Procès Hategekimana/Manier pour génocide à Paris, 27 juin 2023. J32

PLAIDOIRIES DES AVOCATS DE LA DÉFENSE

Ce 32ème jour d’audience était consacré aux plaidoiries de la défense qui est composée de quatre avocats: maître GUEDJ, maître DUQUE, maître ALTIT et maître LOTHE.

Maître ALTIT a commencé cette plaidoirie avec une introduction qui permet de résumer dans les grandes lignes les arguments de défense mis en avant depuis le début de ce procès. Il invite ainsi la cour à saisir la complexité du contexte rwandais ayant mené au génocide : « Il faut éviter tout raccourci, amalgame, se méfier du simplisme, de la caricature et éviter le piège de juger ce qui est loin dans le temps et l’espace ». Maître ALTIT explique ensuite que le contexte qui a été présenté aux jurés n’est pas complet et qu’il est en réalité plus complexe que ça. 

L’interprétation de ce contexte par la défense vise donc à dire que les barrières ont seulement été érigées dans un but préventif, afin de préserver la sécurité des citoyens et de leurs biens, contre les étrangers et contre le FPR (Front Patriotique Rwandais) et que des assassins ont profité de ces barrières pour commettre des crimes. Elle vise aussi à dire que les gendarmes de NYANZA étaient en trop petit nombre pour arrêter le génocide.

Maître ALTIT dit que cette réalité si complexe ne nous a rien dit sur qui était réellement l’accusé. Il poursuit en dressant le portrait de Philippe HATEGEKIMANA qu’il présente comme quelqu’un qui ne disposait d’aucun pouvoir pour prévenir et arrêter le génocide et qui a tout fait pour tenter de sauver les Tutsi. Il demande alors comment juger alors qu’on ne sait rien de la société rwandaise et du chaos qui a précédé le génocide, chaos qui a évidemment, selon la défense, été généré par les attaques du FPR. Et dans ce chaos, il était difficile pour des gendarmes d’aller contre des ordres du haut commandement.

Maître ALTIT aborde ensuite la question des faux témoignages dont on a déjà tant entendu parler. Il affirme que le Rwanda est une dictature et que les témoins sont à la merci des puissants. Les témoignages sont contradictoires et donnent des versions différentes de mêmes faits, et puisque les descriptions faites du mortier 60 ont varié d’un témoin à l’autre, et en présence de doutes, la cour et les jurés se doivent d’écarter tout témoignage qui mentionnerait ce mortier. Maître ALTIT s’attaque ensuite à l’accusation et à la cour qui selon lui, n’ont fait venir que des témoins à charge sans exercer de contrôle critique sur leur crédibilité. Ils seraient immédiatement partis du postulat que les témoins disent la vérité. Le président, quant à lui, n’aurait pas pallié les manquements de l’instruction en refusant les demandes d’actes tardives de la défense. Maître ALTIT explique que l’accusation et notamment le juge d’instruction ont manqué de sens critique et de rigueur en ne questionnant pas les méthodes du CPCR pour obtenir des témoignages. Pourtant il se livre à citer l’audition d’Alain GAUTHIER datant du lundi 19 juin, au cours de laquelle ce dernier a expliqué une nouvelle fois le processus utilisé afin de demander les témoignages de détenus auprès des directeurs des prisons. Maître ALTIT questionne de nouveau le caractère anonyme de la lettre reçue par le CPCR informant de la situation de Philippe MANIER.

Il demande alors pourquoi c’est Philippe HATEGEKIMANA qui se trouve dans le box de l’accusé aujourd’hui, et répond en disant qu’il était simplement là et qu’il n’est qu’un « bouc émissaire entraîné dans un rapport politique qui nous dépasse ». Ce rapport politique serait celui du régime rwandais dictatorial qui, dans son besoin de légitimité, cherche à s’ériger en défenseur des victimes et de la justice.

C’est ensuite au tour de maître DUQUE de s’exprimer à la barre. Elle commence par dire que si la défense a été qualifiée par les parties de négationnistes, ce n’est pas le cas : « Comprendre un génocide qui a fait presque un million de morts, c’est comprendre que l’histoire n’est ni blanche, ni noire ». Elle explique qu’ensuite que le fait pour l’accuser de décider de garder le silence n’est pas un aveu de culpabilité, mais son droit. Dans une tentative d’humanisation de l’accusé, Maître DUQUE explique qu’il a été difficile pour lui de passer ces cinq dernières années à l’isolement à la maison d’arrêt de Nanterre, et que contrairement à ce que la presse dépeint, il a exprimé de la tristesse à plusieurs reprises lors des témoignages, qu’il a essayé de cacher en couvrant son visage, pour ne pas pleurer. Ce serait donc simplement une timidité et une difficulté à exprimer ses sentiments qui sont à l’origine de sa froideur. Elle dit : « Cette vitre qui nous sépare empêche de voir son vrai visage ».

Maître DUQUE s’exprime sur la responsabilité de l’accusé concernant les barrières dans la sous-préfecture de NYANZA, notamment pour les barrières de l’AKAZU K’AMAZI, et de BUGABA. Elle explique ainsi que les barrières sont à distinguer des points de contrôle. La gendarmerie était seulement en charge des points de contrôle tandis que les barrières, elles, étaient contrôlées par des miliciens. Pour la défense, des gendarmes extrémistes pouvaient se glisser aux barrières, et les gendarmes comme BIGUMA essayaient de dissuader ces gendarmes extrémistes. Maître DUQUE va ensuite procéder à l’énumération des témoins à charge concernant les barrières et va tenter de les décrédibiliser un par un en affirmant à chaque fois, soit que ces témoins n’ont rien vu personnellement, soit qu’ils se contredisent, soit qu’ils mentent : dans tous les cas, ces témoignages ne sont pas fiables et ne peuvent être pris en compte.

