Préparation du Génocide à Kibungo : les violences commises contre les Tutsi entre 1990 et 1994

Kigali: Le début des années 1990 a été caractérisé par des persécutions et des actes de violence contre les Tutsi, facilités et organisés par des autorités civiles et militaires, selon une recherche menée par la CNLG (Commission Nationale de Lute contre le Génocide).

A chaque occasion, les autorités locales menaient une campagne d’incitation à la haine et à la violence ethnique souvent, suivie par des massacres contre des Tutsi. Mais ces crimes demeurèrent impunis et les autorités impliquées n’avaient généralement pas été inquiétées.

La région de Nasho était habitée par de nombreux Tutsi qui, dès le mois d’octobre 1990, furent massacrés. Un rapport sur les Droits de l’Homme affirme qu’avec l’attaque du FPR en octobre 1990, ces Tutsi furent alors attaqués et tués de nuit par les militaires de l’Armée rwandaise, qui n’utilisaient pas d’armes à feu pour ne pas attirer l’attention sur leurs exactions. Ce même rapport sur les Droits de l’Homme assimilait ces massacres à un génocide. Car les morts se comptaient par centaines : « A Nasho, le ravin de Gikoma (…) est le théâtre de ce génocide. Les morts se comptent par centaines ». En fait, selon un informateur de la Commune Rusumo, les massacres en toute discrétion des Tutsi continuèrent également pendant l’année 1991 « Il y avait à Nasho des charniers où ils jetaient des Tutsi parfois encore vivants ».

Dans son ouvrage, intitulé : « Ingoma y’amaraso » [ou Le régime de sang »], François Nsengiyumva évoque les injustices commises contre les Tutsi avant 1994, surtout dans les prisons. Il démontre aussi qu’à Nasho 140 Tutsi avaient été tués à Kazizi, la Commune Rusumo, et que d’autres ont été tués à Mutenderi et dans les Communes Sake, Kabarondo et Rukara.

En 1990 après l’attaque du FPR, il y eut effectivement des persécutions, des tortures, des actes de violence et même des assassinats contre les Tutsi, aussi bien dans la prison de Kibungo que partout ailleurs dans la Préfecture de Kibungo.

Le Procureur de la République à Kibungo, Mathias Bushishi, le substitut Callixte Kanyemera, Paul Sentashya qui était Chef du Service de Renseignement, Joseph Byakunda le Directeur de prison et d’autres autorités encourageaient les persécutions des Tutsi dans la région du Gisaka qu’ils considéraient comme étant particulièrement, plus que dans les autres régions, des complices des Inkotanyi.

Considérés comme complices du FPR, les Tutsi ont été emprisonnés et torturés, de sorte que certains d’entre-deux succombèrent en prison sous la torture.

Les Tutsi de la Préfecture de Kibungo, tout comme ceux des autres régions du Rwanda, furent donc persécutés. On peut, à ce propos, citer les cas d’Alfred Nkubili de Rusumo, Ananias Simugomwa de Rukira, Jean Damascène Rwasamirera de Rutonde, Sylvestre Nkusi qui enseignait à Zaza, Tadeyo Gakwenzire, John et Rwangoga de Commune Rukira. Il y a d’autres qui ont été emprisonnés, torturés et même assassinés comme Charles Kagango, ancien Directeur du Petit Séminaire de Zaza et le Pasteur Jean de Dieu Mwumvaneza de Nyarubuye qui fut mis à mort crucifié sur une croix comme Jésus. Même les femmes ont été mises en prison, notamment Virginie Mukangarambe (la femme de Charles Kagango) de la Commune Mugesera et l’épouse d’Alfred Nkubili de la Commune Rusumo. Olivie Uwamwezi de la Commune Kayonza a été emprisonné pour avoir chez-lui les photos de son frère qu’on disait avoir rejoint les Inkotanyi au front. Seuls ont été épargnés, ceux qui avaient voyagé en dehors du Rwanda avant cette période.

Alfred Nkubili a parlé de cette période en ces termes : « Je me rappelle qu’après l’attaque du FPR, le Président Habyarimana s’est rendu à Gabiro et a dit aux militaires qu’il vengerait ses militaires morts au combat. Cette nuit, j’ai entendu des tirs nourris, mais le matin il n’y avait aucune trace de victimes. Les militaires ont établi des listes de Tutsi sur lesquelles mon nom figurait pour avoir, parait-il, vendu mes vaches qui se trouvaient dans la région du Mutara afin de financer les Inkotanyi. Mon épouse et d’autres personnes furent emprisonnées car considérées comme des complices du FPR ».

Samuel Ndoba, un ancien policier de la Commune Kabarondo, a témoigné lors de son audition à Paris, au cours du procès de Tito Barahira et Octavien Ngenzi, que dans cette Commune, comme c’était le cas partout dans le pays, les Tutsi était régulièrement arrêtés depuis 1990. Le Bourgmestre Octavien Ngenzi a organisé une véritable chasse aux Tutsi, ordonnant l’arrestation de ceux-ci dont il détenait les noms sur une liste parce qu’ils étaient considérés comme des espions, des complices des Inkotanyi.

Durant cette période, on ne pouvait rien dire ni demander quoi que ce soit sur l’enlèvement ou l’assassinat de proches par crainte d’être arrêté.

