Mai 1994: mise en œuvre rapide de l’extermination des Tutsi par le renforcement du programme dit « auto-défense civile » lancé par le président Habyarimana en 1991

By Dr Bizimana Jean Damascène*

Le Génocide perpétré contre les Tutsi n’a pas été un accident. L’un des programmes qui l’ont rendu possible est celui de l’auto-défense civile qui a été planifié par le Gouvernement Habyarimana depuis 1991, impliquant les institutions politiques, les services de renseignement, et l’armée. Ce programme est parmi ceux qui ont facilité les massacres de plus d’un million de Tutsi endéans les trois mois d’avril-juillet 1994.

1)      L’« AUTO-DÉFENSE CIVILE » a été lancée par le Président HABYARIMANA

Dans le cadre de la planification du Génocide, l’Auto-défense civile a été utilisée pour tuer les Tutsi dans tout le pays, mais elle a d’abord été essayée dans les Préfectures de Byumba et Ruhengeri. L’Auto-défense civile consistait à la sélection de jeunes gens Hutu, qui bénéficiaient de la confiance des autorités et qui étaient physiquement aptes, et à leur entrainement militaire après lequel ils retournaient dans leurs communes d’origine et recevaient des armes au maniement desquelles ils devaient entrainer d’autres jeunes, et qu’ils devaient utiliser pour massacrer les Tutsi soit disant pour se défendre contre l’ennemi.

Le programme “Auto-défense civile” a été lancé en 1991, sous l’instigation d’un officier français, le Lieutenant-colonel Gilbert Canovas qui était conseiller du Chef d’Etat-major de l’armée rwandaise, en la personne du chef de l’Etat, Juvénal Habyarimana. Dans son rapport qu’il lui adressa le 30/04/1991,le colonel Canovasa suggéré d’organiser la distribution d’armes à la population et d’entrainer celle-ci, dans la région du Mutara, surtout dans les anciennes Communes de Muvumba et Rutare.

Une réunion s’est ensuite tenue le 09 juillet 1991 à l’Etat-major de l’armée, dirigée par le Ministre de l’Intérieur, le General Augustin NDINDIRIYIMANA et à laquelle ont participé tous les chefs des renseignements militaires et de la Présidence de la République.

Selon le compte rendu de cette réunion, celle-ci devait examiner la rapide mise en oeuvre du souhait qu’avait émis le Président de la République en ce qui concerne la sécurité du pays, tel qu’il l’avait exprimé en ces termes: « la population doit recevoir le matériel adéquat et en quantité suffisante pour défendre la souveraineté du pays, de telle façon que plus personne n’osera attaquer le pays à l’ avenir »

Ceci démontre à souhait que c’est le Président Habyarimana qui a lui-même donné des instructions pour sélectionner des membres de la population et de leur distribuer des armes. Les institutions politiques et militaires ont quant à elles examiné les modalités de mettre rapidement en œuvre ces instructions.

2)      Dans le cadre de l’ « AUTO-DÉFENSE CIVILE », le Tutsi a été désigné comme étant l’ennemi du Rwanda à traquer et à tuer

La réunion qui s’est tenue à l’Etat-major de l’armée dont il a été question ci-dessus, a décidé que pour mettre en oeuvre les instructions du Président Habyarimana, il fallait d’abord identifier et désigner qui était l’ennemi, et ensuite mettre en place les stratégies adéquates pour l’affronter. Cette mission a été assignée à l’Etat-major de l’armée pour qu’il fasse une étude pour identifier clairement l’ennemi du Rwanda et désigner les moyens de le combattre.

Le 21 septembre 1992, cette étude, signée par le Chef d’Etat-major de l’armée rwandaise, le Colonel Deogratias Nsabimana, a été transmise dans le plus grand secret au Président Habyarimana et aux commandants de l’armée et de la gendarmerie dans tout le pays pour que son contenu soit communiqué aux militaires et aux gendarmes. Ce document figure parmi les preuves de ce que le Génocide perpétré contre les Tutsi a bien été planifié par l’Etat rwandais qui a rédigé cette étude pour propager l’idéologie du Génocide.

“L’ennemi n’est plus seulement en Uganda, mais est aussi à l’intérieur du pays”, tel est l’essentiel du message contenu dans cette étude. Cela signifiait que la zizanie avait commencé à être semée dans la population, laquelle devait être divisée entre les “mauvais” et les “bons”, et pour que les “bons” tuent les “mauvais”, désignés comme étant leurs ennemis. L’étude souligne également que “ le nombre des ennemis qui se trouvent à l’intérieur du pays a augmenté”, ce qui voulait inciter la population classée du bon côté, à se réveiller et comprendre que leurs compatriotes classés comme étant leurs ennemis sont nombreux, ce qui rappelle à chacun qu’il doit mettre tous ses efforts pour se débarrasser de l’ennemi désigné.

