Le procès en cours de Fabien Neretse devant la Cour d’Assises de Bruxelles arrive à sa troisième semaine

Kigali: Depuis le Jeudi 7 novembre 2019, s’est ouvert devant la Cour d’Assises de Bruxelles, le procès au fond de Fabien Neretse, ancien fonctionnaire rwandais poursuivi pour un rôle présumé dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.

A l’ouverture du procès, le magistrat fédéral a lu, pendant deux heures et demi, un acte d’accusation dans lequel il a accusé Fabien Neretse d’être l’un des fondateurs de la milice Interahamwe et l’a tenu pour responsable de plusieurs massacres à Kigali, notamment celui d’une Belge Claire Beckers, son conjoint Isaïe Bucyana et leur fille Katia, tous tués le 9 avril 1994, sur dénonciation par l’accusé, selon les allégations de l’accusation. L’accusé a également été interpellé en rapport avec les massacres commis à Mataba  son village d’origine (District de Gakenke) où il s’est replié vers le 16 avril 1994. A Mataba, il est accusé notamment d’avoir pris la parole dans une réunion sur le terrain d’une école primaire, réunion qui, selon les déclarations des témoins, a incité à tuer et a été suivi de massacres.  Après le magistrat fédéral, ont été entendues les parties civiles, qui elles aussi ont chargé l’accusé d’un rôle moteur dans le massacre des leurs et ont demandé qu’il soit mis pleinement face à sa responsabilité.  L’accusé a plaidé non coupable à toutes les charges.  Dans une réplique de 50 pages, la défense réfute toute implication de l’accusé dans les faits allégués et accuse le procureur d’œuvrer pour le compte des anciens du FPR.  Neretse rejette le rôle qui lui est attribué dans la création de la milice Interahamwe du parti MRND, soutenant qu’il avait été écarté de cette formation politique depuis l’avènement du multipartisme au Rwanda.  Il nie tout rôle dans les massacres à Kigali, à Mataba ou ailleurs.  Il affirme plutôt avoir, en 1993, empêché des tueries des Tutsi dans l’école ACEDI (dont il était propriétaire), en renvoyant le Directeur de l’Ecole, des enseignants et des élèves qui avaient persécuté les Tutsi.

Depuis l’ouverture du procès il y a une semaine, la cour a entendu le rapport du juge d’instruction suivi des plaidoiries d’ouverture des différentes parties – l’accusation, les parties civiles et la défense.  Ensuite depuis mardi dernier la cour a commencé à entendre les témoins.  Seize témoins ont déjà fait leurs dépositions.  120 témoins au total sont attendus et la durée totale du procès a été estimée à 6 semaines.

RAPPEL DE CERTAINES ETAPES DE LA PROCEDURE QUI ONT DEBOUCHE SUR LE PROCES

Fabien NERETSE avait été renvoyé devant la Cour d’Assises ensemble avec deux co-accusés Emmanuel NKUNDUWIMYE et Erneste GAKWAYA, mais, le 9 Octobre dernier, le juge de la Cour d’Assises de Bruxelles a rendu une décision ordonnant la disjonction d’affaires. Il découle de cette décision la comparution d’un seul accusé – Fabien Neretse – dans le procès en cours, tandis que ses deux anciens co-accusés feront l’objet d’un procès distinct, à une autre session de Cour d’Assises qui sera fixée à une date ultérieure.

Cette décision qui ne touche pas au fond de l’affaire, est intervenue suite à une audience qui s’est tenue le 3 octobre pour examiner les questions préliminaires.  A cette audience, la défense avait soumis à la Cour d’Assises qu’il n’y avait entre les causes aucun lien de connexité pouvant justifier leur jonction en un même dossier.  Il est à rappeler que cette jonction avait été décidée antérieurement par la chambre du conseil au motif que les affaires concernaient des faits qui s’étaient déroulés dans un même contexte, dans un même pays et sur une période similaire.

Dans sa motivation la juge de la Cour d’Assises a quant à elle, estimé que les causes «sont totalement distinctes  si ce n’est qu’elles sont qualifiées de la même manière et qu’elles concernent des faits commis au Rwanda à une même époque » et ainsi décidé la disjonction pour absence de connexité entre les infractions.

Un procès de génocide devant la Cour d’Assises

Ce procès est le cinquième organisé devant la Cour d’Assises à Bruxelles concernant des faits liés au génocide des Tutsi au Rwanda, mais, c’est, en effet, la toute première fois qu’une Cour d’Assises belge est saisie des faits qualifiés de « crime de génocide ».

