Procès pour génocide de Bucyibaruta à Paris. 15 juin 2022. J24

·         Audition de monsieur Védaste HABIMANA, partie civile.

·         Audition de monsieur Théophile ZIGIRUMUGABE, rescapé de Marie-Merci, partie civile.

·         Audition de madame Thérèse NDUWAYEZU, religieuse de la congrégation des BENEBIKIRA, en visioconférence de Lisieux.

·         Audition de monsieur Emmanuel NYEMANA, rescapé de Marie-Merci, partie civile.

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Audition de monsieur Védaste HABIMANA, partie civile.

« J’ai fait mes études à l’école Marie-Merci de KUBEHO. En 1992, une grève à caractère ethnique avait éclaté et les élèves renvoyés. Les Hutu disaient que les Tutsi voulaient les empoisonner. La situation évoluant de mal en pis, les élèves Hutu avaient fini par avoir la tête du directeur, l’abbé Jean-Marie Vianney SEBERA, un Tutsi. Ce dernier avait été remplacé par l’abbé Emmanuel UWAYEZU, un Hutu pur et dur qui, selon d’autres témoins, avaient la main leste. La situation a fini par empirer, jusqu’à ce que même des professeurs en viennent aux mains.

En janvier 1994, une nouvelle grève avait éclaté si bien que, en avril, alors que tous les jeunes Rwandais étaient en vacances, les élèves de Marie-Merci (prénom d’une fille du président HABYARIMANA) avaient dû rester à l’école pour rattraper les journées perdues.

Très vite, les chambres que nous occupions près de la paroisse ont été pillées et détruites. Nous avons déménagé dans les salles de classe. Le directeur lui-même était venu habiter au sein de l’école. Dehors, les réfugiés arrivaient en masse à la paroisse, certains tentant d’entrer à l’école pour se mettre à l’abri.

Des gendarmes ont été déployés, une quinzaine mais le directeur s’était fait particulièrement absent. Nous ne savions pas où il passait ses journées. Des attaques avaient été repoussées par les réfugiés les 12 et 13 avril. Cette du 14 sera la dernière. Les gendarmes sensés nous protéger se sont ligués avec les militaires et la population pour nous tuer. Jusqu’à nos cuisiniers qui seront fusillés sous nos yeux. Ce jour-là, les autorités telles que le bourgmestre Charles NYILIDANDI, le sous-préfet BINIGA, innocent BAKUNDUKIZE seront aperçues sur les lieux des massacres qu’ils supervisaient. 

Comme j’étais le « doyen », délégué élève élu par ses pairs, ils m’ont appelé pour me demander comment ça se passait dans l’école. Nous étions en panique, réduits à observer les événements par les fenêtres de la salle de classe où on nous avait fait entrer.

Le 15, des corps gisaient partout dans et autour de l’église qui avait été incendiée.

Le 16, une délégation constituée de l’évêque MISAGO, du bourgmestre, du sous-préfet et du préfet est arrivée à KIBEHO pour se rendre compte des dégâts. Les gendarmes nous ont demandé de traîner les corps vers les fosses mais nous avons refusé: c’était la première fois que nous voyions des morts. Un bulldozer est arrivé pour faire le travail.

Ce même jour, les élèves hutu ont commencé à se méfier de moi. Comme c’était notre tour de préparer la bouillie, ils nous ont accusé, une fois encore, de vouloir les empoisonner. Le directeur que j’ai fini par rencontrer m’a fait savoir que je ne pouvais plus être « doyen ». Il a ensuite fait part de sa décision à tous les délégués de classe. Un nouveau « doyen », un Hutu, a été nommé.

Les élèves hutu avaient tissé des liens étroits avec les gendarmes qui se souciaient peu de nous. Certains de nos camarades sortaient de l’école et revenaient en faisant circuler de fausses nouvelles pour monter la tête des autres Hutu. Certains des nôtres avaient vu le corps de leurs parents morts à l’église. Un certain Gervais RUSANGANWA est même allé jusqu’à fracasser la tête de deux bébés en les projetant contre un mur. Nous avions perdu tout espoir de survie.

Le  mai, nous sommes allés à la chapelle des apparitions pour assister à une messe que disait notre directeur Emmanuel UWAYEZU. Pendant la célébration, nous avons été encerclés par des gens armés de machettes et de gourdins. Il était clair que les gendarmes ne nous protégeaient plus. Une très grosse pluie est tombée avant la fin de la messe et il a plu toute la journée. Le climat de peur s’est définitivement installé dans l’école.

J’ai pu parler à trois camarades hutu de mes amis qui étaient chargés de ma surveillance. Ils devaient veiller sur moi et me tuer le moment venu. L’école comptait une centaine de Tutsi sur plus de Hutu. Il était prévu que je sois tué en  premier. C’est alors que nous avons décidé de fuir, non pour survivre mais pour être tués « proprement ».

Nous avons quitté l’école un soir, marchant la nuit et nous cachant le jour. Nous formions un groupe de dix qui a fini par atteindre la frontière du BURUNDI. Nous avons eu peur des militaires burundais. Nous étions tous sains et saufs, destinés à vivre quelques temps dans un camp. »

Questions.

Président : Parmi les élèves arrivés au BURUNDI, y avait-il une dénommée Théodette ?

Védaste HABIMANA : Oui, c’est la seule fille qui est arrivée avec nous.

Président : Pour mieux comprendre votre situation, dans votre famille, vous étiez une fratrie de plusieurs enfants ?

Védaste HABIMANA : Oui, c’est la seule fille qui est arrivée avec nous.

Président : Des frères et soeurs étaient avec vous à Marie-Merci ?

Védaste HABIMANA :Des parents éloignés.

Président : Pas de frères et sœurs proches ?

Védaste HABIMANA : Non, aucun.

Président : Dans votre famille, avec le génocide, d’autres personnes sont décédées ?

Védaste HABIMANA :: Oui, beaucoup.

Président : Parmi vos frères et sœurs ? Vos parents ?

Védaste HABIMANA :Mes parents et trois personnes de ma fratrie.

Président : J’ai compris que vous aviez été élève pendant trois ans à l’école Mari-Merci ?