 Cette étude continue en expliquant de façon précise qui est l’ennemi et où il doit être recherché: “ L’ennemi se compose de deux parties a) l’ennemi principal = le Tutsi à l’intérieur du pays où à l’étranger, qui n’a jamais accepté la révolution de 1959. L’endroit où ils doivent être recherchés = les réfugiés Tutsi, l’armée ugandaise, les Tutsi de l’intérieur du pays, les hommes étrangers qui ont épousé des femmes Tutsi, les Hutu hostiles au Gouvernement actuel, (…) les étrangers qui ont les mêmes origines que les Tutsi, les criminels qui ont fui le pays. Les partisans de l’ennemi ou ses complices = toute personne qui lui apporte assistance, quelle qu’elle soit”

Ce document a une grande importance dans l’histoire du Génocide perpétré contre les Tutsi car il a défini le Tutsi comme étant l’ennemi du pays et désigné toute personne qui portera n’importe quelle assistance au Tutsi, comme étant lui-même un ennemi à abattre.

3)      L’organisation de l’« AUTO-DEFÉNSE CIVILE » a commencé avec les entrainements des tueurs auxquels des armes ont également été distribuées. 

L’autre document qui décrit la nature de l’Auto-défense civile a été publié le 29/09/1991, eta été rédigé par le Colonel Deogratias Nsabimana qui était alors commandant des troupes de l’armée rwandaise dans le Mutara. Ce document qui était adressé au Ministre de la Défense, reprenait les décisions prises dans une réunion qui devait étudier comment organiser l’Auto-défense civile. Nsabimana a rapporté que la réunion avait décidé que ceux qui allaient recevoir entrainements et armes, devaient être sélectionnés, par le Bourgmestre de la Commune en collaboration avec les conseillers, à la mesure d’une personne sur dix habitations.

Selon le Colonel Nsabimana le nombre d’armes à distribuer avait été fixé comme suit:

Commune Muvumba = 350 ; Commune Muhura = 580 ; Commune Ngarama = 530 ; Commune Bwisige = 300. Soit un total de 1760armes qui ont été distribuées en 1991!

A la fin du mois de janvier 1993 et début février 1993, le Colonel BAGOSORA a dirigé la distribution d’armes à des Interahamwe du nord du pays. Dans son agenda de 1993, il y est consigné que dans les Communes Mutura, Giciye, Rubavu et Rwerere en Préfecture Gisenyi, ont été distribuées 500 armes ; le contenu de son agenda a servi comme élément de preuve de sa culpabilité devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).

Le mois de janvier 1994 a été caractérisé, d’une part par la joie de certains rwandais qui étaient heureux de la venue à Kigali, le 28 décembre 1993, de 600 militaires du FPR Inkotanyi et de leurs politiciens qui devaient intégrer les institutions de transition comme c’était prévu par les accords de paix d’Arusha. Du côté du Gouvernement rwandais  et de son armée, ils n’étaient pas contents de cette situation et ont commencé à mobiliser la population à commettre le Génocide, notamment par l’intensification des entrainements  et de la distribution d’armes aux Interahamwe, sous le couvert du programme auto-défense civile.

Tout était fait pour convaincre les Hutu que tous les Tutsi étaient des ennemis du pays qui devaient être tués.

La décision a été prise de nommer des personnes qui devaient coordonner dans tout le pays les distributions d’armes et l’entrainement des tueurs. Au niveau national, le programme Auto-défense civile a été confié au Colonel Athanase GASAKE qui avait des collaborateurs dans les Préfectures.

Dans la ville de Kigali, celui qui dirigeait le programme auto-défense civile était le Commandant BIVAMVAGARA en collaboration avec le Préfet de Kigali, le Colonel Tharcisse RENZAHO ; dans Kibungo c’était le Colonel Pierre Célestin RWAGAFIRITA ; dans Kigali Ngari c’était le Major Stanislas KINYONI ; à Cyangugu c’était le Colonel SINGIRANKABO, à Gitarama c’était le Major Jean-Damascène UKURIKIYEYEZU, dans Butare et Gikongoro c’était le Colonel Aloys SIMBA qui avait des adjoints dont le Colonel Alphonse NTEZIRYAYO qui a été nommé Préfet de Butare pendant le Génocide. Dans Gisenyi et Ruhengeri l’auto-défense civile a été dirigée par les commandants militaires dans ces  Préfectures, le Colonel Anatole NSENGIYUMVA à Gisenyi et le Colonel Augustin BIZIMUNGU à Ruhengeri, lequel a été ensuite remplacé par le Colonel Marcel BIVUGABAGABO.

Tous ces militaires de haut rang ont participé avec les autorités des Préfectures et des Communes, à la coordination et à l’accélération de la mise en œuvre du Génocide.

4)      Modalités de sélection des jeunes Interahamwe qui devaient être entrainés.

Dans son rapport secret du 07/02/1992, RWIRAHIRA Vincent, responsable des services de renseignement à Byumba et originaire de la Commune Kibilira à Gisenyi, rapportait de la mise en oeuvre du programme “auto-défense civile”. RWIRAHIRA affirmait que le Ministère de la Défense avait accepté de libérer 300 armes qui devaientêtre distribuées aux membres de la population qui avaient été sélectionnés dans les Préfectures de Byumba et Ruhengeri; 180 devaient être distribuées à la population de Byumba et les autres 120 à celle de la Préfecture de Ruhengeri.

