«Pour atteindre les ODD en 2030, l’Afrique doit accélérer leur mise en œuvre et investir dans le modèle de transformation»- Jean-Paul Adam

Jean-Paul Adam, Directeur de la Division des Technologies et des Ressources Naturelles au sein de ECA

Au terme du 8ème Forum Régional Africain sur le Développement Durable (FRADD), Jean-Paul Adam, Directeur de la Division des Technologies et des Ressources Naturelles au sein de ECA, affirme que pour atteindre les ODD  en 2030, l’Afrique doit accélérer leur mise en œuvre, reconnaître quelles sont les raisons à l’origine des problématiques, et investir dans le modèle de transformation. Lire son interview exclusive à André Gakwaya de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI-RNA) – 

ARI- Depuis plusieurs années, où en est-on avec le FRADD ? Alors que depuis plusieurs années,  il y a le HLPF qui décide pour tout le monde. Pourquoi organiser le FARDD puisque de toutes les façons le HLPF va décider pour le monde entier ?

JPA- C’est de reconnaître les spécifiâtes régionales. Et surtout que l’Afrique a des défis très spécifiques. L’Afrique est plus affectée par le changement climatique par exemple. Et dans le Forum de haut niveau de HLPF, il y a quand même cette reconnaissance de cette différence régionale, et malgré qu’il y a une consolidation des messages qui viennent de toutes les régions, je crois que les fora récents ont quand même su garder cette spécificité africaine dans les messages consolidés et l’importance de ce processus. C’est aussi faire le point sur la mise en œuvre des ODD en Afrique et surtout aussi reconnaître les raisons des écarts. Et je crois que ce forum offre aussi l’utilité de voir l’Afrique mieux gérer la pandémie tel qu’on ne l’aurait pensé. Mais l’Afrique économiquement a une relance plus difficile de son économie. Et c’est en partie structurel, lié aux économies africaines. Parce que les pays africains dépendent souvent des exportations des matières premières dont le marché international qui n’est pas aussi stable qu’on l’aurait souhaité, et qui crée alors un problème pour le gouvernement. Alors, je dirais que même si le Forum de haut est plus général, certainement je sais que la Commission économique pour l’Afrique, et le Rwanda en étant le président actuel du Forum, va défendre la spécificité africaine.

ARI – Qu’a pu tirer l’Afrique de l’organisation des FRADD chaque année ?

JPA – Je crois qu’il y a des opportunités pour mieux mesurer la mise en œuvre des ODD. Par exemple, on a vraiment bâti les compétences des statistiques, nous avons beaucoup amélioré nos compétences en statistiques, c.-à-d. mieux connaître là où on est, et quand on connaît là où on est ça nous permet de mieux identifier les ressources additionnelles qui sont nécessaires, et les politiques et les stratégies nécessaires pour nous mener là où nous voulons être.

ARI – La COVID-19 a ralenti l’industrialisation de l’Afrique et fait régresser sa croissance. Où le continent trouvera des fonds pour accélérer les ODD ?

JPA – Certainement on a vu la situation en ce qui concerne les recettes. La situation de la dette africaine s’est empirée. En moyenne, les pays africains ont une dette par rapport au PIB de plus de 60 %. C’est une augmentation conséquente. Beaucoup de ces pays n’avaient pas assez accès aux ressources nécessaires pour faire face à la pandémie. Justement dans les pays à baisse du revenu, en moyenne par tête d’habitant, ils ont dépensé  57 dollars US seulement pour combattre la Covid-19. Dans les pays développés c’était plus de onze mille dollars US  ($US 11 000) par tête d’habitant. Cet écart entre le monde développé et le monde en développement n’est pas non plus bon pour le développement durable de la planète.

En ce qui concerne les opportunités des échanges entre les pays africains, la CEA a fait des études qui ont montré que nous devons avoir une croissance plus rapide en s’intégrant et en créant l’effet d’échelle. Malgré que nous ayons de grandes économies, la majorité des économies sont de petites économies. Et il faut penser que traditionnellement et même naturellement, les Africains font le commerce entre eux. Ce qui est très facile, c’est de séparer les questions des recettes gouvernementales, et nous devons trouver ces solutions qui permettent au gouvernement de mobiliser les ressources et investir, et la question de libre-échange entre les pays qui va vraiment créer la possibilité de créer des emplois et d’investir entre les populations.

