LE 12 AVRIL 1994: LA MISE EN OEUVRE DU GÉNOCIDE PERPÉTRÉ CONTRE LES TUTSI À TRAVERS TOUT LE PAYS

By Bizimana Jean Damascène*

Kigali: Le 12 avril 1994, le gouvernement criminel a continué à mettre en œuvre son plan génocidaire d’exterminer les Tutsi dans tout le pays. Dans le cadre de nous remémorer les victimes du Génocide perpétré contre les Tutsi, la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG) continue à rappeler l’histoire de ce Génocide, comment celui-ci a été mis en œuvre au quotidien, et ci-après comment il a été exécuté à travers le pays le 12 avril 1994.

1.         FridoualdKaramiraet le MDR-Power ont appelé tous les extrémistes Hutu à  exterminer les Tutsi

Depuis le 7/4/1994, les dirigeants politiques et gouvernementaux ont commencé à mobiliser le soutien populaire pour le génocide. En incitant le peuple contre les Tutsi, ils ont clarifié le message indirect livré la veille aux administrateurs. S’exprimant sur Radio Rwanda tôt le matin du 12 avril 1994, le leader du MDR-Power, Frodauld Karamira, a déclaré à ses auditeurs que la guerre était «la responsabilité de tous», une idée qui serait répétée fréquemment au cours des prochaines semaines. Il a appelé les gens à «ne pas se battre entre eux» mais plutôt à «aider les forces armées à terminer leur travail».Il s’agissait d’une directive aux partisans du MDR-Power d’oublier leurs divergences avec le MRND et le CDR et de collaborer avec eux pour traquer les Tutsis. Sans cette collaboration, préconisée par Karamira depuis son discours sur le «pouvoir hutu» en octobre dernier, le génocide serait resté limité aux places fortes du MRND et de la CDR.

Le même jour, Radio Rwanda a diffusé un communiqué de presse du ministère de la Défense. Il a nié les «mensonges» concernant les divisions dans les forces armées et parmi les Hutus en général et a insisté pour que:“Des soldats, des gendarmes et tous les Rwandais ont décidé de combattre à l’unisson leur ennemi commun et tous l’ont identifié. L’ennemi est toujours le même. C’est lui qui a toujours essayé de ramener la monarchie renversée … Le ministère de la Défense demande aux Rwandais, aux soldats et aux gendarmes ce qui suit: les citoyens sont invités à agir ensemble, à effectuer des patrouilles et à combattre l’ennemi”.

Le 12/4/1994, le gouvernement génocidaire quitte Kigali et s’installe à Gitarama ou il continue de coordonner l’extermination des Tutsi.

2.         A  Kigali, les cadavres sont jetés dans des bennes à ordures par des prisonniers et déversés dans des tranchées creusées par des bulldozers.

Le général Dallaire apprend par des observateurs militaires de l’ONU que des massacres sont en cours à Gisenyi et à Kibungo. Il rapporte qu’à Kigali, les cadavres sont jetés dans des bennes à ordures par des prisonniers et déversés dans des tranchées creusées par des bulldozers du Ministere des travaux publics, département des ponts et chaussées. Ce service était dirigé par Alphonse Ntirivamunda, gendre du président Habyarimana, aujoyurd’hui résidant en Belgique.

3.         Le Secrétaire général des Nations Unies, Boutros-Ghali propose le retrait de la MINUAR au début du génocide

À Bonn, W. Claes, ministre belge des Affaires étrangères, déclare à Boutros Boutros-Ghali : «La MINUAR est devenue sans objet. […] La MINUAR est en danger. […] Il règne un climat antibelge.» Il propose «la suspension et le retrait de la MINUAR.» Boutros-Ghali lui répond : « Je partage votre analyse. ». Jusque-là, les Nations Unies ont toujours refusé de renforcer le mandat de la MINUAR malgré les incessants appels du général Dallaire.

Boutros-Boutros Ghali était pendant tout ce temps hors des Etats Unis, il continuait ses voyages à l’étranger malgré les rapports alarmants qui provenaient de la MINUAR faisant état de plusieurs morts depuis le 7/4/1994.

4.         Extermination des Tutsi à Mukarange dans le district de Kayonza

En dates du 11-12 avril 1994, le massacre des Tutsi a pris une ampleur sans précédent dans la cellule de Nyawera, secteur Mukarange, en Commune Muhazi avec une inhumanité hors du commun. C’est ainsi que les miliciens Interahamwe ont sauvagement tués une dame du nom de Murebwayire qui était enceinte, l’ont éventrée avec une machette, ont enlevé son bébé et les ont brûlés vifs avec des acclamations du public.

