d’origine rwandaise, homme de théâtre, romancier, Jean-Marie-Vianney Rurangwa (RJMR), a participé aux Rencontres du Livre Francophone de Mars 2025 à Kigali. Dans la présente interview à André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI), il aborde son ouvrage sous l’angle de la lutte contre l’idéologie, contre le racisme et contre le génocide, des réalités trop présentes dans la région des Grands Lacs.

ARI -Il y a certains de vos ouvrages qui se focalisent sur la lutte contre l’idéologie du génocide, contre le génocide, et qui devraient être lus par la jeunesse et par l’ensemble des populations de la région. Quels sont ces livres ? 

RJMV – J’ai écrit deux livres qui ont pour thématique le génocide des Tutsi, et surtout l’idéologie raciste qui a conduit au génocide. Le premier s’intitule « Le Génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda expliqué à ses enfants ». C’est un livre qui est né du café littéraire qui a eu lieu en 2019 lors de la 25ème commémoration du génocide du Tutsi du Rwanda. Les jeunes du Rwanda m’ont posé la question suivante : « Pourriez-vous nous écrire un livre qui expliquerait de façon très simple le génocide du Tutsi du Rwanda ? ». Je l’ai dit, ce n’est pas facile, mais ce n’est pas impossible.

Quand je suis arrivé à Ottawa, où je vivais, j’ai écrit ce livre. Après une année, je l’avais fini et je suis venu le présenter. C’est un livre que j’ai écrit sous forme d’entretien entre un père qui est professeur d’université, Jean de Dieu Namahire, qui répond aux questions de ses quatre enfants, Yannick, Alice, Yvan et Diane.

Les enfants lui posent des questions relatives notamment au mémorial. « Papa, qu’est-ce que c’est un mémorial ? » Alors, j’explique ce que c’est un mémorial. Parce qu’ils voient toujours le mémorial de Nyamata, le mémorial de Gisozi, etc…

Alors, j’ai dit que le mémorial peut désigner trois choses. Par exemple, il peut désigner un écrit où l’on consigne des choses, des souvenirs familiaux, par exemple, qu’on ne veut pas oublier. Par exemple, si j’écris un livre où je raconte ce que je faisais en famille quand j’étais petit, ce que faisaient mes frères, ce que faisaient mes parents, ce que nous en avons dit, ce que nous leur avons dit, ça s’appellera un livre mémorial de la famille.

Le mémorial peut désigner ensuite un monument qui est dédié aux gens qui se sont distingués par des actions extraordinaires. Par exemple, les martyrs de la patrie, les héros de la patrie, les gens qui sont morts, qui ont perdu leur vie pour une cause, pour la justice, pour l’égalité, pour la paix, etc. 

Il peut désigner aussi une action. Par exemple, on a au Rwanda ce qu’on appelle le mémorial Rutsindura, en mémoire de ce professeur de volleyball et de latin, Virgo Fides, qui a été assassiné pendant le génocide et qui était entraîneur de volley. Donc, on organise chaque année, pendant la période commémorative, un tournoi de volleyball en mémoire de ces hommes-là. Il y a le mémorial, par exemple, Sakumi, qui est en fait un tournoi de cyclisme fait au Rwanda chaque année, lors de la période commémorative, en mémoire de cet industriel rwandais qui voulait un sport pour tous et qui prêchait l’excellence pour tous, une égalité des chances dans cette discipline qui s’appelle le cyclisme.

Et puis, il pose des questions. Comment est venu le génocide ? Est-ce que le génocide, c’est parce qu’il y a eu le crash de l’avion ? Je dis non, non, non. Le crash de l’avion constitue un prétexte qu’ont évoqué les extrémistes pour perpétrer le génocide des Tutsi. Donc, le génocide est né d’une idéologie raciste anti-Tutsi. C’est une idéologie à des origines coloniales.