Le rapport de Rwirahira affirme qu’une réunion a été organisée à la Sous-préfecture de Ngarama pour examiner la mise en oeuvre de l’ auto-défense civile, et qu’elle a décidé que deux cent cinquante (250) jeunes gens devaient être sélectionnés dans le plus grand secret par les Bourgmestres en collaboration avec les Conseils communaux de sécurité, et qui devaient être envoyés au camp militaire de Gabiro pour y être entrainés au maniement des armes pendant la période du 29 janvier au 5 février 1992. Rwirahira continue en affirmant que la réunion a également décidé que le nombre de ceux qui devaient être entrainés devait augmenter  et que les Bourgmestres devaient faire le suivi de ce programme au jour le jour.

 Dans le camp Gabiro, les entrainements des Interahamwe étaient dirigés par le Capitaine Ingénieur Faustin NTIRIKINA et le Major RWABUKWISI Vincent. Ces deux officiers ont porté une lourde responsabilité dans le Génocide, actuellement NTIRIKINA réside en France et est un des témoins du juge d’instruction BRUGUIERE dans ses réquisitoires mensongers contre le Rwanda.

Pendant le Génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, certains des militaires du Bataillon Huye sous le commandement du Major NTIRIKINA et qui ont campé sur le Mont Kigali, ont participé aux massacres de Tutsi à Nyamirambo, Biryogo, Nyakabanda et ailleurs.

Parmi les Interahamwe qui ont été entrainés à Gabiro et qui étaient venus de la Commune Muvumba, il y avait: MWUMVANEZA Emmanuel, NKURUNZIZA Elias qui était Conseiller du Secteur Karama, MUNYANDINDA Sylvestre qui était moniteur agricole, KABURAME Jean Damascene, et d’autres. Ces Interahamwe ont été entrainés en 1992.

Un des militaires qui dispensait ces entrainements, NDINDABAHIZI Emmanuel, a été entendu par la Commission du Rwanda qui a enquêté sur la responsabilité de la France dans le Génocide (Commission Mucyo), et a déclaré que ces Interahamwe étaient non seulement entrainés au maniement des armes, mais aussi et surtout aux techniques qui devaient leur permettre de tuer rapidement des gens en utilisant des outils traditionnels. 

Joseph SETIBA, un des redoutables Interahamwe qui ont été entrainés à Gabiro et qui était le chef de ceux de la Commune Shyorongi, a déclaré devant la Commission Mucyo que le nombre des Interahamwe qui ont été entrainés à Gabiro en 1992 est entre 600 et 700.

5)      Des machettes ont été distribuées à la population dans le cadre du programme génocidaire de l’auto-défense civile

Dans le cadre de la mise en œuvre du Génocide par le biais de l’auto-défense civile, de jeunes gens Hutu ont été sélectionnés, entrainés militairement, reçu des armes, des munitions et des grenades tandis que le Gouvernement achetait également des machettes à distribuer à la population en un court laps de temps. Ces machettes figurent parmi les armes traditionnelles avec lesquelles les tueurs ont procédé aux massacres pendant le Génocide perpétré contre les Tutsi.

En février 1994, un agent de la société britannique CHILLINGTON, a déclaré que leur société venait de vendre au Rwanda endéans quelques mois, de nombreuses machettes dont le nombre dépassait largement celui de toutes celles qui avaient été commandées pendant toute l’année 1993. Les documents relatifs à l’autorisation d’importation de biens au Rwanda ont été examinés par Human Rights Watch entre janvier 1993 et mars 1994, et montrent que pendant cette période 581 tonnes de machettes ont été vendues au Rwanda.

Ces machettes ont été commandées pour la somme de 95 millions de francs rwandais qui a été payée par Kabuga Félicien et distribuées ensuite massivement dans la population.

Le journal britannique, The Sunday Times, a révélé en date du 24 novembre 1996, qu’entre août et décembre 1993, la société  CHILLINGTON a vendu d’autres machettes à deux agents de la société rwandaise RWANDEX, Eugène MBARUSHIMANA et François BURASA. MBARUSHIMANA qui était un agent de RWANDEX était le gendre de KABUGA et  également le Secrétaire général des milices Interahamwe au niveau national. BURASA quant à lui était un militaire de réserve et membre de la CDR, parti d’extrémistes Hutu, sans oublier qu’il était le frère de Jean-Bosco BARAYAGWIZA, un des hauts dirigeants de ce parti. Des machettes étaient achetées et distribuées à des civils qui avaient été entrainés militairement, dans le cadre du programme de l’auto-défense civile dont des traces ont été découvertes dans l’agenda de BAGOSORA.

CONCLUSION

Il a été démontré que l’auto-défense civile a été un outil d’envergure utilisé par le Gouvernement Habyarimana pour planifier et mettre en œuvre l’extermination des Tutsi. Ce programme a en effet été utilisé pour sélectionner les jeunes gens qui ont été intégrés parmi les tueurs qui ont exterminé les Tutsi, programme qui a été lancé par le Président Habyarimana. Preuve que le Gouvernement Habyarimana a planifié le Génocide.  (Fin)