Lettre de la CEO de la CEA pour solliciter l’appui des trois institutions financières internationales face au COVID-19

Kigali: La Secrétaire Exécutive de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA), Mme Vera Songwe, vient d’écrire une lettre d’urgence en sollicitant l’appui des trois institutions financières internationales pour aider les pays africains à faire face au COVID-19. Lire la Lettre dans son intégralité :

M. David Malpass, Président, Banque mondiale ;

Mme Kristalina Georgieva, Directrice exécutive, Fonds monétaire international ;

Mme Christine Lagarde, Présidente, Banque centrale européenne,

Date : 22 mars 2020 Réf. : OES/20/03/0047

Excellences,

Rapport sur la réunion des ministres africains des finances : Demande urgente à la communauté internationale sur la riposte contre le COVID-19.

Plus de 41 pays africains sont désormais touchés par le virus Corona. Les chiffres sont passés de moins de 70 personnes touchées il y a dix jours à plus de 1 200 au 22 mars 2020.

Reconnaissant l’impact que le COVID-19 a et aura sur les économies africaines, une conférence en ligne des ministres africains des finances a été organisée par la Commission économique pour l’Afrique, pour discuter de l’impact du COVID-19 sur le continent.

Cette réunion était coprésidée par Tito Mboweni, Ministre des finances de l’Afrique du Sud et Ken Ofori-Atta, Ministre des finances du Ghana. Cette lettre vise à partager les actions prises par l’Afrique et les mesures que celle-ci prévoit d’entreprendre, mais aussi à montrer comment et où vos institutions peuvent venir en aide.

Nous savons également que des discussions mondiales sont en cours dans les différentes configurations intergouvernementales telles que le G-20, et cette lettre présente les efforts et les idées des ministres africains des finances à des fins de coordination.

Au cours de notre conférence en ligne, les ministres africains ont réitéré l’importance et la gravité des effets de l’épidémie de coronavirus et ont souligné la nécessité d’une riposte immédiate pour atténuer sa propagation. Ils ont souligné la nécessité d’une approche coordonnée dans la conception de mesures de lutte contre le virus ainsi que l’importance d’être stratégique afin de mieux optimiser les ressources allouées pour lutter contre le virus COVID-19.

Sur la base des résultats de ces pays (par exemple le Sénégal, le Maroc, Djibouti, l’Afrique du Sud, le Togo, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, l’Éthiopie, le Tchad et le Ghana) où certains travaux sur les scénarios et les prévisions sont en cours sur les impacts du COVID-19, il en ressort que dans le scénario le moins probable, les pays africains connaîtront une baisse du taux de croissance du PIB de 2 à 3 points de pourcentage en 2020 si la propagation du COVID-19 n’est pas contenue à court terme.

Voici les interventions politiques et les actions immédiates sur lesquelles les coprésidents pensent qu’il y a un large consensus parmi les ministres africains, que nous aimerions partager avec vous :

1. L’Afrique a besoin de ressources supplémentaires énormes et immédiates de 100 milliards de dollars comme riposte immédiate ; sous la direction des institutions financières multilatérales, de la Banque mondiale, du FMI, de la Banque européenne d’investissement, de la BCE, y compris de la Banque africaine de développement et d’autres institutions partenaires comme Afreximbank et les banques régionales de développement.

Ils soulignent la nécessité de disposer de ces ressources par le biais d’un appui budgétaire ou de facilités de crédit étendues, indiquant la nécessité d’utiliser les structures existantes pour accélérer le processus. Reconnaissant que les pays sont affectés différemment et devront intervenir selon un contexte national, les pays ont été invités à partager les demandes pour assurer une riposte coordonnée. Étant donné l’urgence avec laquelle les ressources sont nécessaires, les ministres suggèrent que les 100 milliards de dollars américains peuvent être décaissés de la manière suivante :

a. Pour le secteur public, les ministres recommandent l’exonération immédiate de tous les paiements d’intérêts sur l’ensemble de la dette estimée à 44 milliards de dollars américains pour 2020 avec une extension possible à moyen terme. Cela fournirait aux pays un espace budgétaire et des liquidités immédiats. Cela devrait inclure les paiements d’intérêts sur la dette publique et les obligations souveraines.

b. Dans le cas du secteur privé, les ministres souhaitent l’exonération immédiate de tous les paiements d’intérêts sur les crédits commerciaux, les obligations de sociétés, les baux et l’activation des lignes de liquidité pour les banques centrales afin de garantir que les pays et les entreprises puissent continuer à acheter des produits essentiels sans affaiblir le secteur bancaire. Il conviendrait en même d’élaborer des politiques visant à maintenir les entreprises ouvertes afin de maintenir les emplois. Plus précisément, les ministres conviennent que l’exonération des paiements d’impôts dans les secteurs critiques et l’approvisionnement local par le secteur public dans son intervention à la crise soutiendraient les PME et les autres entreprises.