Je l’explique comment, quand les Européens sont venus, ils ont commencé à diviser le peuple du Rwanda, un peuple qui était uni, qui avait une homogénéité culturelle, même langue, même culture, et qui vivait indistinctement sur le même territoire. Et puis, ils ont commencé à dire que les Hutus sont des Bantous qui viennent du Tchad, des bords du Lac Tchad, que les Tutsis viennent d’Abyssinie. Et voilà, donc déjà, un peuple qui ne s’était jamais dit venir d’ailleurs. On commence à lui donner des origines étrangères. Et là, ça a eu des effets, évidemment, néfastes. Parce que, quand le président Kayibanda a pris le pouvoir, il a affirmé, il a clamé haut et fort que les Tutsis n’étaient pas des Rwandais. Donc, ils étaient des Abyssiniens. C’est-à-dire que, quand on les exilait, on leur disait : « Allez, retournez chez vous ». Et jusqu’au moment du génocide, en 1994, les Tutsis étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. Quand il ne suffisait pas de les discriminer, il fallait aussi les exterminer. Voilà, donc, il y a beaucoup de questions.

Et alors, j’explique le génocide, les différentes phases du génocide. Selon Grégory Stanton, par exemple, la catégorisation, la classification, la déshumanisation, la préparation, l’organisation, l’exécution, le négationnisme, etc. Donc, en comparant, par exemple, le génocide des Tutsis à la Shoah, c’est-à-dire au génocide des Juifs, j’essaie d’expliquer, avec des exemples à l’appui, comment, en fait, le génocide est un processus. C’est un processus très long qui comprend des phases, etc. Donc, il y a tant de questions que les enfants posent à leur père, et celui-ci leur répond. Voilà.

Le deuxième livre s’intitule « Au-delà de l’Imaginable ou le destin impensable du jeune Kabalisa, le jeune ou l’indépendant Kabalis ».

Là, maintenant, je commence en amont, c’est-à-dire, c’est un enfant qui étudie à Nyamata, il est premier de classe, mais il est discriminé, il ne peut pas réussir, il ne peut pas être admis à l’école secondaire parce qu’il est Tutsi. Et chaque jour, le professeur, qui était raciste, prêchait toujours, les discriminés, les Tutsis en leur disant de se lever, de lever le doigt pour qu’ils soient stigmatisés, etc. Et là, il ne réussit pas, plutôt, il ne parvient pas à aller à l’école secondaire, alors qu’il est premier de classe.

Il va s’exiler au Burundi pour chercher où étudier. Il va trouver une place au Collège Saint-Albert, un collège qui était destiné aux réfugiés rwandais, évidemment, des enfants qui étaient rebutés par le système discriminatoire au Burundi à l’époque. Donc, il trouve la place, et puis, il est premier de classe, et il a même une bourse d’études pour la Suisse, mais au lieu d’aller en Suisse, il s’engage dans les rangs du Front Patriotique rwandais.

Et donc, il va combattre, et quand il revient, il trouve que sa famille a été assassinée et a été exterminée, sauf une fille, donc sa sœur, Mukabalisa, qui a été entraînée, qui a été révisée par les médecins jusqu’au Congo, et puis, elle a été engrossée par son sauveteur qui avait tué les membres de sa famille. Et quand elle revient en 1995, elle a un enfant qu’il a eu de son violeur. Et voilà, le problème, le roman finit en se posant la question, est-ce qu’il va tuer cet enfant ? Mais non, en fait, l’enfant est innocent, mais c’est dur à accepter. Il doit élever le fils de l’assassin de sa famille, mais c’est aussi son neveu, donc il accepte l’inacceptable, en fait. 

C’est comme cela que finit le roman. Donc au lieu de tuer l’enfant, il le laisse vivre. Voilà, en fait, ces deux livres qui ont comme thématique centrale le génocide des Tutsis du Rwanda, évidemment, avec l’idéologie raciste qui l’a engendré.