Védaste HABIMANA : 5 ans. Si j’explique bien, j’ai commencé en 1988 jusqu’en 1994. L’année scolaire a commencé au mois de septembre, jusqu’au mois de juin de l’année suivante.

Président : Quand le génocide se produit, vous êtes à la fin des études à l’école Marie-Merci ?

Védaste HABIMANA : J’étais en 5ème année et il y a 6 ans à faire.

Président : Si on compare avec le système français, vous étiez en première et il vous restait la terminale ?

Védaste HABIMANA : Oui.

Président : Vous avez donné beaucoup d’informations, mais je comprends que vous avez été le témoin visuel des attaques sur la paroisse de KIBEHO et vous avez dit que vous avez vu que les autorités, le bourgmestre NYLIDANDI, le sous-préfet BINIGA, et l’agronome BAKUNDUKIZE. Vous les avez tous vu participer à ces attaques ?

Védaste HABIMANA : Oui, je les ai vus de mes propres yeux, et c’est ceux là qui m’ont appelé pour me demander si les élèves avaient un problème, car je représentais les élèves.

Président : Quand ils vous appellent, ils portaient des feuilles de bananiers ?

Védaste HABIMANA : Oui, ils portaient cela, les attaquants et les dirigeants car c’était le signe pour les distinguer des personnes à tuer.

Président : Vous avez dit qu’il y avait une visite de la paroisse le lendemain. Vous parlez  du 16, mais je parle sous le contrôle des parties, il me semble que c’est le 17.

Védaste HABIMANA : Ils n’ont pas visité l’école, ils ont visité l’église où il y avait eu les tueries. J’affirme que c’était le samedi car, le vendredi, les corps étaient restés là toute la journée. Autre chose, c’est que les corps éparpillés partout n’étaient pas loin du réfectoire et du stock de vivre, et c’est moi qui ouvrait ce stock.

Président : Ce que vous nous dites, c’est qu’il y a plusieurs attaques, dont la grande attaque et que les corps restent là durant un jour et que c’est après que la visite a lieu ?

Védaste HABIMANA : La grande attaque qui a décimé les gens a eu lieu le 14, les corps sont restés là le 15 et les fosses ont été creusées par les engins le 16 et c’est là qu’on a enfoui les corps.

Président : On a compris que le climat de tension entre les élèves Hutu et Tutsi était particulièrement tendu. Est-ce qu’on peut dire que c’est le fait de certains Hutu extrémistes ? Tous les Hutu n’étaient pas aussi extrémistes que les meneurs ? Vous avez par exemple expliqué qu’il y avait trois élèves Hutu qui étaient chargés de vous tuer, mais  qui ne voulaient peut-être pas le faire.

Védaste HABIMANA : Oui, c’est vrai. Vers la fin du mois d’avril, j’ai fait cours et comme le climat se détériorait, les listes se dressaient des personnes à tuer. Ces trois élèves avaient été choisis comme étant les personnes qui avaient fait cinq années avec moi, et devaient donc me tuer eux-mêmes comme punition pour leur manque d’implication dans les tueries, pour leur montrer qu’il ne fallait pas s’attacher aux Tutsi et qu’il fallait les tuer complètement.

Président : Qui était dernier tout ça ? Qui a incité ces élèves à vous tuer ? Qui organisait ?

Védaste HABIMANA : Même si le personnel ne travaillait plus dans l’établissement, il y en a qui venaient : KAYIGAMBA, MUSABYIMANA, KAREKEZI.

Président : Ça, ce sont des choses que vous avez déduites, mais vous n’avez pas assisté à des réunions pour organiser des tueries des élèves ? Ou est-ce que vos amis vous ont fait des confidences par la suite ?

Védaste HABIMANA : Je n’ai pas été invité à ces réunions, mais elles se tenaient devant nos yeux. Ce qui en résultait, on l’apprenait par la suite. Je vous ai parlé du comportement des gendarmes et des filles qui étaient nos amies, nous pouvions aussi le savoir par des échanges. Je ne dirai pas que tout le monde était au courant : les jeunes élèves qui étaient en 1ère et 2ème année ne pouvaient pas le voir, mais les élèves en 4ème et 5ème année, nous suivions de près cela car nous ne savions pas comment ça allait se terminer, ce qui nous a fait peur. Je pensais que nous pouvions vivre et survivre dans cet établissement. Mais quand j’ai vu qu’on me calomniait et qu’on disait à tord que j’avais empoisonné, je me disais que c’était un mensonge qui avait été préparé. Quand j’ai vu que le prêtre UWAYEZU croyait cela, que j’ai vu que les gendarmes y croyaient vraiment, que j’ai été démis, et qu’on m’accusait de cela devant les élèves, j’ai compris que c’était un plan pour m’écarter parce que j’étais méfiant et que je parlais des choses avec les autres élèves.

Président : Vous savez peut-être qu’on a accusé certains professeurs et élèves Tutsi d’être partis pour rejoindre le FPR [1] ? Est-ce que vous savez si cela est le cas ou si d’autres sont partis pour d’autres raisons ?

Védaste HABIMANA :Oui, je sais que certains élèves et professeurs ont été accusés de ça, mais je ne sais pas s’ils avaient rejoint le FPR ou s’ils avaient quitté l’établissement.

Président : Quand vous allez vous enfuir, c’est avant que vous soyez séparés, et les élèves Tutsi à l’école des lettres et les Hutu qui restent à l’école Marie-Merci ?

Védaste HABIMANA : Oui, vous avez bien compris, c’était le 1er mai entre 19h30 et 20h30, tous les élèves étaient encore à l’école Marie-Merci.

Président : Vous avez parlé d’un bâtiment dans lequel étaient logés certains élèves, qui avait été attaqué et pillé et que vous n’avez pas pu récupérer vos affaires. Est-ce que ce bâtiment accueillait des élèves Tutsi ou aussi des Hutu ?

Védaste HABIMANA :Les propriétaires étaient des investisseurs qui louaient à l’école Marie-Merci. Dans ce logement, nous y logions tous ensemble des  garçons Hutu et Tutsi.

Président : Voulez-vous ajouter autre chose ?

Védaste HABIMANA : Ce que je voudrais ajouter, c’est de continuer à remercier la justice et je vous remercie également de nous donner l’occasion de parler et de dire au monde entier ce qui nous est arrivé.