A la paroisse catholique de Mukarange, les Tutsi s’étaient réfugiés entre les 7 et 9 avril 1994, ont été attaqués par des miliciens et ont commencé à se défendre avec des pierres, des briques et autres moyens. En date du 12 avril 1994, les autorités locales conduites par le bourgmestre Senkware Célestin, appuyées par des militaires, des gendarmes et des miliciens ont mené une attaque contre le presbytère de Mukarange pour tuer les Tutsi. Ils ont violemment frappé le curé de la paroisse Joseph Gatare qui était en même temps le directeur de l’école secondaire de Mukarange qui est décédé quelques temps après. Le vicaire Hutu de la paroisse, Munyaneza Jean Bosco s’est interposé pour sauver son confrère et les Tutsi qu’ils hébergeaient. Il a été abattu sur le champ, puis l’extermination massive a suivie.

Parmi les grands assassins de Mukarange, on trouve pratiquement tous les leaders locaux de tous les secteurs socio-professionnels : Senkware Célestin (bourgmestre), Kanyangoga Thomas (commerçant), Ngabonzima Augustin (diplomate retraité) et son fils Ngabonzima Jean Claude (enseignant), Lieutenant gendarme Twahirwa (chef du détachement de gendarmerie stationné à Kayonza), Sgt Nsengiyumva Edouard (militaire), Kayisabe Côme (ex-inspecteur des écoles primaires), Nsabimana alias Kiyoni (inspecteur des écoles primaires), Simparikubwabo alias Simba (également ex-inspecteur des écoles primaires), Mutaganzwa (commerçant), Gashumba Samson (conseiller Mukarange), KanyogoteNsabimana (conseiller Nyagatovu), Rudasingwa (directeur du CERAI Mukarange), Tuyishime Joseph (enseignant CERAI Mukarange), Mugenzi (ex-directeur CERAI Mukarange), Gahigi Samuel (enseignant), Gafaranga (enseignant), Kanyanzira (commerçant), Rwabagabo (brigadier communal), Rwayihuku (réserviste), Ndakaza Ignace, Migabo (enseignant), etc.

L’un des cas les plus flagrants est celui de Munyankindi Alphonse, directeur du centre de santé Mukarange, qui a donné l’ambulance du Centre de santé pour le transport des miliciens partout où ils se rendaient pour commettre le génocide.

5.         Massacres de Tutsi dans le Secteur de Nyabitekeri, à l’endroit où se trouvait l’ancien bureau du Secteur Mukoma, Nyamasheke, Cyangugu

Dans le Secteur de Nyabitekeri ont été tués de nombreux Tutsi à l’endroit où se trouvait le bureau de l’ancien Secteur Mukoma (Mariba). Ces Tutsi ont été tués le 12 avril 1994, sortis de force de leurs domiciles pour participer à une réunion de sécurité  à laquelle tous les hommes Tutsi étaient conviés. Ceux-ci sont partis à 8h du matin et ont demandé aux femmes et enfants d’aller tous se réfugier à l’église adventiste du 7eme jour ; depuis le 10 avril 1994 toutes les familles passaient leur nuit dans cette église pour essayer d’assurer leur sécurité, les hommes passant leur nuit à veiller pour prévenir toute attaque à laquelle ils riposteraient, tandis que les femmes et enfants se reposaient.

Arrivés au supposé lieu de réunion, les hommes Tutsi constatèrent qu’il n’y avait pas de réunion mais que des Hutu armés d’armes traditionnelles les attendaient pour les tuer. Le Conseiller du nom de Kanyarurembo Joseph leur a demandé d’entrer dans le vieux bureau de Secteur où ils furent enfermés, après quoi les tueurs ont voulu incendier ce bureau avec ses occupants ; mais apparemment l’essence en leur possession  était de mauvaise qualité et n’a pas voulu brûler. Le Conseiller Kanyarurembo a alors demandé à un militaire réserviste du nom de Torero Theodore de lancer une grenade dans le bâtiment. Il lança 2 grenades après quoi ils ouvrirent les portes et tuèrent à l’arme blanche qui voulait s’échapper et achevèrent ceux qui respiraient encore. Plus de 400 hommes Tutsi furent massacrés.Le meme jour il y a eu des masscares chez Karemera Claver, qui habitait dans le Secteur Nyabitekeri dans le District de Nyamasheke, Cellule Mukoma. Plusieurs qui s’étaient réfugiés furent  tués par les tueurs PIMA, lesquels sont ensuite allés massacrer ceux qui s’étaient réfugiés à l’église adventiste.