2. La nécessité d’une intervention sanitaire immédiate. Les ministres reconnaissent la vulnérabilité des populations, en particulier celles qui vivent dans des quartiers informels dans les zones urbaines d’Afrique. Ils recommandent les mesures suivantes.

a. Travailler avec l’OMS et les institutions continentales comme le CDC de l’Union africaine pour fournir un financement immédiat pour l’intervention sanitaire. Les ministres suggèrent d’activer immédiatement les ressources du Fonds mondial dans la mesure du possible. Ils soulignent à nouveau la nécessité de travailler avec les institutions existantes et de renforcer les systèmes existants.

b. Mettre l’accent sur les États fragiles et les populations vulnérables. Ils reconnaissent également le fardeau disproportionné que le COVID19 est susceptible d’avoir sur les femmes (dont beaucoup travaillent dans des secteurs où les entreprises ferment) et les enfants, dont l’éducation est perturbée. Les États fragiles doivent avoir immédiatement accès aux subventions et des filets de sécurité doivent être mis en place pour les plus vulnérables.

c. Utiliser les systèmes existants pour lancer et augmenter les programmes de filets de sécurité pour les plus vulnérables, cela pourrait être soutenu par des systèmes TIC solides pour la localisation et le suivi.

d. Pour ce qui est des systèmes de santé faibles et du besoin d’équipement, de capacités techniques et d’informations immédiats, les ministres soulignent la nécessité d’une intervention coordonnée pour obtenir du matériel logistique et des tests.

e. Quant au manque d’infrastructures médicales, en particulier les hôpitaux, les ministres soulignent la nécessité d’évaluer la capacité de l’Afrique à gérer la crise sanitaire, compte tenu des infrastructures sanitaires limitées, en particulier les hôpitaux, et appellent la communauté internationale à faciliter les mises à niveau et le soutien direct aux nouvelles installations.

3. Les ministres appellent la CEA et les dirigeants à travailler avec le secteur privé dans son intervention face à la crise. L’Afrique doit protéger son secteur privé dans la mesure du possible pour garantir la protection des emplois, mais aussi chercher une riposte à court terme pendant la crise.

4. Ils appellent à la nécessité de veiller à ce que la fermeture des frontières ne perturbe pas l’acheminement des produits médicaux et alimentaires essentiels nécessaires pour faire face à la crise, tout en reconnaissant que pour l’Afrique, il s’agit d’une riposte rentable dans les endroits qui ont été gravement touchés.

5. Ils font également appel à la nécessité d’exonérer les frais d’envoi de fonds. Étant donné le ralentissement attendu dans les principales économies qui sont à l’origine des envois de fonds vers l’Afrique, une exonération aux frais d’envoi de fonds contribuera à atténuer la baisse attendue des montants envoyés.

6. Travailler avec les leaders sociaux et culturels de manière à éduquer les populations et avec les entreprises technologiques pour identifier, gérer et informer les populations et les politiques. Les ministres reconnaissent que les dirigeants sociaux africains imposent le respect et peuvent facilement mobiliser une riposte collective de la communauté contre le coronavirus. Le gouvernement devrait donc travailler avec les communautés locales telles que les églises pour transmettre des messages sur les mesures à prendre pour gérer le coronavirus, y compris la distanciation sociale, la traduction des messages dans les langues locales et l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser des messages à de larges sections de la société. Les gouvernements pourraient également utiliser les technologies numériques comme moyen d’information pour contenir la propagation du COVID-19 et également pour assurer la continuité des activités.

7. Travailler avec des entreprises technologiques. Travailler en étroite collaboration avec les entreprises technologiques pour cibler et fournir des services ainsi que pour évaluer et analyser les données aidera les pays à toucher autant de citoyens que possible. Cela permettra également de consolider et de renforcer le secteur des technologies sur le continent, en préservant les emplois et en ouvrant de nouvelles opportunités, tout en renforçant la capacité de préparation à toute future épidémie ou pandémie.

8. Des solutions à moyen et à long terme seront nécessaires pour aider les économies à se relever après la crise actuelle. Bien qu’il s’agisse de mesures à court terme, nous devrons envisager des mesures à moyen et à long terme pour continuer à soutenir la reprise. Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette question. Les ministres s’accordent également à utiliser la plateforme pour poursuivre les discussions sur la riposte contre la crise et d’en faire un usage pour l’échange d’expériences. Alors que nous affinons cette initiative et que les discussions avancent, nous pensons que votre participation aux réunions serait très bénéfique. Veuillez agréer, Excellences, l’assurance de ma considération distinguée et nous prions pour que nous restions tous en sécurité en ces temps difficiles. (Fin)

CC :
-Tito Mboweni, Ministre des Finances de l’Afrique du Sud et Membre de la délégation sudafricaine au G-20 ;

-Ken Ofori-Atta, Ministre des Finances du Ghana, Président du comité de développement de la Banque mondiale et du Groupe intergouvernemental du G-24 ;

– Akinwumi Adesina, Président de la BAD ;

-Hafez Ghanem, Vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique ;

-Abebe Aemro Selassie, Directrice du Département Afrique à l’International Monetary.