QUESTIONS DE LA COUR :

Juge Assesseur 3 : (Inaudible) Vous avez un pins/badge, que représente-t-il ?

Védaste HABIMANA : C’est une insigne mémorial pour me rappeler ceux qui sont morts pendant le génocide. Nous, qui sommes comme des rescapés de ce génocide, nous savons qu’il a commencé au mois d’avril et pendant cette période, nous nous remémorons ce qui s’est passé.

QUESTIONS des PARTIES CIVILES :

Me PHILIPPART : (Souhaite montrer à la cour des photos que Monsieur HABIMANA avait envoyées ce matin).

Me PHILIPPART : J’ai plusieurs questions à vous poser. La première concerne le directeur de l’école, Monsieur UWAYEZU. Vous nous avez dit que vous ne l’aviez pas beaucoup vu pendant la période du génocide, vous nous aviez dit d’ailleurs que vous vous sentiez abandonnés avec les élèves Tutsi. Est-ce que le peu de fois où vous l’avez vu, vous aviez eu l’impression qu’il se souciait de vous ? Il vous demandait ce dont vous aviez besoin, ce dont vous aviez peur ?

Védaste HABIMANA : Si je dis la vérité, ce n’est pas ce que je voyais, il ne se préoccupait pas de notre sort et de la vie normale de notre école, car pendant tout ce mois où nous sommes restés dans l’établissement, depuis que le génocide  a commencé, jusqu’à la date du 16/17 où j’ai été démis de mes fonctions et même les deux semaines qui ont suivi, je n’ai même pas pu le voir pour que l’on puisse s’entretenir plus de trois fois. Comme je vous l’ai dit plus haut, en date du 11 ou du 12 avant midi, le prêtre seul qui était dans un véhicule bleu a déménagé ses effets personnels de là où il était avec d’autres prêtres et est allé occuper la maison qu’occupait Madeleine RAFFIN. Cela pour dire qu’il habitait là-bas, on le voyait partir et revenir avec ce véhicule car à partir du 7, ce véhicule de l’établissement qui avant été conduit par un Tutsi, GAKUBA Marc, était pris par le prêtre. Il vivait encore à BUTARE.

Me PHILIPPART : Donc, vous ne savez pas du tout ce qu’il faisait de ses journées pendant tout le mois d’avril ?

Védaste HABIMANA :Je ne pouvais pas le savoir car il n’était plus avec les autres prêtres et on avait détruit le couvent. Moi, je pense qu’il était dans l’établissement avec les élèves mais cela n’a pas été le cas.

Me PHILIPPART : Pensiez-vous qu’il était au courant de ce qui se passait entre les élèves ?

Védaste HABIMANA : Il ne pouvait pas manquer de le savoir car les trois fois où je l’ai croisé, j’étais allé le chercher à ce propos et je lui ai dit. D’autre part, avant avril 1994, comme représentant des élèves, je pouvais m’entretenir avec lui et on venait du même lieu de GITARAMA. .

Me PHILIPPART : Et à aucun moment il n’a été question d’exclure les élèves Hutu qui se montraient menaçants à l’égard d’autres élèves, de les sanctionner ?

Védaste HABIMANA : des sanctions à l’égard de ceux qui se comportaient mal vis-à-vis des Tutsi n’ont jamais eu lieu.

Me PHILIPPART : Combien y avait-il de gendarmes le mois d’avril quand vous étiez présent ? Est-ce qu’il se sont montrés protecteurs ou menaçants ? Est-ce que leur comportement a changé au cours du temps ?

Védaste HABIMANA : Les gendarmes, ils se relayaient pendant que j’étais là, j’en ai vu entre trois et cinq. Pendant les tueries de l’église, ils étaient entre neuf et douze. S’ils s’étaient préoccupés de notre sort, je ne pense pas qu’ils auraient agi comme cela. Nous aussi nous n’attendions pas de réaction positive de leur part. Avant la date du 14, on pensait que c’étaient des gens qui s’occuperaient de notre sécurité. Mais, lorsqu’on les a vu tirer sur les réfugiés, en tenant compte aussi de la discussion qu’ils ont eu avec les élèves Hutu, leur comportement nous a prouvé qu’ils ne se préoccupaient pas de notre sécurité, qu’ils attendaient l’autorisation de nous tuer.

QUESTIONS de la DÉFENSE :

 Me LÉVY : Je voudrais revenir sur la composition du groupe qui se rend à l’église de KIBEHO après les massacres. Vous avez parlé du préfet, de l’évêque MISAGO, du bourgmestre et également du sous-préfet. Etes-vous sûr d’avoir vu le sous-préfet à cette occasion ?

Védaste HABIMANA : Oui.

Me LÉVY : Vous saviez qui était le sous-préfet ? Vous l’aviez déjà vu ?

Védaste HABIMANA : Celui que je ne connaissais pas, pour lequel j’avais l’habitude d’entendre parler, c’était le préfet. Tous les autres, je les connaissais.

Me LÉVY : Si je comprends bien, vous étiez sur le chemin pour aller récupérer le bois ?

Védaste HABIMANA : C’est vrai, ce n’est pas un chemin éloigné et les gendarmes qui étaient près d’eux nous ont appelé pour qu’on puisse les aider. Mais cela n’a pas eu lieu, ils ont vu que nous n’avions pas suffisamment de force pour leur venir en aide ou que notre force ne pouvait pas agir rapidement pour déplacer ces cadavres

Me LÉVY : Vous avez été témoin que des survivants des massacres ont été recueillis à l’occasion de cette visite ?

Védaste HABIMANA : Oui, ces visiteurs, je les voyais marcher entre les cadavres et en même temps les bulldozers jetaient les cadavres dans la fosse.

Me Lévy répète la question.

Védaste HABIMANA : Je l’aurai entendu dire, je ne l’ai pas vu de mes propres yeux. Il y a des enfants qui ont été ramenés à GIKONGORO, ça je l’ai entendu, mais je ne l’ai pas vu. Quand je suis passé, s’ils étaient déjà dans leurs véhicules, je n’en sais rien. Je l’ai su par d’autres élèves Hutu, mais moi personnellement je ne l’ai pas vu de mes propres yeux.