Et je crois que pour citer un seul exemple, c’est l’agriculture surtout qui peut changer la donne parce que malgré que l’Afrique a une grande potentialité en agriculture, nous importons toujours une  grande partie de nos besoins. Et la crise récente en Russie et Ukraine a démontré la dépendance de l’Afrique par rapport par exemple à l’importation du blé. Et beaucoup de ces aliments avec un marché beaucoup plus intégré pourraient non seulement  être mieux produits, mais aussi la logistique autour c.-à-d. le transfert entre le marché pourrait se faire beaucoup plus facilement, et on bâtirait une résilience plus forte contre une future pandémie, ou contre tout autre désastre qu’on ne peut pas imaginer de nos jours.

Et certainement au niveau de la CEA, on continue  à mettre l’accent sur la mise œuvre de la ZLECAF, et malgré que nous ayons des défis associés avec la pandémie, on a aussi vu surtout en ce que concerne le commerce numérique, on a  aussi vu de la croissance, on a vu des innovations par des entreprises africaines.  

ARI – L’Afrique a-t-elle la chance d’atteindre les ODD avec les conflits qu’elle connaît ?

JPA – Certainement. Il y a encore huit ans pour arriver au calendrier 2030. Et le coup qu’on a pris avec la Covid-19, ça nous rend un peu de pessimisme. Mais ça c’est surtout parce que le modèle actuel n’est pas adapté à la réalité économique mondiale. Je crois que pour l’Afrique, même si c’est difficile, c’est possible, surtout si on change le modèle économique, si on arrive à utiliser les nouvelles technologies, si on arrive à renforcer les capités de nos populations, on peut changer la donne et on peut avoir une accélération très forte. Et ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il faut arrêter ou qu’il faut réduire l’ambition. Au contraire, c’est le moment d’accélérer, de reconnaître quelles sont les raisons à l’origine des problématiques, investir justement dans le modèle de transformation.

ARI – Pourquoi vous revenez tout le temps sur le mot innovation ?

JPA – C’est parce que logiquement quand on regarde nos économies qui ont réussi le pari de passer à très faible revenu, c’est des pays qui ont utilisé le numérique pour changer le format de leur économie. Il y a beaucoup de diversités dans les économies africaines. Pr exemple,  le prix du pétrole a flambé à cause la crise mondiale. C’est un avantage temporaire pour  les exportateurs. Le problème, c’est que la vraie valeur ajoutée de la majorité des pays africains n’est pas faite en Afrique, et en conséquence, même si on voit ces avantages à courte durée avec des profits pendant quelques mois, on subit cet effet un peu yoyo de changement des prix pour ces produits à l’exportation, tandis que si nous avions une industrie qui est beaucoup plus fixe sur les chaînes de valeurs sur la base des secteurs durables, on va créer plus d’emplois, et on va être plus résilient vis-à-vis des choc.

Un exemple que la CEA a utilisé en termes de crise, c’est la fabrication des batteries. Nous avons les éléments, le cobalt, le lithium dans les mines africaines, dans le sol africain. Mais si on arrive à avoir aussi ce côté industriel, c- à-d pas seulement extraire les minerais et les exporter, mais développer au moins une partie des précurseurs de ces batteries sur le continent africain, on va multiplier par 20, 30, et nous allons être moins  déstabilisés par l’instabilité du marché international.

Le financement est toujours un défi et surtout si on n’a pas les moyens. Je crois que certainement il faut vraiment oser. Il faut regarder vraiment comment investir dans les secteurs qui sont les plus transformateurs. Et il faut financer nos institutions comme l’Union Africaine. Et je dirais qu’il n’y a pas un moyen qui est meilleur qu’un autre. Mais je dirais de manière générale que le commerce et le libre-échange entre les Etats va créer une croissance qui permettrait justement d’avoir d’autres formes de flux financiers à investir justement  dans ces institutions. Le côté auquel il faut faire attention, c’est de ne pas taxer là où les choses peut-être marchent bien, et vraiment investir sur la valeur ajoutée à long terme, c.-à-d. des secteurs qui vont amener un effet multiplicateur. (Fin)