La tuberculose, une réalité à Rubavu

Mieux vaut voir une chose une fois que de l’entendre cent fois, dit l’adage. Pour mieux cerner la vie des tuberculeux, il faut aller à leur rencontre. Allongées sur leurs lits dans la salle d'isolement de l'hôpital de Gisenyi, ils se sont entretenus volontiers avec nous.

L’exercice n’a pas été facile.  Nous avons eu, au départ, du mal à les approcher de peur d'une probable contamination. Cependant, un document lu nous a rassurés que le risque de contamination de la tuberculose repose sur 4 facteurs à savoir la durée de la contagiosité, le nombre d'interactions de l'entourage avec un cas contagieux par unité de temps, la virulence du bacille ainsi que la sensibilité individuelle.
 
Contrairement à ce que la plupart des gens croient, la tuberculose n'est pas aussi aisément transmissible que d'autres maladies à contamination aérienne. Pour être transmissible par voie aérienne, l'agent infectieux doit demeurer en suspension dans l'air. Une étude menée par Riley avant l'ère des antibiotiques a pu montrer qu'il fallait à un infirmier de 12 à 18 mois d'exposition aux patients tuberculeux, en moyenne, pour être infecté.
 
Paroles des personnes atteintes
 
Justin Gatabazi a repris son travaille de commerçant ambulant à Gisenyi après être resté alité pendant plusieurs semaines l'hôpital de Gisenyi. Il explique d’abord comment il a  attrapé la tuberculose.
 
 «J’ai contaminé la tuberculose dans un restaurant. J’ai eu la malchance de boire de l’eau dans un gobelet qui a été utilisé par une personne atteinte de tuberculose et ce gobelet  n’avait pas été bien lavé et essuyé par ces garçons qui travaillent dans ce restaurant ».
 
Question : Pourquoi a-t-il pris son repas dans un restaurant qui ne respecte pas les normes d’hygiène ?  
 
«Mes moyens ne me permettent pas de manger dans un restaurant où un plat coûte plus de 500 francs rwandais qui respecte l’hygiène. Dans le restaurant que je fréquentais, il y a lieu d’y trouver un repas de 150 francs. Avec 300 francs, je suis rassuré d’avoir deux repas par jour. Trouver un restaurant pareil, c’était un cadeau du ciel pour quelqu’un comme moi qui gagne tout au plus 500 francs par jour. Sans oublier que je suis colocataire. Nous louons une chambrette de 5000 francs à deux.», s’explique-t-il.
 
«Je ne suis plus retourné dans ce restaurant depuis que je suis sorti de l’hôpital. J’ai été déconseillé par le médecin qui m’a soigné. Depuis, je fais la cuisine moi-même.», ajoute-t-il.  
 
Gratuité des médicaments   
 
A l’instar de Justin Gatabazi, d’autres personnes atteintes de tuberculose que nous avons rencontrées à l'hôpital de Gisenyi nous ont confirmé qu'elles étaient bien traitées par des infirmiers qui leur donne des médicaments gratuitement qu'ils prennent à leur présence. Ce qu'ils paient, ce sont les frais d'hospitalisation seulement qu'ils trouvent, par ailleurs, raisonnables.
 
Autre chose, ils nous ont appris que le régime alimentaire prescrit est constitué des aliments un peu chers et qui ne sont pas donc à leur portée: du lait, de la bouillie de Sorgho, Maïs et Soja,… que beaucoup ne trouvent pas facilement. Heureusement que, souvent, des personnes de bonne volonté issues de différentes sectes religieuses leur amènent à manger.
 
Stigma, le plus grand problème
 
Le plus grand problème évoqué par ces patients demeure la stigmatisation par leurs familles, frères ou amis. Ces derniers leurs rendent visite très rarement ou jamais.
 
Nous n'avons pas, pour la plupart des cas, des gardes-malades. Les nôtres nous rendent rarement visite parce qu’ils craignent d’être contaminés. Nous avons le sentiment d’être abandonnés à notre triste sort. Les visites que nous recevons à de belles rares occasions des gens issus de différentes religions nous réconfortent et nous réchauffent les cœurs.", a déclaré l’une de ces malades.  
 