Me LÉVY : Est-ce que quelques mois avant le procès, vous avez rencontré les époux GAUTHIER à KIBEHO, dans le cadre d’un reportage filmé ?

Védaste HABIMANA : Oui.

Me LÉVY : Et lors de cette occasion, est-ce que Monsieur GAUTHIER vous a fait la liste de ces personnes qui seraient venues se déplacer à l’église après l’attaque à la paroisse de KIBEHO ? Le préfet, le sous-préfet, l’évêque…

Intervention du président : référence à un document qui n’a pas été vu. Demande quand même au témoin de répondre.

Président : Est-ce qu’il vous a donné la liste des gens qui étaient venus ?

Védaste HABIMANA : Non, il n’y en a pas. Je n’ai jamais été interrogé sur ce procès ou un procès similaire à celui-ci. J’ai su qu’il y avait ce procès et j’ai demandé pour venir moi-même. S’il n’y avait pas ces élèves de Maire-Merci de mon âge, je n’aurais pas souhaité venir dans ce procès.

Me LÉVY : Je reviens sur votre départ de l’école de Marie-Merci, vous nous avez expliqué qu’il y avait un plan préparé à l’avance, que certains élèves Hutu étaient désignés pour tuer des élèves Tutsi. Vous avez été au courant de ce plan et vous avez fui. Est-ce que vous avez parlé aux autres élèves Tutsi pour qu’ils puissent fuir également ?

Védaste HABIMANA : Oui, mais dans une situation difficile c’est compliqué. J’ai parlé à ceux qui étaient dans la même classe que moi, en 5ème année section économique. C’est à ceux-là que j’ai pu parler, mais les autres quand on se croisait avec chacun, on voyait qu’il y avait déjà un problème. Sur les dix avec qui on est partis, il y en avait quatre dans la même classe, cinq dans une autre section, deux en 4ème année section économique, deux en 2ème année et en troisième année. Chacun a eu peur personnellement. Dans la fuite, nous nous sommes retrouvés dans un même chemin.

Le président interrompt en disant qu’on a répondu à la question.

Me LÉVY : Vous avez eu des informations très précises sur ce plan, pourquoi vous n’en parlez pas à tous les élèves tutsi ?

Védaste HABIMANA : Comment est-ce que j’allais m’adresser à tous les élèves dans cette situation ? Je vous ai dit que j’étais délégué responsable, qu’on avait ce plan de m’éliminer, comment j’allais rassembler ces élèves. J’avais d’abord la préoccupation de ma vie. J’aurais pu fuir seul si je n’avais pas croisé ces neuf personnes. Je voudrais ajouter que, quand j’ai fui, je ne savais pas que j’allais être sauvé. J’ai vu tout ce qu’ils ont fait, ils ont tué la population, ils ont enlevé leurs biens, ils ont laissé des cadavres au soleil comme ça je le voyais, je ne voulais pas vivre mais être tué rapidement.

 Me LÉVY : Vous avez indiqué que vous étiez le doyen des élèves et des délégués. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment se passe cette nomination ?

Védaste HABIMANA : Les délégués des élèves, un garçon et une fille, étaient choisis parmi les élèves. Il y avait des responsables de classes qui se réunissaient et choisissaient ensemble un garçon et une fille parmi ceux qui étaient en 4ème et en 5ème année. Ce sont les élèves eux-mêmes qui se choisissaient entre eux.

Président : Donc, il y avait une élection ?

Védaste HABIMANA : Oui, pour bien détailler la chose, chaque classe a deux responsables, un garçon et une fille. Ces responsables se réunissaient ensemble, représentant leurs classes respectives. Parmi eux, ils choisissaient un garçon et une fille.

Me LÉVY : Donc, le directeur de l’école ne s’est pas opposé à votre désignation en tant que délégué et doyen des élèves, n’est-ce pas ?

Védaste HABIMANA : Avant le 7 avril 1994, je n’ai jamais vu que le directeur s’opposait à cela, mais le 17 avril, il me l’a dit d’abord, et le 17 il a rassemblé lui-même les élèves en disant qu’il fallait que je démissionne.

Me LÉVY : Et vous avez démissionné ?

Védaste HABIMANA : Non, je n’ai pas démissionné, mais j’ai été démis de mes fonctions.

Le président: Il y avait une fille avec vous?

Védaste HABIMANA : Oui, une seule fille est arrivée avec nous.

Audition de monsieur Théophile ZIGIRUMUGABE, rescapé de Marie-Merci, partie civile.

Le récit du témoin commence au moment où Védaste HABIMANA a laissé le sien, c’est-à-dire le 1er mai 1994. Théophile ZIGIRUMUGABE est élève à Marie-Merci et évoque lui aussi la mauvaise ambiance qui règne entre élèves hutu et tutsi.

« Après le départ du groupe de Védaste, je suis allé aux toilettes et les trois élèves chargés de ma surveillance m’ont suivi.

Le 2 mai, le directeur Emmanuel UWAYEZU nous a convoqués pour nous annoncer que les élèves qui avaient pris la fuite avaient été retrouvés morts, allant jusqu’à nous préciser que le corps de KABALISA avait été retrouvé sur une barrière. Cette nouvelle était fausse et n’avait pour but que de nous décourager. Nous devions rester à l’école. Ce soir-là, les extrémistes semèrent la peur et ont menacé ouvertement les autres.

Le lendemain, 3 mai, alors que nous avions préparé la bouillie, nous avons entendu des coups de sifflet, signal pour dire une nouvelle fois que la bouillie ne pouvait être consommée: nous l’aurions empoisonnée. Les élèves hutu sont partis à l’École des Lettres accompagnés du directeur et des gendarmes. Je n’ai pas pu parler au directeur. Seuls deux gendarmes étaient restés avec nous. Les élèves hutu sont alors revenus à Marie-Merci et c’est nous qui sommes allés nous installer à l’École des Lettres.

Arrivés là-bas, nous étions terrifiés. On nous a refusé matelas et nourriture. Les garçons se sont installés au rez-de-chaussée et les filles à l’étage. Des gendarmes sont venus soi-disant nous « protéger », en réalité pour nous garder et nous empêcher de quitter l’établissement.

