LE 18 AVRIL 1994: LA MISE EN OEUVRE DU GÉNOCIDE PERPÉTRÉ CONTRE LES TUTSI À TRAVERS TOUT LE PAYS

By Bizimana Jean Damascène* 

Le 18 avril 1994, le gouvernement génocidaire continuait à mettre en œuvre leur plan d’extermination des Tutsi dans toutes les régions du pays. Dans le cadre de continuer à rappeler l’histoire du Génocide, voici ci-après le rappel de massacres de Tutsi qui ont été commis le 18 avril 1994.

1.      Le gouvernement génocidaire continue à inciter la population à commettre le Génocide

Le 18 avril 1994, les membres du gouvernement génocidaire dont Edouard Karemera qui devait être Ministre de l’Intérieur, sont venus à Gitarama inciter la population à commettre le Génocide. Ce jour, le Président Theodore Sindikubwabo est venu à Gikongoro et a tenu une réunion avec les autorités de la Préfecture Gikongoro, pour planifier la mise en œuvre du Génocide à Kaduha, Murambi, Cyanika et sur toute l’étendue de la préfecture de Gikongoro.

Au retour, Sindikubwabo s’est rendu  fait une halte au bureau de la Commune Nyakizu et a incité les tueurs à continuer à mettre en œuvre le Génocide, ce qu’il faisait en public devant la population qui, préparée par les autorités communales, était venue l’écouter.

2.      Le Préfet Kayishema Clément a exterminé les Tutsi à Gatwaro, Kibuye

Le stade de Gatwaro était situé dans la Préfecture Kibuye, Commune Gitesi, Secteur Bwishyura. C’est actuellement en District de Karongi, Secteur Bwishyura, village de Gatwaro. Les Tutsi ont été amenés au stade par les autorités de la Préfecture Kibuye à la tête desquels il y avait Kayishema Clément, et qui  leur avaient promis d’y assurer leur sécurité à tous. La plupart des réfugiés qui ont été amenés au stade étaient des survivants de massacres antérieurs, comme celui de l’église de Kibuye et le Home St Jean, celui de l’église de Mubuga et d’autres nombreux endroits. De nombreux autres étaient venus à pied de la Commune Mabanza (19 km), et lorsqu’ils arrivèrent à la Préfecture de Kibuye il leur a été demandé de se rendre au stade Gitwaro.

Aux portes du stade Gitwaro ils étaient dépouillés de ce qu’ils portaient, bastons et autres. Arrivés dans le stade, l’eau leur a été coupée, des réfugiés sont tombés malades à cause de la saleté ; ceux qui y étaient entrés alors qu’ils étaient blessés ou qui étaient malades ont tenté d’aller se faire soigner à l’hôpital de Kibuye qui était adjacent au stade Gatwaro mais ils furent repoussés par des tirs de fusils, et étaient chanceux ceux n’étaient pas tués par les balles.

Le Préfet Kayishema empêchait l’accès aux réfugiés à toute aide venue de l’extérieur; un médecin allemand du nom de Wolgang Blam a continué à travailler à l’hôpital avec le Dr Hitimana Leonard et soigner les réfugiés blessés avec le plus grand dévouement. L’épouse du Dr Blam a été menacée de mort car elle était Tutsi et son époux demanda d’être tué avec elle et ses enfants. Parmi les responsables il y a Joseph Mpambara, un Interahamwe de Mugonero et frère d’Obed Ruzindana lequel a été condamné pour crime de génocide à 25 ans de prison par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).Joseph Mpambara a fui aux Pays Bas et, le 9 juillet 2011, a été condamné par les juridictions de ce pays a la prison à perpétuité pour crime contre l’humanité constitutif du crime de génocide.

Le Génocide a commencé au stade le 18 avril 1994 et le signal a en été donné par le Préfet Kayishema Clément qui  a en personne tué le premier Tutsi, Munyakaragwe Ezéchiel, un Pasteur adventiste, avec le fusil qu’il a demandé à un gendarme de lui passer. Il est arrivé accompagné d’Interahamwe, de gendarmes, de policiers, de militaires et de civils armés. Ils ont commencé par encercler le stade tandis que d’autres se sont postés sur la colline Gatwaro sur les hauteurs du stade pour que personne ne puisse s’échapper.

Le Préfet Kayishema a donné l’ordre de commencer à tuer les Tutsi. Les Tutsi ont été tués à l’arme à feu, grenades, machettes et autres armes traditionnelles. Ce premier jour les massacres des Tutsi cessèrent vers 18h. Les militaires sont partis pour Bisesero mais les Interahamwe sont restés au stade, encerclant celui-ci pour que personne ne puisse échapper à la mort en sortant du stade de nuit. Ils n’ont eux-mêmes pas osé entrer dans le stade pendant la nuit et ont préféré rester dehors, des Interahamwe de Cyangugu et Gisenyi étaient venus leur porter assistance.