L’inculpé et les chefs d’accusation

Fabien NERETSE, ancien haut fonctionnaire et homme d’affaires rwandais, est accusé d’avoir participé à la création de la milice  « Interahamwe »,  d’avoir organisé et participé à plusieurs massacres et d’avoir dénoncé des familles en fuite. Parmi ces familles, celle de la plaignante belge,  dont la sœur, son mari rwandais et leur fille ont été tués à Kigali le 9 avril 1994.  Fabien NERETSE a été arrêté en France et extradé vers la  Belgique, où les investigations étaient à un stade plus avancé.

Refus de correctionnalisation et renvoi devant la Cour d’Assises

Le 20 octobre 2017, la Chambre du Conseil devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles avait ordonné le renvoi de Fabien Neretse, Emmanuel Nkunduwimye et Erneste Gakwaya devant la Cour d’Assises, rejetant ainsi la demande du Procureur Fédéral de les renvoyer devant le Tribunal Correctionnel au lieu de la Cour d’Assises, demande qui était alors contestée aussi bien par la défense que par les parties civiles.  La chambre avait invoqué comme motifs de sa décision, le degré de gravité des faits reprochés aux inculpés, la nécessité de soumettre les témoignages à la contradiction dans le cadre d’une procédure garantissant l’oralité des débats et l’impératif de bâtir une conscience sociale mondiale à travers le débat public et contradictoire.

Cette décision de refus de correctionnalisation, était initialement susceptible d’appel sur base de la loi du 5 février 2016, modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice, qui rendaient possible la correctionnalisation de tous les crimes, c’est-à-dire de juger des crimes par un tribunal correctionnel qui à la base n’est compétent que pour les délits.  La décision s’est vue, plus tard, renforcée par un arrêt de la Cour constitutionnelle de Belgique – arrêt numéro 148/2017 du 21 décembre 2017, qui a déclaré inconstitutionnelle, et annulé les dispositions de loi précitée, réaffirmant ainsi la compétence de la Cour d’Assises en matière de crime.

La qualification de crime de génocide

Devant la Chambre du Conseil, la qualification de « crime de génocide » avait été l’objet de contestation par la défense qui, sur base du principe de non rétroactivité de la loi pénale, arguait que cette qualification ne pouvait pas être concevable car le génocide n’était pas encore incriminé par la législation belge au moment des faits en 1994. Cependant, la Chambre du Conseil a rejeté cet argument de la défense et pris une décision dans le sens inverse. Elle a estimé, en effet, que l’acte constitutif du crime de génocide était clairement considéré comme criminel en vertu du droit international en 1994, car des instruments internationaux suffisamment accessibles aux inculpés le condamnaient, notamment la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 qui explique de manière claire et précise les comportements constitutifs du crime de génocide.

Jonction des dossiers et ordonnance d’arrestation

Les affaires de Fabien Neretse, Emmanuel Nkunduwimye et Erneste Gakwaya concernant des faits qui se sont déroulés dans un même contexte, dans un même pays et sur une période similaire, la Chambre du Conseil avait ordonné la jonction des causes, ce qui impliquait que devant la Cour d’Assises, ces affaires allaient être traitées dans un même dossier.  La chambre du Conseil avait en outre ordonné l’arrestation des trois inculpés.

La jonction a, plus tard, été remise en cause devant la cour d’Assises et cette dernière a ordonnée la disjonction dans un arrêt préliminaire rendu le 9 octobre.  C’est en vertu de cet arrêt que Neretse seul est mis en cause dans le procès en cours.  L’exécution de l’ordonnance d’arrestation quant à elle reste sujette à l’aval de la Cour d’Assises.

Suivi du procès

La Cour a indiqué que le procès pourra durer six semaines mais sans indiquer la date exacte du prononcé, mais, il y a lieu d’estimer que la Cour pourra, sauf imprévus majeur, prononcer son verdict avant la fin de l’année.

RCN Justice & Démocratie et ses partenaires ont mis en place un dispositif pour le suivi du procès  en vue de faciliter l’accès à l’information aux populations rwandaises. Dans ce cadre, deux journalistes rwandais ont été envoyés à Bruxelles ; des comptes rendus du déroulement des audiences faits par eux sont publiés par les soins de Pax Press dans les différents médias rwandais. De même, seront organisées des réunions d’informations avec les populations et avec les victimes.

Cette note d’information est une communication du programme « Justice et Mémoire » qui vise à faciliter aux populations rwandaises la compréhension et la participation aux procès de génocide sur base de compétence universelle, et favoriser l’intégration des apports de ces procès dans la mémoire de la justice du génocide.

Ce programme est conduit par les organisations RCN Justice & Démocratie, PAX PRESS, Haguruka et Association Modeste et Innocent (AMI).  Ce programme entend suivre la suite de la procédure et informer sur le déroulement de ces procès.

Ce programme bénéficie du soutien financier de la Belgique à travers la Direction générale au développement (DGD). Les diffusions du programme n’engagent pas la DGD.  (Fin).