LE 1er MAI 1994: LA MISE EN OEUVRE DU GÉNOCIDE PERPÉTRÉ CONTRE LES TUTSI

Dr Bizimana Jean Damascène*

A cette date du 1er mai 1994, le gouvernement génocidaire continuait à mettre en œuvre leur plan criminel d’extermination des Tutsi.  Voici ci-après le rappel de massacres de Tutsi qui ont été commis le 1er mai 1994.

1.      Massacres de Tutsi sur la colline de Karama, Nyanza

Cette colline était située dans l’ancienne Préfecture Butare, Commune Ntyazo, Secteur Karama, et prenait sur les Cellules Kankima et Karuyumbu, actuellement en District   Nyanza, Secteur Ntyazo, Cellule  Cyotamakara.

Le 18 avril 1994, les Tutsi participaient aux patrouilles, ceux qui habitaient la Cellule Kankima, Secteur Karama sont allés dans le Secteur Gatonde et ceux de la Cellule Karuyumbu sont allés dans les Secteurs Gisasa et Ruyenzi; ça semblait être un piège pour les éloigner et  préparer une attaque sur Karama parce qu’y habitaient un grand nombre de Tutsi et que d’aussi nombreux réfugiés qui étaient venus d’endroits différents s’y trouvaient, certains chez des membres de leurs familles. Lorsque les Tutsi qui avaient participé aux patrouilles sont revenus chez eux, leurs familles s’étaient réfugiées sur la colline de Karama à cause de la peur et ils ont rejoint      celles-ci au cours de la même nuit.

Avant que les Tutsi ne se réfugient, de nombreuses réunions pour planifier les massacres s’étaient tenues à la Commune Ntyazo et à Migina, Nyamure. Ils se sont réfugiés parce qu’avant le 18 avril 1994, des Tutsi des Secteurs frontaliers avec Karama, comme Gatonde et Gisasa, ont vu leurs maisons être incendiées et ont été tués.

Le 18 avril 1994, de nombreux Tutsi ont voulu fuir au Burundi en passant par Kibilizi pour regagner Mpanda, sur la rivière Akanyaru, mais arrivés à Kibilizi ils ont été ramenés par force en arrière par Hitimana Ephron, le Conseiller du Secteur Kibilizi et des Interahamwe qui ont dépouillé de nombreux Tutsi de ce qu’ils avaient avec eux. De nombreux Tutsi ont continué à s’y refugier aux dates du 19, 20 et 21 avril 1994; ils venaient  de la Commune Ntyazo dans tous ses 13 Secteurs, surtout des Secteurs  Karama, Cyimvuzi na Gatonde. Ils sont également venus des Communes Muyira, Rusatira, Ruhashya, Maraba, Nyabisindu, en la Préfecture Butare et des Communes  Kigoma et Ntongwe, en Préfecture Gitarama et d’ailleurs.

Les femmes, les enfants et les personnes âgées étaient hébergés dans des maisons des Tutsi qui habitaient la colline de Karama mais le nombre des maisons était insuffisant étant donné les personnes à abriter.

Le 20 avril 1994, une attaque a été menée par un groupe de tueurs composé de gendarmes venus de Nyanza, armés de fusils, grenades et autres matériels militaires. Ils étaient dirigés par Hategekimana Philippe alias BIGUMA, l’adjoint du commandant de la gendarmerie. Ils sont venus à bord d’une camionnette Daihatsu qui appartenait au nommé Rutayisire qui avait été tué a Nyanza et son véhicule confisqué. Les gendarmes sont arrivés accompagnés des Interahamwe de Karama et Gatonde armés d’armes traditionnelles; les Tutsi ont intercepté les tueurs avant que ceux-ci ne parviennent à la colline Karama et se sont défendus comme ils le pouvaient à l’aide de pierres et d’arcs; le même jour les Tutsi ont notamment tué un Interahamwe de Karama du nom de Karemera Fiston et en ont blessé d’autres, et ont totalement incendié avec des allumettes un des véhicules des tueurs. Les tueurs ont battu en retraite mais ils allaient se réorganiser car le même jour dans l’après-midi ils sont revenus très nombreux et armés d’armes de guerre et d’armes traditionnelles; ils ont tué trois Tutsi, Bikinga Maurice, Gahamanyi Augustin et Ntakirutimana, et blessé grièvement Rurangirwa Aimable qui a succombé à ses blessures le lendemain.