 Pendant la nuit les Tutsi ont rassemblé les morts et dispensé aux blessés les premiers soins. Cette nuit les Interahamwe ont pris la décision de quitter le stade mais ont averti les réfugiés qu’ils allaient revenir le lendemain. Ils sont allés au cabaret près du stade boire de la bière pour se féliciter de ce qu’ils avaient fait.

Le lendemain 19 avril 1994 à 6h du matin, après avoir festoyé la nuit pour fêter d’avoir mis en œuvre le Génocide, ils sont revenus au stade comme ils l’avaient promis, pour continuer à tuer et achever ceux qui respiraient encore avec leurs armes traditionnelles.

Kayishema a été condamné  pour crime de génocide à la prison à perpétuité par le TPIR.

3.      Massacres de Tutsi dans Kamonyi, à Kayumbu

Le pont de Kayumbu est situé dans le village de Nyarusange, Cellule Karengera, Secteur Musambira, District de Kamonyi. Le 18 avril 1994, Les Tutsi qui, venant de localités différentes, s’étaient réfugiés à la Paroisse de Kamonyi, se sont vus refuser l’entrée de l’église par le curé Pie Ntahobari, l’enseignant Rwakayigamba et Nyagahene, le secrétaire du curé, qui disaient aux réfugiés qu’ils ne voulaient pas que leur église soit détruite. Les réfugiés se sont alors installés sur la place du marché devant l’église. Les tueurs les ont chassés de cet endroit, et leur disaient que le Dieu des Tutsi se trouve à Kabgayi, qu’ils partent ! Ils ont pris la route et arrivés à Kibuza (Où a été érigé le mémorial du Génocide de Kamonyi) y ont rencontré un groupe de tueurs auquel ils ont pu échapper ; ils ont rencontré un autre groupe de tueurs à Gaperi, qui tuait les enfants de sexe masculin et les hommes. Les survivants continuèrent leur route et arrivèrent à la Paroisse Musambira où ils furent accueillis dans l’église par le curé.

Le lendemain 19 avril 1994, un véhicule rempli de militaires arriva à la paroisse, et les militaires, sont entrés dans l’enclos de celle-ci et ont tenu une réunion avec des réfugiés qui étaient venus de Kivuye. Après un moment le curé de la paroisse est arrivé et a dit aux réfugiés qu’ils n’étaient pas les bienvenus et qu’ils devaient tous quitter la paroisse, à partir de ceux qui étaient venus après les autres. Les Interahamwe, les menaçant avec leurs machettes, les chassèrent. Des militaires de la Garde Présidentielle les attendirent au pont de Kayumbu et tirèrent sur eux, les cadavres s’empilèrent sur ce pont et aux alentours. Apres, les militaires partirent, laissant le champ libre aux Interahamwe et autres civils qui achevèrent ceux qui respiraient encore avec leurs armes traditionnelles, et dépouillèrent les corps sans vie.

La plupart de ceux qui ont commis ces massacres n’ont pas pu être identifiés parce ceux-ci été commis par des militaires qui ne fréquentaient pas la localité.

4.      Massacres de Tutsi à la Paroisse de Nkanka, Rusizi

Dans l’ancienne Commune Kamembe, actuellement en District Rusizi, des Tutsi ont été tués à la Paroisse de Nkanka, à la Commune Kamembe et dans la localité de Busekanka. A partir du 8 avril, les Tutsi ont commencé à se réfugier à la Paroisse de Nkanka parce que les massacres et les incendies des maisons avaient commencé à Gitwa et Murambi. Les Tutsi se sont réfugiés à la Paroisse de Nkanka parce qu’ils avaient pris l’habitude d’y trouver un refuge sûr, et que le Bourgmestre de la Commune Kamembe, Mubiligi Jean Napoléon, avait déclaré que les Tutsi devaient aller se réfugier à la paroisse et y avait même envoyé des policiers pour les protéger. Mais ce n’était pas ce qu’il voulait, car il voulait plutôt savoir combien de Tutsi il y avait et les empêcher de pouvoir fuir vers le Zaïre.

Le Bourgmestre Mubiligi Jean-Napoléon et le curé de la Paroisse de Nkanka, Ngirinshuti Thaddée, ont organisé une réunion avec les dirigeants des Interahamwe de la Commune Kamembe et ont planifié l’extermination des Tutsi. Le jour après les Interahamwe ont attaqué les Tutsi et les ont tués avec des grenades, des gourdins appelés “ nta mpongano” c.à.d. “sans pitié”, des machettes, des épées et d’autres différentes armes.