Le 4 mai, une délégation composée du préfet, de monseigneur MISAGO, du commandant de gendarmerie, du bourgmestre de MUBUGA et de celui d’une autre commune est arrivée. Ils nous ont dit qu’ils étaient passés par l’école Marie-Merci où ils avaient rencontré nos camarades hutu. ils voulaient entendre nos réclamations. Comme j’étais « doyen », j’ai pris la parole pour leur dire que nos camarades nous avaient trahis et que nous ne savions pas pourquoi. Et d’ajouter: « C’est vous qui êtes nos parents, c’est vous qui déciderez de notre sort, savoir si on doit vivre ou mourir.»

L’évêque s’est fâché et en enlevant sa calotte, il nous a affirmé que nous n’avions pas à nous en faire, que nous allions vivre. La délégation est repartie à Marie-Merci. Il était reproché aux Tutsi d’écouter Radio Muhabura, la radio du FPR: nous aurions communiqué avec les Inkotanyi [2].  ce qui était bien sûr faux, personne ne possédant de radio à l’école. Décision a été prise que nous resterions à l’École des Lettres jusqu’à ce qu’une décision soit prise.

Le 5 mai, l’abbé UWAYEZU nous a fait livrer du riz et des haricots.

Le 6 au soir est arrivé un camion rempli de gendarmes et de personnes habillées en tenue Kaki. Ils nous ont compté en nous disant que, de toutes façons, nous devions mourir le lendemain.

Le 7 vers 10 heures, un des gendarmes est venu au réfectoire où nous logions et nous a dit de rester là. L’école était encerclée par des gens portant machettes et gourdins. Les tueurs sont entrés et ont commencé à tuer. je suis monté sur une table et j’ai ouvert une fenêtre. Je voulais me précipiter sur les gendarmes pour qu’ils me tuent. L’un d’entre eux m’a dit de le suivre pour me cacher. J’ai laissé AZENA et ai rejoint les autres. Je suis passé par la fenêtre et la balle qui m’était destinée a tué la fille qui se trouvait derrière moi.

Je me suis réfugié dans les toilettes, j’entendais les cris de mes camarades. Après les tueries, ils ont fouillé l’établissement et m’ont trouvé.. Ils m’ont déshabillé  et jeté dans une fosse dont le fond était garni de tessons de bouteilles. Un gendarme est venu tirer sur moi et m’a blessé au pied. Il a ensuite jeté de la terre dans le trou.

Parmi les tueurs se trouvait un jeune vendeur de beignets qui m’a reconnu. A l’école, on faisait des affaires: je lui avançais de l’argent quand il en avait besoin, nous avions sympathisé. Il m’a appelé et j’ai eu peur de répondre. Il a insisté en disant qu’il était content que je sois en vie. Il me promet de revenir à la nuit tombée. Après son départ, tous les élèves ont été jetés dans un autre trou. Il pleuvait beaucoup.

Les tueurs ont jeté le corps d’un certain Emmanuel. J’ai tenté de mes dégager du cadavre et de la boue. Le 8, mon sauveur est revenu pour me sortir du trou. J’étais nu et il m’a conduit sur une colline pour me cacher en évitant les barrières. Il m’a donné des habits et m’a caché dans un champ de sorgho où je suis resté trois semaines. Comme était venu le temps de la récolte, il m’a conduit dans la maison des professeurs congolais de l’Ecole des Lettres et m’a caché dans le plafond où il m’amenait de la nourriture. Je me sentais mal et j’ai décidé de quitter ma cachette pour retourner chez IZURU, mon sauveur.

Le 10 juin, jour de mon anniversaire, tout le monde s’était mis à la recherche d’un professeur nommé GASIRABO. Ils voulaient absolument trouver son corps pour avoir la certitude qu’il était bien mort. C’est là qu’ils m’ont découvert. Et qu’ils m’ont confié au gendarme le moins gradé du groupe qui ne pouvait pas prendre de décision quant au sort qui me serait réservé.

Le soir, le chef est arrivé, heureux qu’on m’ait retrouvé. Ils m’ont attaché les bras et m’ont dit de me mettre contre le mur. Ils m’ont frappé à l’aide de fils de fer barbelés, m’ont tabassé trois heures à m’interroger. Tous les professeurs voulaient qu’on me tue, mais comme ils auraient dû tuer aussi une certaine JACINTHE s’ils m’exécutaient, ils y ont renoncé.

Le jour de l’intronisation du nouveau bourgmestre BAKUDUNKIZE, le préfet a su que j’étais à l’École des Lettres. Il a dit de m’emmener à GIKONGORO où je suis resté jusqu’au 18 juin. On m’a remis à un militaire de Turquoise pour bien montrer aux Français que des Tutsi avaient été sauvés. Je me retrouvais avec des stagiaires d’une école militaire.  On m’a soigné puis j’ai rencontré l’évêque protestant. Les militaires français nous ont conduits à MURAMBI où j’étais seul avec les stagiaires. Certains sont partis au Congo, les autres ont été conduits à BUTARE, dans la zone tenue par le FPR. »

Questions.

Président : Quand il va y avoir cette séparation entre élèves Hutu et Tutsi, est-ce que parmi les élèves qui sont à l’École des Lettres, il y a aussi des élèves Hutu qui avaient voulu rester par solidarité avec les élèves à Marie-Merci ?

Théophile ZIGURUMUGABE :  Non, au contraire, il y avait deux élèves de première année Tutsi qui ont suivi les Hutu à l’école des lettres. Quand ils sont arrivés au collège, ils se sont fait expulser. Quand on quittait le primaire pour le secondaire, il y avait une fiche signée par le bourgmestre avec son ethnie et tu devais la fournir. Donc, la direction de l’école savait très bien qui était Tutsi et qui était Hutu. On n’est pas restés avec un Hutu, mais nous qui étions restés au groupe scolaire Marie-Merci étions seulement que des Tutsi.

Président : Ces élèves qui étaient en première année, ils étaient où ?

Théophile ZIGURUMUGABE: : Les élèves Hutu fuyaient vers l’École des Lettres.