6.         Des massacres de Tutsi à Ngoma, Secteur Bushekeri, Nyamasheke

C’était sur la route principale qui mène de Kinini vers l’école primaire de Ngoma, en Secteur Bushekeri, District de Nyamasheke. Pendant le Génocide il y avait une barrière et une fosse carrière de plus de 15 m de profondeur.  Les Tutsi de ce secteur, actuellement Cellule Nyarusange, étaient tous rassemblés et amenés être tués à Mugina après que le Préfet Bagambiki Emmanuel a fait le tour de Cyangugu pour demander aux Hutu de commencer à tuer. Du 12 au 18 avril 1994, ceux qui ont été tués venaient du Secteur Ngoma, surtout de la cellule Keshero laquelle était habitée par de nombreux Tutsi. Ils furent encerclés et amenés à la barrière où ils étaient immédiatement tués. Parmi les Interahamwe responsables de ces massacres, il y a Mazera, Ndayishimiye Emmanuel, Bazambanza et d’autres.Les Tutsi périrent dans d’atroces souffrances ; les hommes avaient leurs organes génitaux et leurs bras coupés à la machette, certains d’entre eux étaient énucléés, les femmes étaient d’abord violées tandis que les enfants en bas âge étaient enlevés à leurs mères pour être jetés vivants dans la fosse carrière, de façon que nuit et jour l’on entendait les hurlements et les pleurs de ces enfants.

7.         Le bourgmestre FURERE Abel de la commne Rwamatamu massacre des Tutsi à Rwamatamu, Secteur de Gihombo, Kibuye

L’ancienne Commune Rwamatamu, en Préfecture Kibuye, est l’une des communes peuplées de nombreux Tutsi qui possédaient beaucoup de biens. Depuis 1959, lors des attaques les Tutsi de la région se refugiaient auprès des paroisses et du bureau de la commune et survivaient ; cependant la viande de leur bétail était consommée par leur tortionnaires, leurs biens pillés et la plupart de leurs maisons incendiées. En 1994, cette commune avait comme bourgmestre FURERE Abel.

Le 12 avril 1994, il s’est tenu une réunion  a la Commune Rwamatamu qui a commencé a 10h du matin pour se terminer a 13h20 de l’après-midi. Y ont participé, les Conseillers, les agents Hutu de la Commune, les commerçants Hutu importants et les dirigeants des Interahamwe. A la fin de la réunion les Conseillers sont allés rassurer les réfugiés Tutsi en leur disant que la paix est revenue et qu’ils devraient par conséquent rentrer chez eux. Mais quelques temps après les Tutsi qui s’étaient réfugiés à la Paroisse de Kibingo ont commencé à être tués, et un véhicule transportant des militaires et des Interahamwe est arrivé à la commune ; ces Interahamwe étaient dirigés par Ruzindana Obed, un commerçant important, qui avait pris soin de saboter la ligne téléphonique de la commune pour que les Tutsi ne puissent pas appeler en renfort les leurs ou avertir la communauté internationale qui apprendrait ainsi ce qui se passe. Des tirs commencèrent à se faire entendre. Ce 12 avril 1994, malgré la résistance des Tutsi, plus de 250 Tutsi furent tués, dont ceux qui se trouvaient à la commune et de nombreux enfants et femmes qui s’étaient réfugiés à l’église.Du 7 au 12 avril 1994, les tueurs qui massacraient les Tutsi étaient dirigés Kayishema André, enseignant, Ntaganzwa Charles, Ruhumuriza Celestin, ancien militaire, Ruzindana Obed, le réserviste Gikeri, l’Interahamwe Murego et Murwanashyaka. Mais le 12 avril 1994, d’autres Interahamwe se sont joint aux tueurs dont : Kibati Jean Paul, le réserviste Nsonera Christophe, Bimenyimana et beaucoup d’autres.

8.         Extermination des Tutsi à Biharabuge, Rugarika dans le district de Kamonyi

A Biharabuge, village de Kigarama, cellule de Sheri, secteur Rugarika, district de Kamonyi, de très nombreux tutsi de cette localité y ont été massacrés dans un complot qui a débuté le 7 avril 1994 sous la responsabilité du bourgmestre de la commune RundaNdayambajeSixbert ainsi que d’autres notables comme Claver Kamana qui était un entrepreneur prospère. Les miliciens qui menaient les massacres étaient conduits dans des véhicules des commerçants notamment celui du nommé Sharangabo commerçant à Rugarika. Après avoir rassemblé les Tutsi au centre de Biharabuga et s’assurer qu’ils étaient tous présents, les miliciens se sont mis à les exécuter à l’arme blanche : gourdins, massues, cailloux, machettes, houes, épées,…Le carnage a commencé le 12 avril 1994 vers 13 h et s’est poursuivi jusqu’en début de soirée vers 19h. Plus de 1.000 Tutsi ont péri ce jour.