Du côté des infirmiers, la stigmatisation n'est pas trop remarquable puisque eux, au moins, ils ont moins peur de la contamination d'autant plus qu'ils portent des masques pour la prévention de la transmission.
 
Tuberculose et Sida liés.
 
Une infirmière à l'hôpital de Gisenyi nous a appris que la plupart des tuberculeux hospitalisés sont séropositifs. «Raison pour laquelle ils traînent à l'hôpital car leur tuberculose demeure pour longtemps. Quant aux autres tuberculeux, le traitement ambulatoire doit être appliqué en cas de retraitement, de l'état clinique du malade ou compte tenu de la distance du domicile au centre de traitement », dit-elle.
 
D'après elle, l'un des plus importants facteurs de déclenchement de la tuberculose est le Sida. Il augmente le risque d'être infecté, entraîne une évolution beaucoup plus rapide de l'infection à la maladie et accroît le risque de réactivation d'une tuberculose ancienne.
 
Toujours d'après l'infirmière, à l'hôpital de Gisenyi, les catégories les plus touchées par la maladie regroupe toutes le couches de la population : élèves, fonctionnaires, militaires et surtout les prisonniers dont la tranche d'âge varie entre 25 et 50 ans. Chez les enfants, le problème ne se pose plus avec acuité car ils sont vaccinés le plus rapidement possible après la naissance, et en tout état de cause avant l'âge de 1 an même chez les enfants nés des mères séropositives.
 

Une tuberculeuse sous traitement

Le Rwanda figure parmi les pays qui ont mis en place une prise en charge intégrée du VIH et de la tuberculose, englobant des services de conseils et de dépistage du VIH, de diagnostic de la tuberculose, et de traitement des malades co-infectés.
 
Pour le Dr. Michel Gasana du programme de lutte contre la tuberculose au Rwanda, l’approche de « guichet unique » centrée sur les patients constitue un élément essentiel du dispositif. Le pays a entièrement revu la manière dont les services sont organisés et financés. Grâce à une politique de dépistage systématique (sauf refus du patient), plus de 76 % des patients tuberculeux ont eu un test de dépistage du VIH en 2006.
 
Traitement en deux phases
 
Pour ce qui est du dépistage, l'infirmière de l’hôpital de Gisenyi nous a informés qu'au Rwanda, on adopte la stratégie de dépistage "passif" qui consiste en la recherche systématique des sources d'infection tuberculeuse parmi les malades se présentant spontanément aux formations sanitaires pour symptômes respiratoires : toux avec ou sans expectoration depuis plus de trois semaines accompagnée ou non de fièvre, amaigrissement inexpliqué, douleurs thoraciques, sueurs nocturnes,…
 
A propos du traitement de la maladie, l'infirmière nous a appris que l'OMS recommande des médicaments administrés en 2 phases : pendant la phase initiale, la plupart des bacilles sont éliminés et la majorité des cas devient non contagieux. La deuxième phase du traitement, les médicaments sont administrés sous supervision directe qui augmente l'adhérence aux médicaments, assure la prise correcte à la dose correcte et pour une période déterminée.
 
Durant 2 mois, chaque jour, des comprimés combinés de Rifampicine, Isoniazide, Pyrazinamide (RHZ) et les comprimés d'Ethambutol (E) seront administrés. A la fin des 2 mois, on examine les crachats. Si le malade reste positif, on prolonge 1 mois la phase intensive ; s'il est négatif, il entre dans la phase de continuation pendant 4 mois où les comprimés combinés seront pris 3 fois par semaine.
 
Un défi : l’abandon des médicaments
 
La plus grande difficulté rencontrée dans le traitement de la tuberculose à Gisenyi comme partout ailleurs dans le pays demeure l’abandon des médicaments avant la guérison définitive.
 