Depuis le 21 jusqu’au 23 avril 1994, d’autre attaques ont été menées par les Interahamwe et d’autres tueurs Hutu ordinaires, armés de leurs seules armes traditionnelles. Les Tutsi ont continué à résister et à repousser les assaillants avant que ceux-ci ne parviennent à la colline Karama.

Le 24 avril 1994, il n’y a pas eu d’attaque mais un acte de bravoure des réfugiés de la colline Karama; en effet ils ont décidé d’aller porter secours à d’autres Tutsi qui étaient en train d’être massacrés sur la colline Rwezamenyo, à 20 minutes de marche de Karama. Lorsqu’ils sont arrivés, la plupart des réfugiés de Rwezamenyo étaient déjà morts, mais avec ceux qui étaient encore vivants, ils ont pu repousser les assaillants et ramener avec eux à Karama, les survivants parmi lesquels il y avait des blessés.

Depuis le 25 jusqu’au 29 avril 1994, les Interahamwe et des Hutu ordinaires ont continué à mener des attaques mais étant donné qu’ils ne disposaient que d’armes traditionnelles et pas de fusils, les Tutsi ont repoussé à chaque fois leurs assauts.

Le 30 avril 1994, de fortes attaques ont tué 12 Tutsi, mais ils se sont vaillamment défendus et ont notamment tué Muganza Joseph, l’IPJ de la Commune Ntyazo et fils de Nzaramba Athanase, un ancien Bourgmestre de la Commune Ntyazo et à l’époque président du MRND dans cette Commune. Ces attaques étaient dirigées par Ndahimana Mathieu qui avait lui-même un fusil et qui est devenu le Bourgmestre de la Commune Ntyazo en remplacement de Nyagasaza Narcissse, tué pendant le Génocide le 23 avril 1994, parce qu’il était Tutsi.

Ndahimana Matayo est allé appeler en renfort les policiers et les gendarmes à la Commune Ntyazo, lesquels sont venus appuyer les autres tueurs contre les Tutsi. Ils ont collaboré avec le chef de la police de la Commune, Munyaneza Viateur, le policier Ngirabatware Godefrey, le réserviste de la police Gatera Adalbert qui était le Conseiller du Secteur Bugari. Il y avait aussi Muganza Joseph, IPJ à la Commune et qui a été tué par les réfugiés Tutsi lors d’une attaque. Et des Interahamwe et des réfugiés burundais qui se trouvaient dans le camp de Ngoma en Secteur Bugari.

Le 1er mai 1994, les réfugiés Tutsi ont été encerclés par un groupe de tueurs déterminés à les exterminer et qui avait bloqué toutes les issues qui menaient à la colline de Karama pour les empêcher de s’échapper. Les Tutsi ont résisté un moment sous l’avalanche de tirs de fusils. Les tueurs les ont coincés sur la colline, ont ouvert le feu et lancé des grenades avant de les tuer à l’arme traditionnelle, ceux qui ont essayé de fuir ont été interceptés en bas de la colline et tués. Les tueurs ont tué pendant plus de quatre (4) heures et n’ont été interrompus que par la pluie. Apres les avoir massacrés, les tueurs se sont emparés du gros et petit bétail de leurs victimes, ont pillé et dépouillé celles-ci de leurs habits.

Ils ont été tués par de nombreux gendarmes qui sont venus de la Sous-préfecture de Nyabisindu dirigés par l’Adjudant-chef Hategekimana Philippe alias BIGUMA qui était commandant en second de la gendarmerie. Particulièrement le 23 avril 1994, c’est lui qui est allé arrêter le Bourgmestre de Ntyazo Nyagasaza Narcisse alors que celui-ci voulait fuir au Burundi. Il l’a amené à Nyanza et tué de ses propres mains. Il s’est enfui en France mais a actuellement été arrêté et est sous investigations dans ce pays. Des militaires de l’Ecole des Sous-Officiers (ESO) ont également participé aux massacres. Etait aussi présent Ndahimana Mattieu qui est devenu Bourgmestre de la Commune Ntyazo en lieu et en place de Nyagasaza Narcisse tué pendant le Génocide parce que Tutsi.

