L’Eglise catholique initie une expérience originale de réconciliation après le génocide

Puis elle désigne du doigt le tueur repenti, Gratien Nyaminani, 52 ans, debout à côté d’elle dans une salle où sont réunies des familles réconciliées après les juridictions Gacaca.

« Maintenant nous sommes réconciliés avec l’assassin de mon mari. Nous sommes des voisins. Nous vivons sans suspicion, sans crainte aucune. J’ai accordé le pardon au tueur de mon mari parce qu’il s’est repenti. La vie a repris. Nos familles vivent en paix ensemble, dans l’entraide. C’est pour cela que mon fils Alfred Uzabakiriho a épousé la fille de celui qui m’a rendue veuve », explique madame Bernadette Mukakabera.

L’assassin Nyaminani a été détenu pendant 13 ans pour crime de génocide. Il a eu le temps de réfléchir, de se repentir, et de demander à être réintégré dans la société.

Dans cette paroisse de Mushaka, on cite un autre cas de mariage entre une famille rescapée et une autre de bourreau. C’est la fille du rescapé Damien Ntahumuhaganwa qui a épousé le petit frère du génocidaire Silas Gapanga.

Ces cas de mariages entre rescapés entre famille de bourreaux montrent à quel point des efforts ont été faits pour ressouder le tissu social.

Selon la population, doivent être remerciés ici le programme d’unité et de réconciliation initié par le Gouvernement rwandais, et l’Abbé Ubald Rugirangoga de la Paroise Mushaka qui a lancé un processus de réconciliation de base de six mois.

La contribution individuelle des victimes et des bourreaux, leur conscience de chrétien, y a été pour beaucoup.

Aujourd’hui, c’est l’Abbé Jean Eric Nzamwita qui a remplacé l’Abbé Ubald devenu évangéliste rattaché au diocèse de Cyangugu.

« 114 familles de victimes et 114 familles de génocidaires se sont réconciliées. Elles vivent ensemble en harmonie. Sans méfiance. Elles vaquent à diverses activités d’entraide ou au service du développement de la communauté. C’est un grand pas franchi de parvenir à avoir 228 familles réconciliées et qui, à leur tour répandent les semences du pardon », indique l’Abbé Nzamwita.

L’on est en face d’un programme originel amorcé par la Paroisse de Mushaka pour recréer la confiance dans la communauté. Il s’inscrit dans la gestion d’après les juridictions Gacaca. Certes, les sanctions contre les crimes ont été prononcées. Les peines de détentions ont été terminées pour certains. D’autres condamnés exécutent encore dans les camps les travaux d’intérêts généraux (TIG). Mais l’Eglise catholique a constaté qu’au retour dans leurs familles après une dizaine d’années en prison, la peur et la méfiance demeuraient terriblement présentes chez les bourreaux et les victimes du génocide. Tous.

Il fallait inventer une solution, créer un processus d’intégrer dans l’Eglise catholique et autres confessions religieuses ceux qui ont tué, leur permettre d’avoir accès aux sacrements, au culte comme tout bon chrétien revenu au bercail.

Pour cela, le pardon était nécessaire. Le criminel devait publiquement demander pardon et l’obtenir des membres des familles qu’il a endeuillées. Ensuite, un jour par semaine durant six mois, le repenti suit des cours centrés sur la réintégration dans la communauté et la paix avec Dieu. Ce processus fait référence à la Bible :

«  Votre amour doit être véritable. Aimez-vous comme des frères. Accordez le pardon à vos persécuteurs. Vivez avec tous en paix. Cfr Romains chap. 12/ 9-18 », explique l’Abbé Nzamwita.

Après six mois de cours, le criminel repenti, tenu dans la main par le membre de la famille de la victime qui n’est plus, avance devant le prêtre et les chrétiens. Publiquement il demande pardon qu’il obtient de son nouveau parrain dont il a privé d’un membre de la famille. Les deux s’embrassent. Et la réconciliation est scellée pour toujours.

Les témoignages de cette renaissance du criminel repenti sont nombreux à Mushaka. Le souhait est que cette expérience soit dupliquée ailleurs. Un plan de la réaliser a été conçu, et il est voie d’être concrétisé, pendant que Mushaka continue de réconcilier ses chrétiens, ainsi que d’autres personnes d’autres confessions religieuses qui le lui demandent.

C’est dans ce cadre qu’Ildéphonse Ntibaziyaremye qui a tué son oncle maternel s’est aussi réconcilié Damien Nahumuganwa, petit frère de cet oncle disparu.

De même, Ildéphonse Bicamumpaka, du secteur Nzahaha, a participé au génocide et a tué Mubashankwaya Narcisse, frère de Marc Nikuze, debout à côté du bourreau repenti en train de témoigner dans la salle. Ce tueur a macheté à mort aussi deux vielles dames qui vivaient avec la première victime.

Il a été emprisonné durant 8 ans 7 mois et 13 jours. Pendant sa détention, il n’a songé qu’à demander pardon aux familles de ses victimes.

Un autre cas est celui de la vielle Cécile Nyirantibiyamira, née en 1935, et qui a perdu son mari et ses cinq enfants lors du génocide.

Maintenant, elle s’est réconciliée avec l’assassin des siens dénommé, Célestin Gahunga, 53 ans. Tous partagent le même destin et s’entendent comme de bons voisins qui se rendent des services.(Fin)