Parmi les grands assassins de cette extermination figurent : le bourgmestre de la Commune RundaNdayambajeSixbert, Habyarimana Vivien (assistant bourgmestre), Uwimana Pélage (enseignant), Kamana Claver (homme d’affaires), Joseph Setiba, et bien d’autres.

9.         Un grand nombre de Tutsi de Runda ont été jetés dans la rivière Nyabarongo

Le 12 avril 1994, de très nombreux tutsi avaient trouvé refuge dans les locaux du Centre de santé de Kigese. Ils ont été sortis en masse et conduits à la rivière Nyabarongo où ils ont été tués et jetés en empruntant plusieurs chemins habituels qui y conduisaient. Le site le plus connu sur la Nyabarongo où les Tutsi ont été rassemblés avant d’être jetés dans cette rivière est celui de Ruramba. Ces tueries étaient toujours précédées d’humiliations atroces provoquant la dégradation physique et mentale des victimes. Les miliciens les faisaient marcher de très longues heures au bord de la Nyabarongo, hommes, vieillards, femmes, enfants ; les déshabillaient et les jetaient un à un dans la rivière au long de ce pénible trajet jusqu’au dernier Tutsi.

10.       Extermination des Tutsi à Kabuga, secteur Bumbogo, district de Gasabo

A partir du 10 avril 1994, le massacre des Tutsi qui habitaient dans le secteur de Bumbogo a commencé, notamment à l’endroit appelé Kabuga ka Nyabikenke au bureau de secteur Karama. Les Tutsi provenant de Bumbogo s’y sont rassemblés ainsi que ceux de divers endroits comme Kanombe, Musave, Kimironko et Ndera qui y sont venus entre le 10 et le 11 avril 1994 après avoir entendu la rumeur selon laquelle ils y seraient protégés.  A partir du 12 avril 1994, s’y sont ajoutés des Tutsi en provenance de  Nkuzuzu et Gishaka. A la tombée de la nuit, l’attaque a commencé. Elle était conduite par un gendarme appelé Emmanuel qui a amené un sac de grenades à moto, puis une camionnette conduite par un certain Thaddée, milicien très redoutable, est arrivée remplie de tueurs munis de machettes. Ces derniers venaient tout justes de l’église de Gishaka où ils venaient d’assassiner les Tutsi qui s’y étaient réfugiés. Le massacre a commencé le 12 avril au soir et s’est terminé dans la matinée du 13 avril 1994.  Parmi ces génocidaires figuraient les nommés Mutaganira, Muyoboke Augustin, Karangwa Theophile, Rwabutogo et bien d’autres.

11.       Extermination des Tutsi à Musenyi au Bugesera et à Muhura, District de Gatsibo

Le Bugesera est connu dans l’histoire du Rwanda pour être une zone de confinement, d’exclusion et de massacres des Tutsi. En 1994, il n’y a pas eu d’exception. A l’annonce de la mort du président Habyarimana, les maisons des notables tutsi de Musenyi ont été attaquées et brûlées. Le responsable de la cellule Musenyi a joué le malin en lançant un appel aux Tutsi pour qu’ils se réfugient chez-lui, mais c’était dans le but bien délibéré de les y regrouper pour les tuer massivement. Le 12 avril 1994, l’attaque a été menée et plus de 500 Tutsi y ont péri.

A la même date, à près de 80 Km de Musenyi, précisément dans la cellule de Rwarenga, secteur Remera, Commune Muhura, préfecture de Byumba, le bourgmestre Ndayishimiye conduisait le massacre de ses administrés tutsi. Après le génocide, on a dénombré 252 corps de Tutsi tués qui avaient été jetés dans une fosse commune. Un mémorial est érigé aujourd’hui à l’endroit du massacre.

CONCLUSION

Le Génocide perpétré contre les Tutsi a été planifié et exécuté par l’Etat. Le fait que depuis le 7 avril 1994 au matin, les Tutsi ont été en même temps massacrés sur toute l’étendue du pays, à partir de Kigali, et ailleurs, démontre sans le moindre doute que le Génocide avait été planifié par l’Etat rwandais. (Fin).

* Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le génocide, CNLG