Désiré Rukundo est assistant médical formé au Congo à l’ISTM (Institut Supérieur des Techniques Médicales). Il travaille dans une clinique privée à Gisenyi depuis son retour au pays. Il affirme que les cas de tuberculose sont fréquents dans sa clinique.
 
«Beaucoup de malades sous traitement éprouvent une amélioration rapide et ne comprennent pas le besoin de continuer le traitement. Pourtant, la meilleure garantie de succès est la régularité au traitement jusqu'à la fin », explique-t-il.
 
Désiré Rukundo nous a montré un patient qui est soigné contre la tuberculose dans sa clinique pour la deuxième consécutive pour avoir abandonné le traitement avant la guérison définitive. Il s’appelle Yves Ntwali. Nous lui avons tendu le micro et voici ce qu’il nous a dit : « J’ai réalisé que je ne toussais plus et j’ai estimé que ça ne valait plus la peine de continuer à prendre les médicaments. »
 
Yves Ntwali affirme en avoir pris de la graine. «La tuberculose est une malade fort embêtante. Tu tousses tout le temps, les gens ne t’approchent pas au risque d’être contaminés. Tu es en quelque sorte marginalisé. Cette fois-ci, je respecterai les prescriptions du médecin jusqu’à ce que je sois  complètement guéri. », dit-il entrain de tousser sans répit.
 
Historique
 
Au Rwanda, la tuberculose est connue depuis plusieurs siècles comme une maladie extrêmement redoutable par sa gravité, sa contagiosité et son pronostic fatal. Malgré la création du Sonatorium national à Rwamagana en 1852, il apparut clairement que l'activité de cet établissement n'aurait qu'un impact limité sur l'ensemble de la population.
 
Il fallait donc un programme de lutte plus réaliste et plus compatible avec les moyens du pays. C'est ainsi qu'à partir des années 1970, le pays en collaboration avec l'OMS a lancé une série de campagnes de lutte antituberculeuse avec 3 composantes : La prévention par la vaccination au BCG, la détection des cas contagieux et leur traitement.
 
Avec l'avènement du VIH/SIDA dans les années 80, l'incidence et la prévalence de la tuberculose sont passées à une vitesse supérieure. Ainsi pour y faire face, il a fallu mettre sur pied un Programme national de lutte contre la tuberculose.
 
Cette maladie est une grande préoccupation dans la plupart des pays à faibles revenus ; c'est la cause de décès la plus fréquente chez les personnes âgées de 15 à 49 ans. C'est pourquoi les mesures prises pour lutter contre cette maladie, en tan que problème de santé publique, sont du ressort des autorités sanitaires du pays.
 
La tuberculose est une maladie infectieuse provoquée, dans la plupart des cas, par un micro-organisme (bacille) nommé Mycobacterium tuberculosis. Ce bacille pénètre habituellement dans le corps humain par inhalation dans les poumons. A partir de la localisation pulmonaire initiale, il se multiplie et gagne d'autres parties du corps via le système sanguin, le système lymphatique, les voies aériennes, ou par propagation directe à d'autres organes.
 
La tuberculose pulmonaire est la forme la plus fréquente de la maladie et concerne plus de 80% des cas. C'est la seule forme de tuberculose qui soit contagieuse.
 
La tuberculose extra – pulmonaire atteint des organes autres que le poumon, le plus souvent la plèvre, les ganglions lymphatiques, la colonne vertébrale, les articulations, les voies génito – urinaires, le système nerveux ou l'abdomen. La tuberculose peut toucher n'importe quelle partie du corps.
 
Concernant la prévention, des activités d'IEC (Information, Education et Communication) sont planifiées et exécutées dans toutes les formations sanitaires du pays. En plus de cela, l'IEC est médiatisée à la Radio, Télévision, dans des journaux, affichages, etc. dans le cadre de la campagne anti-tuberculeuse. Par ailleurs, la vaccination est obligatoire pour tous les nouveau-nés et fait partie du Programme Elargi de Vaccination (PEV).