Dans un panel à Kigali avec d’autres écrivains : de g.à d. : Maria Malagardis ; Manzi Rugirangoga ; Basile Diatezwa ; JMV Rurangwa.

ARI – Le rapport de vos livres avec ce qui se passe en RDC. Quels conseils donnez-vous ? 

RJMV – Comme je l’ai dit, le génocide, c’est le fruit d’une idéologie raciste. Et on voit au Congo des gens qui commencent à discriminer les Banyamulenge, et cela depuis les années 1960. J’ai écouté hier l’intervention du professeur Basile Diatezwa, quand il disait que justement la discrimination des Banyamulenge, qui sont des Congolais Tutsi rwandophones, alors, on leur a assigné toujours une identité rwandaise alors qu’ils sont Congolais. Et cela est dû, évidemment, à la Conférence de Berlin du 15 Novembre 1884 au 26 Février 1885, et au cours de laquelle les Européens se sont partagés l’Afrique. Et là, sans tenir compte des affinités linguistiques des populations africaines. Si bien qu’on a des communautés transfrontalières. Donc, il y a par exemple des Congolais, des populations qui sont devenues Congolaises à cause de la Conférence de Berlin. Donc, il y a des Congolais qui ont été coupés du Rwanda pour appartenir au Congo.

Cela se trouve un peu partout en Tanzanie. Il y a des Massai, par exemple, au Kenya et des Massaï en Tanzanie. Il y a des Bakongo en Angola et des Bakongo au Congo. A cause de la Conférence de Berlin, il y a des identités transfrontalières. Le problème du Congo, c’est que les régimes politiques qui se sont succédés au pouvoir discriminent ces Banyamulenge en leur disant qu’ils sont des Rwandais, qu’ils doivent retourner au Rwanda. Alors que là où ils sont, c’est chez eux.

Donc, cette idéologie raciste a conduit aussi aux différents pogroms qui ont été perpétrés contre eux. Jusqu’à ce que finalement, ils aient décidé de prendre les armes pour une autodéfense. Donc, pour se défendre contre d’autres groupes qui veulent les exterminer.

On entend à la radio, par exemple, et dans les médias du Congo, des gens qui prêchent l’extermination des Tutsis, comme exactement la Radio RTLM ou le journal Kangura prêchait l’extermination des Tutsis. Il y a une véritable similitude entre ces événements. 

ARI – Et vous recommandez que ces livres soient lus en RDC et dans la région parce qu’ils aident les gens à comprendre le mal qu’est l’idéologie du génocide ?

RJMV – Oui. Et à fraterniser avec les autres. C’est ça. Nous, quand on écrit, c’est toujours pour que le monde soit plus fraternel, plus humain. Donc, je recommande la lecture de ces livres. Surtout pour les jeunes générations qui ne savent pas beaucoup sur l’idéologie qui a conduit au génocide. Donc, ça va les édifier. Ça va leur apprendre les effets pernicieux de ces idéologies pour qu’ils les évitent. Pour faire tout pour que, évidemment, on vive dans une société un peu fraternelle, humaine. 

ARI- Mais ce qui est plus intéressant aussi, dans cette même veine, vous préparez un livre, toujours sur la lutte contre le racisme. 

RJMV – Oui. C’est un livre qui m’a été inspiré par l’assassinat de l’afro-américain George Floyd à Minneapolis. Donc là, vraiment, j’ai écrit déjà un article que j’ai appelé « Au-delà du crime de Minneapolis ». Et là, j’ai vu qu’il fallait que j’écrive cette fois-ci un roman sur le fond du racisme. Et j’ai soumis le projet au Conseil des Arts de l’Ontario, là où je vis, au Canada. Et puis, ils m’ont financé, ils m’ont accordé une subvention qui me permet de faire une résidence d’écriture. Et c’est ainsi que maintenant, au Pays-Bas, là où je suis maintenant, dans une ville qui s’appelle Deventer, je suis en train d’écrire ce livre et j’espère pouvoir le finir l’année prochaine. (Fin)

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