La défense mentionne ensuite un prétendu risque de contamination entre les témoins puisque plusieurs d’entre eux étaient ensemble lors des remises en situation. Dans ces conditions, la défense demande d’acquitter l’accusé pour son rôle aux barrières.

Maître LOTHE prend la suite et commence le même exercice mais pour les attaques sur la colline de NYAMURE et sur le site de l’ISAR SONGA. Il explique que pour NYAMURE, 18 personnes ont été entendues dont 11 parties civiles. Pour l’ISAR SONGA, 12 parties civiles ont été entendues, et toutes, soit n’ont jamais entendu parler de BIGUMA, soit ont entendu qu’il était responsable par d’autres personnes, soit se contredisent. Maître LOTHE fait lui aussi état de la présence de faux témoignages dans le dossier sans vraiment la prouver pour autant. Il indique pourtant que dans une affaire de génocide au Rwanda, la présence de faux témoignages est « quasiment de notoriété publique ».

Enfin, c’est Maître GUEDJ qui prend la parole. Lui, est chargé de nous parler de l’exécution du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA. Il s’attelle au même raisonnement pour ces faits, en s’attardant particulièrement sur le témoin Israël DUSINGIZIMANA qu’il juge douteux puisqu’il était l’un des témoignages cités dans la plainte du CPCR et qu’il est beaucoup intervenu au Rwanda auprès de détenus pour les encourager à avouer leur culpabilité devant les juridictions Gacaca (NDRContrairement à ce que prétend maître GUEDJ, Alain Gauthier n’a pas refusé d’expliquer les méthodes du CPCR. Il ment. Se reporter aux questions que son confrère a posées au président du CPCR lors de son audition) Puis Maître GUEDJ répète les mêmes arguments que ses confrères concernant le manque de crédibilité des témoignages. Il insiste sur le fait que le Rwanda est un régime autoritaire et que dans les prisons rwandaises, on torture et on tue. Il s’adresse à la cour et au président en disant qu’ils auraient dû couper court aux témoignages des témoins qui mentaient au lieu de les remercier pour leurs témoignages.

Maître GUEDJ adresse une critique aux témoins de contexte qui ont été cités et qui selon lui, soit n’y « connaissent pas grand-chose, soit travaillent avec des parties civiles ». Il mentionne notamment Hélène Dumas qui n’avait pas répondu à sa question sur la nature autoritaire du gouvernement rwandais. Il cite cependant encore une fois les professeurs REYNTJENS et GUICHAOUA qui s’étaient prononcés sur la question des faux témoignages dans des affaires au TPIR.

Maître GUEDJ quitte alors son banc pour s’installer à la barre. Plus près des jurés, il tente de leur mettre la pression, de leur donner mauvaise conscience s’ils venaient à condamner son client. Il les met en garde contre une « instrumentalisation du pouvoir rwandais » (sic).  Il va même jusqu’à critiquer le président Lavergne sur sa façon de conduire les audiences.

Maître GUEDJ tente ensuite de convaincre que Philippe HATEGEKIMANA n’était pas présent dans la région de NYANZA au moment des meurtres. Il explique que le colonel NDINDILIYIMANA, qui a été entendu en visioconférence, a parlé de la mutation de BIGUMA à KIGALI mais sans préciser de date. Cependant il a mentionné un événement, celui de l’instauration du gouvernement provisoire. Or, maître GUEDJ dit que cette instauration a eu lieu en avril.

Enfin, dans une conclusion, maître GUEDJ argue que la défense a eu des moyens restreints puisque leur client bénéficie de l’aide juridictionnelle, qu’ils n’ont donc pas eu les moyens d’aller enquêter sur place. Quand ils ont fait des demandes d’actes, de pièces, d’expertises, celles-ci ont été refusées au motif qu’elles intervenaient trop tard dans la procédure, c’est-à-dire au cours du procès. Concernant les témoins, un seul trouve grâce à ses yeux, Tharcisse SINZI dont il loue l’honnêteté et la constance de ses déclarations. Par contre, il se demande pourquoi ce dernier s’est constitué partie civile. Il va même jusqu’à parler d’un « abus de constitution de partie civile » à son sujet. Etonnant!

Maître GUEDJ dit avoir l’impression d’être dans un dossier ou l’accusation était acquise. Pour conclure, il félicite les jurés pour leur effort et leur attention et leur relate le serment des jurés qui indique que les jurés doivent suivre leur conscience et leur intime conviction. Il ajoute : « Vous devrez juger l’accusé sans préjugé, suivre votre conscience et votre intime conviction en toute impartialité. ». Maître GUEDJ finit sa plaidoirie en demandant à la cour et aux jurés d’acquitter Philippe HATEGEKIMANA de l’ensemble des charges.

Monsieur le président suspend l’audience et donne rendez-vous au lendemain 9 heures. La parole sera donnée à l’accusé, pour le cas où il voudra bien parler, et la cour se retirera pour délibérer. Le verdict devrait être annoncé en fin de journée. (Fin).

Compte rendu réalisé par le CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR). Les auteurs :  Margaux Gicquel, stagiaire ; Alain Gauthier, président du CPCR; Jacques Bigot, pour les notes et la mise en page ; Sarah Marie, élève avocate au cabinet de maître Philippart, et Emma Ruquet pour les prises de notes quotidiennes