Pour que les Tutsi ne puissent pas se défendre lors des attaques, le Père Ngirinshuti Thaddée prenaient aux Tutsi toutes les armes (lances, machettes, bâtons et arcs à flèches) qu’ils avaient emportées avec eux, et leur disait: “ tout refugié ne doit pas porter d’armes”. Il voulait leur enlever tout moyen de défense. Les policiers censés les protéger avaient dans un local mis à leur disposition par le curé,  de nombreux fusils, des grenades, qui furent utilisés ensuite par les Interahamwe venus tuer les Tutsi.

A la Commune de Kamembe 60 Tutsi qui s’y étaient réfugiés ont été tués. Avant que les réfugiés Tutsi ne soient tués,  le Brigadier de la  Commune Kamembe, Gatera Casimir a d’abord voulu les protéger et les a cachés à la commune, et le Bourgmestre de la Commune Kamembe lui a dit : « Si les Interahamwe détruisent la commune en recherchant ces Tutsi que tu as cachés tu en seras responsable, sors ces Tutsi pour qu’ils soient tués au plus vite ». Le Brigadier les a immédiatement mis dehors, et les Interahamwe les tuèrent tous.

5.      Massacres de Tutsi dans le Secteur Simbi, Huye

Le Secteur Simbi était située dans l’ancienne Commune Maraba qui était dirigée par le Bourgmestre Habineza Jean Marie Vianney depuis fin Septembre 1990. Ce Bourgmestre a été caractérisé par une forte persécution des Tutsi car c’était pour cela qu’il avait été nommé à ce poste. Habineza est allé le matin au centre CERAI à Simbi, y a arrêté Mazimpaka Grégoire qui en était le directeur, ensuite s’est rendu à Cyendajuru y arrêter l’enseignant Kanobayire Jean Baptiste ; il les a amenés, menottés entre deux policiers armés, à leurs domiciles à Gisakura, fouiller des armes imaginaires qui auraient été fournies aux deux hommes par les Inkotanyi.

Habineza a mis beaucoup d’efforts pour entrainer les Interahamwe, faire fabriquer localement des armes avec lesquelles les Tutsi ont été tués (Gourdins « nta mpongano (« sans pitié) », arcs et flèches, lances) et distribuer aux Interahamwe d’autres armes comme des machettes, des fusils et des grenades. Habineza a également fait dresser les listes des Tutsi et le lieu de leurs domiciles pour que le moment venu il serait plus facile pour les tuer et que qu’aucun d’eux ne puisse s’échapper du moment que leur identification était connue.

Depuis l’attaque des Inkotanyi, aucun Tutsi ne pouvait quitter la Commune Maraba sans un laissez-passer délivré par la commune. Entre le 10 et le 17 avril 1994, de très nombreux Tutsi de l’ancienne  Commune Maraba ont été rassemblés à l’église de Simbi. Trois policiers, Nkuriza , Kanani Antoni et Nyirimana Kaniziyo, ont gardé l’église pour qu’aucun refugié ne puisse s’échapper.  Avant les massacres, le président Sindikubwabo est venu inciter le population de Simbi à mettre en œuvre le Génocide, lui a reproché d’être en retard dans les massacres des Tutsi, et a envoyé des militaires pour leur prêter main forte.

Le 18 avril 1994, les Interahamwe venus de Gikongoro et ceux de Maraba, des militaires, des gendarmes et des policiers ont attaqué les Tutsi. En plein jour, deux Interahamwe sont montés sur le toit de l’église, ont arraché une tuile et ont déversé de l’essence sur les réfugiés, le nommé Bushakiro déversa aussi sur eux de la poudre piment pour empêcher les  réfugiés de bien respirer. Les tueurs défoncèrent les portes et lancèrent des grenades et des pierres, après quoi les Interahamwe ont achevé à la machette tous ceux qui respiraient encore. Près de 40,000 Tutsi y furent tués.

Apres avoir tué les Tutsi dans l’église de Simbi, le Bourgmestre Habineza a envoyé l’Interahamwe Ruzindana Célestin avertir les sœurs qu’ils allaient venir tuer les Tutsi qui s’étaient réfugiés au centre de santé de Simbi. Les Interahamwe s’y sont rendus, ont tué des sœurs dont Mère Pierre Claver, Mère Paul et Mère Pélagie ; ils ont frappé à la tête Mère Gervais qui a survécu mais est devenue aveugle. Ils ont également tué les Tutsi qui s’étaient réfugiés à ce centre de santé.

A la tête des tueurs il y avait :

– Les policiers communaux: Nkuriza, Antoni Kanani, Nyirimana Kaniziyo, et  Sebarinda Célestin qui avait été démobilisé de la police. 

-Nsimyukiza Clément qui était Assistant Bourgmestre

-Rwabuhungu Sylvestre, président du MDR Power dans la Commune.