Dans la prison de Kibungo il y avait un homme originaire de Kibuye nommé Emmanuel Uhoraningoga et surnommé Gifaransa. Ce dernier était un grand cambrioleur. Ainsi, depuis 1990, Gifaransa fut utilisé pour torturer les Tutsi incarcérés dans cette prison par les autorités de Kibungo citées plus haut. Le Dr Célestin Bigomwa, médecin de son état, petit frère de Martin Bucyana, fut utilisé pour délivrer de fausses attestations de décès selon lesquelles ils seraient morts d’une maladie. Par exemple, une des victimes qui succomba après avoir été frappée à la tête à l’aide d’un bâton par Gifaransa, a été déclarée être morte suite à une crise d’asthme.

Lors de l’attaque du FPR, le témoin Jean Damascène Rwasamirera était enseignant au Petit Séminaire de Zaza et Charles Kagango en était le Directeur. Le 14 octobre 1990, quelques deux semaines après l’attaque du FPR, tous les deux furent emmenés et emprisonnés avec les autres Tutsi qui étaient considérés comme des complices d’Inkotanyi. Quand ils furent conduits en prison à Kibungo, des prisonniers se sont exclamés en les voyant arriver : « regarde des Inyenzi ».

Selon le même informateur, ils y vécurent un calvaire, car ils furent maltraités et torturés dans la prison de Kibungo par le prisonnier surnommé Gifaransa déjà cité plus haut. Ce dernier les frappait, parfois il emmenait d’autres prisonniers pour l’aider dans sa sinistre besogne. Et quelques jours après leur incarcération, Gifaransa tua Charles Kagango dont la mort fut attribuée, par le Dr Célestin Bigomwa, à une crise d’asthme. Dans les années 1990-1994, il était toujours actif et a participé aux massacres contre les Tutsi. Il avait alors autour de 62 ans. Pendant cette période, il a fait emprisonner et fait tuer les Tutsi dans la Commune Mugesera et à Kibungo.

Un informateur de la Commune Mugesera, Emmanuel Habimana alias Cyasa, qui était président des Interahamwe dans la Préfecture de Kibungo, a confirmé la même version que Rwasamirera et Nkubili, d’après laquelle les Tutsi étaient persécutés et torturés en prison par un prisonnier surnommé Gifaransa. Selon cet informateur, parmi les autorités qui étaient les initiateurs de tous ces actes de violences, il y avait l’agent de renseignement Paul Sentashya, Léopold Gakware, Karema et d’autres. Ce sont ces derniers qui avaient arrêté Charles Kagango chez-lui.

Vers l’année 1993, l’arrestation des supposés complices du FPR (Ibyitso) se conjugua avec la propagande des partis politiques MRND, MDR et CDR. A Rukumberi, l’action de ces partis était coordonnée par le député Sylvain Mutabaruka et François Twahirwa de Commune Sake. Durant cette propagande, on entendait des slogans comme “Exterminons les Tutsi ». Au cours de cette année, plusieurs tutsi furent tués à Rukumberi malgré les protestations de la Communauté Internationale contre ces massacres.

Durant cette période de 1990 à 1994, les Tutsi étaient victimes d’injustices et de diffamations.

Bien plus, en 1992, après les massacres contre des Tutsi à Bugesera, ceux de Rukumberi furent à leur tour tués, notamment Rugina et Nyabirungu. Les Hutu de Nsholi massacraient les Tutsi qu’ils trouvaient dans leurs pâturages et jetaient leurs corps dans la rivière Akagera. Certains Tutsi de Rukumberi trouvèrent refuge à la Paroisse de Rukoma où l’abbé Michel Nsengiyumva prirent soin d’eux et alerta Kibungo qui envoya des gendarmes pour les protéger. Les Hutu de la région étaient cependant en alerte guettant le moindre prétexte qui leur permettrait d’exterminer les réfugiés Tutsi. Ceux-ci restèrent à la paroisse pendant 4 jours après lesquels ils rentrèrent chez eux.

Dans la Commune Kabarondo, des actes semblables de barbarie encouragés par le Bourgmestre Tito Barahira, avaient marqué cette Commune. Tito Barahira était présenté comme un homme foncièrement méchant qui voulait éliminer les Tutsi de la Commune Kabarondo. En 1993, Tito Barahira s’est illustré pour avoir battu un jeune homme nommé Jovite Ryaka, en le frappant sur le sexe, après quoi il l’attacha à sa voiture et le traîna par terre.

Dès le mois d’octobre 1990, Jean-Baptiste Gatete venait souvent de Byumba pour mener à Kibungo une opération dite « coup de poing ». Elle consistait à fouiller les maisons des Tutsi pour, disait-on, vérifier si des armes ou des complices du FPR s’y trouvaient. Il a fait arrêter de nombreux Tutsi dans toute la Préfecture de Byumba et de Kibungo pour les emprisonner ou les faire tuer.

Effectivement, durant la période d’octobre 1990 à 1993, des actes de violence et des massacres ont été commis contre les Tutsi dans le pays tout entier, téléguidés par le régime alors au pouvoir. Ce dernier utilisait les Interahamwe et d’autres milices créées pendant cette période pour cette sale mission. Les violences et les massacres commis contre les Tutsi restèrent impunis, car les auteurs de ses violences étaient soutenus par les autorités. (Fin)