Ndahimana Mattieu était le directeur du Centre de Santé de Nyamure. Il a collaboré avec le chef de la police de la Commune Ntyazo, Munyaneza Viateur, le policier  Ngirabatware Godefrey  qui est actuellement incarcéré à la prison de Nyanza à Mpanga, le réserviste de la police Gatera Adalbert qui était le Conseiller du Secteur Bugari, Bizimana Nicodème le Conseiller du Secteur Ntyazo,  Ngendahimana, Conseiller de Gisasa, Nzaramba  Athanase,  un ancien Bourgmestre de la Commune Ntyazo  et qui était président du MRND pendant le Génocide.

Il y avait également de très nombreux Interahamwe et des réfugiés burundais du camp de Ngoma en Secteur Bugari. Parmi les Interahamwe il y avait notamment Twagiramungu Zakayo, enseignant à l’école primaire de Nyamure, Erikani, enseignant à l’école primaire de  Gisasa et Sinzinkayo  Sosthene  qui habitait à Ruyenzi. Après, le 4 mai 1994, d’autres attaques ont été menées par des gendarmes, des policiers et des Interahamwe pour traquer les quelques survivants. Un petit nombre de Tutsi s’étaient rassemblés mais ils furent une fois encore massacrés à l’arme à feu et à l’arme traditionnelle.

Les quelques survivants se sont cachés dans les broussailles à proximité. Plus de 30,000 réfugiés Tutsi ont été tués sur la colline de Karama, les cadavres sont restés longtemps sur la colline tellement ils étaient nombreux, d’autres furent ensevelis à la va vite dans des fossés.

2.      Massacres de Tutsi à l’église de Nyundo et aux alentours

Depuis 1990 jusqu’en avril 1994, les Tutsi de la localité de Nyundo ont perdu toute tranquillité, certains d’entre eux ont été emprisonnés sous prétexte qu’ils seraient des complices des Inkotanyi. En 1991 les Tutsi qui habitaient dans la Commune Kanama ont commencé à être persécutés et se sont par après réfugiés au Petit Séminaire de Nyundo et dans les bâtiments des Frères de l’Instruction Chrétienne. En 1992, le nombre des réfugiés a continué à augmenter, Mgr Karibushi Wenceslas du diocèse de Nyundo, a accueilli de nombreux Bagogwe et les a hébergés pendant trois (3) ans car en 1994 ils y étaient encore. Entretemps les maisons de certains Tutsi avaient été incendiées, d’autres détruites, leurs par les tueurs ; lorsqu’il y a eu une accalmie ils sont retournés chez eux et Mgr Kalibushi les a aidés à reconstruire.

En 1994, lors du déclenchement du Génocide perpétré contre les Tutsi le 7 avril 1994, ceux qui se sont réfugiés au Petit Séminaire de Nyundo ont été tués le même jour. Les survivants ont rejoint d’autres Tutsi au diocèse le 8 avril 1994, ont passé la journée à se battre contre les Interahamwe à l’aide de pierres et de morceaux de tuiles.

Le 9 avril 1994 au matin, le Préfet de la Préfecture de Gisenyi, le Dr Zirimwabagabo Charles est venu et a évacué tous les étrangers, après quoi le Colonel Nsengiyumva Anatole a posé des questions aux Tutsi:“ Vous êtes irrités, est ce que vous voulez vous battre?” Le Père Fabien lui a répondu: “ Excellence, comment pourrions-nous nous battre alors que nous n’avons pas d’armes comme vous pouvez le constater? ”. Des tueurs se sont alors introduits dans l’église, parmi eux des militaires et des gendarmes, armés de fusils, de grenades et d’armes traditionnelles, et ont tué les Tutsi qui se trouvaient dans l’église ainsi que des prêtres Tutsi parmi lesquels il y avait les Pères Aloys NZARAMBA, Ferdinand KAREKEZI, Callixte KALISA, Adrien NZANANA, Edouard GAKWANDI et Clément KANYABUSOZO.