Président : Dans un premier temps, les élèves Tutsi qui sont à l’école Marie-Merci de KIBEHO vont se retrouver seuls car les élèves Hutu étaient partis à l’École des Lettres ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.

Président : le directeur de l’école nous a dit qu’à l’école des lettres, il y avait des élèves Hutu ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Ça, c’est un mensonge, il n’avait pas d’élève Hutu, seulement des élèves Tutsi.

Président : Vous nous dites que les conditions de vie étaient assez spartiates, assez rudimentaires. Avez-vous vu le père UWAYEZU à l’école des lettres ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, le 5, il est venu, il nous a apporté du riz et des haricots. Nous étions partis le 3.

Président : Vous étiez arrivé le 3, pendant deux jours vous n’avez pas mangé quelque chose ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Non.

Président : Avez-vous vu la directrice qui vous a dit qu’elle ne pouvait rien vous donner ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.

Président : Quand les gendarmes vont attaquent, savez-vous où sont ces sœurs ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Il n’y avait pas que les sœurs, mais aussi des élèves qu’on appelait « déplacés de guerre ». Ils venaient de la région du nord qui étaient restés à l’école pendant les vacances scolaires.

Président : Pour résumer, les élèves Tutsi étaient dans des pièces bien localisées, alors que les autres, les déplacés du nord du RWANDA étaient dans un dortoir, et les sœurs étaient dans leur couvent. Vous ne les avez pas vu ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui c’est ça. Les autres jours, on pouvait quand même les voir de temps en temps.

Président : Quand vous avez été retrouvé, après que ce vendeur de beignet vous ait sauvé, pourquoi il vous a sauvé déjà ?

Théophile ZIGURUMUGABE :  Parce que c’était un ami. Parce que je l’avais payé en avance. Je lui donnais 1000 francs et après je me servais dans ce qu’il vendait. Je lui avançais beaucoup et donc on avait développé ces liens d’amitié.

Président : D’accord, donc une certaine sympathie entre vous. Quand vous vous êtes fait découvert, pouvez-vous me dire exactement vers où vous êtes conduits à ce moment-là ?

Théophile ZIGURUMUGABE : C’était un bâtiment qui logeait des professeurs zaïrois.

Président : Non, je parle du moment où vous êtes découvert et conduit aux gendarmes ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Ils m’ont amené à l’École des Lettres. Là où nous étions, le 7, quand on est venu nous tuer.

Président : Donc, là, est-ce que vous avez vu la directrice ? Ce jour-là où plus tard ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Ce jour-là, je ne l’ai pas vue, mais après que les policiers m’avaient suffisamment tabassé, je l’ai vue. Je l’ai vu de mes propres yeux. Elle a ordonné à une dame qui était infirmière de me trouver des médicaments pendant qu’on décidait de mon sort.

Président : A ce moment-là, elle a pris soin de vous ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, parce que je saignais de partout, elle a ordonné à une nonne de me donner des médicaments.

Président : Comment avez-vous quitté KIBEHO pour vous retrouver à GIKONGORO ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Dans la camionnette bleue du directeur UWAYEZU de Marie-Merci, accompagné de deux gendarmes.

Président : Il y avait la directrice aussi ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Non je ne suis pas partie avec elle. On m’avait fabriqué une carte d’étudiant avec ma photo.

Président : Combien de temps restez-vous à l’École des Lettres ?

Théophile ZIGURUMUGABE:: Huit jours. J’ai été… le 10, le jour de mon anniversaire, et j’ai été conduit à GIKONGORO le 18.

Président : Vous avez été conduit où exactement ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Je me suis rendu au bureau de la préfecture et j’ai vu le préfet. Il a dit à UWAYEZU que lui allait s’occuper de moi mais il avait beaucoup de choses à faire.

Président : Vous avez expliqué que quand vous avez été trouvé, tabassé, vous avez dit que vous aviez su qu’il y avait eu une réunion à laquelle aurait participé le préfet, où votre sort aurait été discuté. Vous dites avoir su que dans un premier temps, le préfet aurait voulu qu’on ne vous tue pas parce qu’il y avait une jeune fille aussi et qui si on vous tuait il fallait la tuer aussi et ils ne voulaient pas tuer cette fille.

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, je l’ai appris par cette fille, Hyacinthe, c’est le préfet des études qui ne voulait pas la tuer.

Quand le témoin parlait du préfet, la Cour pensait qu’il parlait de Laurent BUYCIBARUTA = incompréhension.

Théophile ZIGURUMUGABE : On parle du préfet des études, il nous enseignait le droit fiscal.

Président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Pour nous, ce procès est une bonne occasion de partager ce que l’on a vécu, beaucoup de souffrances. On aimerait que cela se sache. Il y a eu beaucoup de violence, des collègues ont été tués sans qu’ils aient fait de mal à personne. 90 personnes sont mortes, des jeunes filles, des jeunes garçons. Nous, maintenant, quand on trouve une occasion pareille, on se dit qu’on donne du respect à ces jeunes.

Président : Une petite question : on a entendu Azena, elle a dit qu’elle avait appris que certaines filles avaient survécu car elles avaient été utilisées comme des objets sexuels, qu’elles avaient été violées par des Interahamwe [3] pendant un certain nombre de temps. Avez-vous entendu parler de cela ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Non, parce que ça concerne la vie privée des personnes. Je confirme que cela s’est passé, mais je ne peux pas répondre.

QUESTIONS DE LA COUR :

Juge Assesseur 3 : Avez-vous des séquelles des sévices qui vous ont été infligés ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, j’ai reçu des tirs dans mon pied droit, j’ai aussi beaucoup de cicatrices. Quand les policiers m’ont tabassé, ils utilisaient des fils de fer de barbelés. Ça ce sont les cicatrices physiques.

Juge Assesseur 1 : Vous avez évoqué Madame RAFFIN, une française et vous aviez dit qu’elle était préfet des écoles à KIBEHO. Il me semble que c’était son dernier poste, savez-vous quand est-ce qu’elle a quitté l’école ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne sais pas très bien, mais je sais qu’elle a été ramenée à GIKONGORO pour diriger la CARITAS diocésaine.

Juge Assesseur 1 : Saviez-vous depuis combien de temps elle était à l’école Marie-Merci?