-Mujyambere Antoine, enseignant et  président du MRND dans la Commune.

– D’autres venus de Gikongoro.

6.      Massacres de Tutsi dans les locaux de l’OPROVIA, Rusizi

Dans le District de Rusizi, dans la ville de Kamembe, ont été tués un grand nombre de Tutsi qui venaient de différents endroits de la ville de Kamembe. Depuis le 18 avril 1994, les Interahamwe ont commencé à attaquer les domiciles des Tutsi qu’ils amenaient tuer dans la ville de Kamembe  à côté de la nouvelle place du marché et dans les caféiers près du bâtiment de la Banque Populaire de Rusizi, où se trouvait le Secteur Kamembe. Ces Interahamwe étaient dirigés par Napoléon Mubirigi, le Bourgmestre de la Commune Kamembe, Haruna Rizinde le représentant du MRND, Muruku, Conseiller du Secteur Kamembe, lesquels ont tenu une réunion  avec les Interahamwe au cours de laquelle ceux-ci furent divisés en 3 équipes chargées de traquer les Tutsi qui se cachaient encore dans le centre de Kamembe.

Parmi les tueurs responsables des massacres commis à Kamembe, il y a des Interahamwe, de nationalité rwandaise, mais également des tueurs de nationalité burundaise, refugiés au Rwanda. Parmi les Interahamwe les plus redoutables il y a Kanyarukiko Cassim, Ngenzenuku Hassan, Haluna Nsengiyumva Alias Cenga, Shuwayibu Alias Epis, Kimputu, Nsengiyumva et beaucoup d’autres.

7.      Massacres de Tutsi à Mwurire, et à Rwamagana aux écoles de Sovu

Peu avant le Génocide, les Tutsi qui habitaient l’ancienne Commune Gicumbi, ont été très persécutés par le Bourgmestre Semanza. Apres l’attentat sur l’avion du Président Habyarimana Juvénal, les Tutsi de ce secteur ont été interdits de tout déplacement et devaient rester à leurs domiciles.

Le 7 avril 1994 les tueurs Hutu ont commencé à attaquer les Tutsi à leurs domiciles et à les tuer. A Mwurire, des Hutu ont, avec les Tutsi, résisté aux attaques des tueurs qui venaient de différentes localités, et empêchèrent à ceux-ci d’entrer dans leur secteur. Ces Hutu ont été convoqués à une réunion organisée par les dirigeants du MRND, lesquels les sommèrent de ne plus porter main forte aux Tutsi.  Les Tutsi ont tout de même continué à résister pendant quelques 12 jours.

Sur la colline de Gisanza, Cellule Mwurire, Secteur Mwurire, le 18 avril 1994 des véhicules ont amené des civils et  tous les policiers de la commune qui commencèrent à tirer sur les réfugiés avec leurs armes à feu. Sur cette colline étaient rassemblés des Tutsi  venant des Secteurs Nzige, Gahengeli, Rubona, Rutonde et Bicumbi. Les tueurs ont continué à tirer, et les Tutsi se sont découragés car ils étaient à cours de pierres et de bâtons alors que les tueurs redoublaient de force.

Près de 15,000 Tutsi furent tués sur place tandis que d’autres l’étaient à divers autres endroits et barrières: près de 400 Tutsi ont été tués à la barrière qui était installée près de l’église  adventiste, plus de 50,000 Tutsi ont été massacrés dans le marais de Kabuya et d’autres le furent chez le Conseiller Bakundukize Jean.

Le même jour les Tutsi qui s’étaient réfugiés aux écoles de Sovu à Rwamagana ont également été tués, dont des enfants, des femmes et des vieilles personnes; avant de les tuer, les tueurs violaient femmes et jeunes filles et les aspergeaient de piment là où elles se trouvaient dans les salles des écoles. Le 18 avril 1994, un groupe de tueurs qui venaient de tuer à Mwurire a rejoint les Hutu de Sovu pour exterminer jusqu’au dernier les réfugiés Tutsi de Sovu.

Le 18 avril 1994, les Tutsi furent tués à la Paroisse Nyabitimba, à Karengera dans Cyangugu, à l’hôpital de Mibilizi dans Cyimbogo, Cyangugu, les massacres ont commencé et ont continué jusqu’aux 20 – 30 avril 1994.

Le même jour dans la Commune Kigembe, dans Butera, ont été tués entre 2,000 et 3,000 Tutsi.

CONCLUSION

Le Génocide perpétré contre les Tutsi a été planifié et mis en œuvre par l’Etat rwandais. Les Massacres des Tutsi à partir du 7 avril 1994 au matin, en même temps et à travers tout le pays, est la preuve que le plan du Génocide avait été préparé par l’Etat. . (Fin).

* Bizimana Jean Damascène est Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)