Des Sœurs ont également été tuées, dont Mama Yuliana, Mama Giovani, Mama Vianney, Mama Laetitia, Mama Candida et d’autres. Les survivants de cette attaque sont restés sur place, parce qu’ils n’avaient pas le moindre passage par où passer pour s’enfuir et se réfugier ailleurs, et ils avaient l’habitude d’être protégés par des gendarmes depuis 1991 lorsqu’ils se sont réfugiés à Nyundo.

Le 1er mai 1994, ils ont été à leur tour tués alors que l’espoir leur était revenu car le CICR venait discuter avec eux et envisageait de les amener à Goma au Zaïre. Les massacres du 1er mai 1994 ont été précédés d’un appel par les Interahamwe aux Tutsi qui s’étaient cachés en différents endroits, broussailles, maisons et ailleurs, de sortir de leurs cachettes pour rejoindre les autres à Nyundo et y être protégés; ils sont venus petit à petit et ont grossi le nombre des réfugiés, certains sont même venus de Kivumu, Nyamyumba et d’ailleurs.

Le 27 avril 1994, le CICR a apporté de la nourriture, et tous ceux qui étaient encore cachés  sont venus prendre leurs rations croyant que tout était terminé. Chaque fois que ceux qui pouvaient s’exprimer en langues étrangères voulaient expliquer au CICR leurs problèmes, le Préfet ZIRIMWABAGABO Charles, qui accompagnait celle-ci, leur coupait la parole.

Le 1er mai 1994, vers 16h de l’après-midi, des tueurs, dont des Interahamwe  venus de Nyabihu et Kibirira, et parmi lesquels il y avait ceux qui se faisaient appeler “Abanyakiganda”, sont arrivés à bord de deux (2) Daihatsu de l’usine à thé de Nyabihu. Il y avait également des Interahamwe qui étaient venus de plus près, de Muhira, Mahoko, Rubumbati et d’ailleurs. Ces massacres ont été commis pour empêcher la CICR de les amener avant qu’ils ne soient mis à mort. La première personne à être fusillée est un Mugogwe du nom de SERUSHYANA alias Konseye, qui était le chef des réfugiés. 

Le soir du même jour, près de 1000 Tutsi ont été tués. Le survivants de ces massacres ont été surtout des jeunes gens qui ont pu s’échapper et courir se cacher dans des broussailles  aux abords de la Diocèse, eux-mêmes ont ensuite été traqués à l’aide de chiens toute la nuit. D’autres qui ont pu survivre sont ceux qui ensevelis en dessous des cadavres, étaient passés inaperçus et sont sortis la nuit alors que les Interahamwe et les gendarmes, qui y étaient restés longtemps, avaient tous quitté les lieux.

Les massacres de Tutsi à Nyundo ont été commis par des militaires de Gisenyi, des gendarmes qui étaient en poste à Nyundo, des Interahamwe et des Impuzamugambi de la CDR. Les Tutsi ont surtout été tués par les grenades lancées dans l’église et par les armes traditionnelles.

Ceux qui ont été les plus en vue dans les massacres des Tutsi à Nyundo:

Le Préfet ZIRIMWABAGABO Charles de la Préfecture de Gisenyi; le Colonel NSENGIYUMVA Anatoli; le Major BIGANIRO commandant de la gendarmerie à Gisenyi; le Lieutenant BIZUMUREMYI Rutuku; le Sous-lieutenant DUSABEYEZU Eustache; NZABONIMPA Marius, Bourgmestre de la Commune Kanama; NKUNDABANYANGA Fidel qui était médecin; KABILIGI Stanislas, Conseiller du Secteur Muhira; MPOZEMBIZI Marc, Bourgmestre de la Commune Rubavu; le Père NTURIYE Edouard alias Simba et d’autres.

CONCLUSION

Les massacres de Tutsi ont continué, de façon similaire, tout Tutsi devait mourir, la plupart ont été tués en cours de route alors qu’ils fuyaient. A cette date beaucoup d’entre eux ont été tués dans des bâtiments publics, des Communes et dans des églises parce qu’ils  croyaient y trouver sécurité. (Fin).

* Dr Bizimana Jean Damascène,  Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)