Théophile ZIGURUMUGABE : Quand je suis arrivé en 1989, elle était déjà préfet et elle enseignait les mathématiques.

Juge Assesseur 1 : Vous savez ce qu’elle faisait avant ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Non, je ne sais pas, juste qu’elle avait enseigné.

Juge Assesseur 1 : Elle était appréciée des élèves ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Personnellement, je dirai qu’elle était une bonne personne, ça c’est ma conviction personnelle. Pour moi, elle nous apportait de l’aide dans l’enseignement.

QUESTIONS DES PARTIES CIVILES :

Me Philippart : Merci beaucoup pour votre témoignage et on sent que vous avez un souvenir très précis sur ce qui s’est passé. J’aimerais vous interroger sur les impressions et les sentiments que vous avez eu suite à la visite du préfet qui vient à l’école le 4 mai, après la séparation entre les élèves Hutu et Tutsi et vous aviez dit tout à l’heure qu’il avait était accompagné par Monseigneur MISAGO. Lors de cette réunion vous avez parlé de ce qui vous était reproché par les élèves Hutu. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur le climat de cette réunion ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Comme je l’ai dit, on était à l’école, on avait plus d’espoir, mais quand on a vu l’évêque venir avec le préfet, on se sentait soulagés, parce que notre État disait qu’ils allaient nous protéger. Ils étaient avec le commandant de la gendarmerie. Je me suis dit que cette fois-ci avec tout le pouvoir qu’ils ont, cette fois-ci on va survivre. Moi, j’avais confiance en le préfet et l’évêque, même s’il était fâché, il avait dit « ne vous inquiétez pas, personne ne viendra de l’extérieur pour vous tuer». Mais, c’étaient des mensonges, ils nous ont tué derrière.

Me Philippart : Vous avez mentionné que c’est un gendarme qui vous a tiré dessus ?

Théophile ZIGURUMUGABE : ces gendarmes étaient là pour nous garder ensemble, pas pour nous protéger. Le 6, quand les filles allaient aux toilettes, je devais les accompagner. Il y a un gendarme qui a essayé de violer une fille. J’ai essayé de lui parler et je lui ai dit « mais pourquoi vous faites ça alors que vous êtes censé nous protéger ». Il ne m’a pas regardé, mais il a relâché la fille, qui est retournée au dortoir. Depuis, les garçons accompagnaient les filles à la toilette. Donc, ce n’était pas pour nous protéger, mais pour nous garder.

Me Philippart : Lorsque vous partez dans le pick-up bleu de l’école, est-ce que pour vous c’est de la délivrance ou, pour vous, vous êtes toujours sous la coupe des gendarmes ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Je me disais « pourquoi on ne me tue pas une bonne fois pour toutes». Quand je suis arrivé à GIKONGORO, personne ne m’a frappé ou adressé une mauvaise parole, le préfet avait un ton rassurant et je me disais peut être que je peux survivre, mais au fond de moi je ne le croyais pas.

Me GISAGARA : petite précision, quand le préfet vous remet à la cour suprême militaire, dans les mains des officiers, c’est dans quel esprit ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne le comprenais pas, c’était confus. Au début, j’ai pas compris et c’était pour me protéger et me remettre aux troupes françaises. C’est à MURAMBI que j’ai compris, notamment avec ces filles cachées violées et autres, et c’est là que j’ai compris.

Me GISAGARA : Donc vous avez compris que c’était pour dire que des Tutsi avaient survécu ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.

QUESTIONS DU MINISTÈRE PUBLIC :

Ministère Public : J’avais une question sur le moment où vous êtes soigné. Quand vous êtes blessé, arrivé à l’école des lettres, vous aviez été soigné par une infirmière, vous rappelez-vous son nom ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne m’en rappelle pas son nom, mais je peux vous la décrire, elle était courte.

Ministère Public : Sœur Pierre-Célestine, ça vous dit quelque chose ?

Théophile ZIGURUMUGABE : C’était la directrice de l’École des Lettres ? Je crois que c’était Pierre quelque chose.

Ministère Public : C’est une sœur qui s’appelait Célestine.

Théophile ZIGURUMUGABE : Célestine, ça ne me dit rien car la directrice ne s’appelait pas Célestine.

Ministère Public : Vous avez dit que le 18 juin, vous avez été conduit à GIKONGORO et par l’abbé. Savez-vous si l’abbé s’est entretenu avec le préfet ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Je ne saurais pas le dire. Mais, la directrice m’a dit qu’ils avaient rencontré le préfet durant la fête du nouveau bourgmestre au pouvoir, la cérémonie, le préfet a pu parler à la sœur. Je ne sais pas si l’abbé était là, mais quand j’y suis allé il parlait.

Ministère Public : Vous nous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous aviez été sauvé. Vous nous avez expliqué tout à l’heure que des Tutsi avaient été sauvés pour montrer aux français qu’ils avaient été protégés par les autorités. Vous confirmez ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui.

Ministère Public : Quelle était l’intention du préfet Laurent BUCYIBARUTA ? Est-ce que c’était pour vous utiliser comme un faire-valoir pour vous présenter ?

Théophile ZIGURUMUGABE : Oui, je le vois comme ça, comme preuve que quelques Tutsi avaient été sauvé

Me LÉVY n’ a pas de question, mais il souhaite que Laurent BUCYIBARUTA prenne la parole.

Laurent BUCYIBARUTA : Merci monsieur le Président. Je voudrais intervenir sur le sujet. D’abord, c’est pour me réjouir de pouvoir rencontrer à nouveau le témoin, que j’avais vu pour la dernière fois quand il avait 20 ans. Je ne pouvais pas le reconnaitre, mais j’ai reconnu ce qu’il avait dit. Je suis très ému par son témoignage et je me réjouis aussi du fait qu’après mon départ du RWANDA, il ait pu continuer sa vie. Comme il avait été sauvé, il a vécu des souffrances et des humiliations, mais il n’a pas désespéré de la vie et cela me réjouit car il a évoqué aussi mon intervention pour qu’il ait la vie sauve.

La première fois que j’ai été informé de son cas, c’était le 3 juin 1994, lors de la prestation de serment du bourgmestre de MUBUGA. À cette occasion, la religieuse sœur Thérèse m’a approché et m’a demandé de me voir, et je lui ai dit que, à l’issue de la réunion, on allait avoir un entretien en aparté. Comme j’étais dans la commune de MUBUGA, j’ai demandé au bourgmestre d’être là et le bourgmestre était là aussi. Je pensais qu’il était mieux que le bourgmestre aussi sache de quoi on discute. La religieuse, moi-même et le bourgmestre, nous avons discuté du cas de ce jeune homme parce que j’estimais que la religieuse avait fait beaucoup d’efforts en faveur de ce garçon. Puis, le bourgmestre aussi pouvait jouer un rôle. C’est pourquoi, dans ce petit groupe, j’ai trouvé mieux de demander au bourgmestre de lui donner une carte d’identité sans attendre. Mon intention était qu’il puisse rejoindre GIKONGORO.

En accord avec le bourgmestre, je lui ai dit de ne pas précipiter les choses, qu’il fallait y aller doucement, et qu’il fallait une occasion pour l’amener à GIKONGORO et que j’allais m’occuper de lui. La date citée, il est arrivé à mon bureau, il n’était pas question de le conduire à KIGEME, ni de le conduire pour le présenter aux Français, pour qu’on montre les Tutsi survivants, comme preuve. Ça ne nous est jamais venu à l’esprit on voulait sauver quelqu’un qu’il soit Hutu ou Tutsi. A cette date du 18 juin, on ne parlait même pas de Français à GIKONGORO, alors pourquoi le confier à l’École militaire supérieure ? Parce que dans cette école implantée provisoirement à KIGEME, il y avait là des élèves infirmiers. Ce sont ces militaires qui protégeaient les élèves stagiaires et quand le jeune homme est arrivé, je me suis dit que j’allais contacter le général pour qu’il prenne en charge ce jeune homme, pour qu’il ait la protection aussi des stagiaires. Donc, il n’y avait aucune arrière-pensée, le jeune homme a pu avoir la vie sauve car on s’est occupé de lui avec les moyens disponibles. Merci Monsieur le Président.

Président : Qui concrètement a emmené ce jeune homme ? C’est le père UWAYEZU ou la soeur Thérèse ?

Laurent BUCYIBARUTA : En fait, à MUBUGA, la personne avec qui j’étais je n’avais plus contact avec lui. J’avais pris contact avec soeur Thérèse; si l’abbé UWAYZU était dans le même véhicule, je ne m’en souviens pas.

Président : Qui avez-vous vu dans votre bureau ?

Laurent BUCYIBARUTA : C’était soeur Thérèse, pas le Père.

Président : Je ne peux pas m’empêcher de faire une observation. Parfois, quand on vous entend, on a l’impression de quelque chose d’un peu lunaire, un peu extraordinaire. Vous nous dites que vous avez discuté du sort de cet enfant avec la sœur et le bourgmestre. Mais, vous ne vous êtes jamais posé la question de savoir si ce bourgmestre pouvait être un des meneurs des massacres contre les Tutsi ?

Laurent BUCYIBARUTA : À cette époque-là, je n’étais pas informé des activités du bourgmestre.

Président : Donc, tous les gens de KIBEHO étaient au courant mais pas vous ? C’est pour ça que j’utilise le terme lunaire.

Laurent BUCYIBARUTA : Ma démarche était que le jeune homme puisse obtenir une pièce d’identité. C’est le bourgmestre qui délivre les cartes d’identité.

Président : Il a obtenu une carte d’étudiant.

Laurent BUCYIBARUTA : C’est l’abbé UWAYEZU qui me l’a donnée, mais pas une carte d’identité.

Président : Est-ce que vous, vous avez vu Monsieur BAKUNDUKIZE, le nouveau bourgmestre ?

Laurent BUCYIBARUTA : Personnellement, je ne l’ai pas vu à l’époque des lettres, mais un jour je l’ai vu, car le directeur UWAYEZU se déplaçait librement, il traverse la route qui passait au niveau de l’école, il avait beaucoup de gens dans la camionnette et le bourgmestre était dans la camionnette aussi.

Me BIJU-DUVAL : Au sujet de votre observation, je souhaiterai observer aussi que le préfet Laurent BUCYIBARUTA n’était pas le seul à ne pas savoir quelle était l’implication du bourgmestre dans le génocide, car le bourgmestre a été maintenu jusqu’en janvier 1995.

Président : Combien de Tutsi restaient-ils à KIBEHO ?

Me BIJU-DUVAL : (Il perd ses mots, il est déstabilisé par la question posée par le Président, mais tente de rebondir).

Laurent BUCYIBARUTA : Des rescapés vont pour certains dans la zone FPR, sauvés par les troupes françaises, en dépit du nombre de victimes, Dieu merci, il reste encore des rescapés et des survivants pour nous parler. Il en restait encore pour en parler aux troupes du FPR qui mettaient fin au génocide, mais elles non plus ne sont pas informées de l’implication de ce bourgmestre, et il est maintenu dans ses fonctions jusqu’en janvier 1995.

Audition de madame Thérèse NDUWAYEZU, religieuse de la congrégation des BENEBIKIRA, en visioconférence de Lisieux.

« Les élèves ont été tués à l’école de KIBEHO. Avant mai 1994, je n’étais pas à KIBEHO. C’est l’évêque qui m’a appelé pour veiller sur la chapelle où il y avait eu les apparitions de la Sainte Marie. Je suis arrivée le jour où les élèves de Marie-Merci se sont séparés. Les gens m’ont dit que les élèves qui étaient chez moi allaient être tués.

J’ai dit au chauffeur que je ne rentrais pas dans l’école et que je retournais à BUTARE. En réfléchissant, je suis retournée en arrière pour aller à GIKONGORO pour voir l’évêque MISAGO en lui disant que je ne pouvais pas rentrer dans une école où il y avait des élèves de Marie-Merci. Je lui ai dit que je ne pouvais pas gérer la situation. MISAGO est allé voir le préfet qui lui a dit qu’il donnerait des militaires pour garder les élèves.

J’ai passé la nuit à GIKONGORO à l’évêché (une nuit ou deux nuits). Quand je suis rentrée sur KIBEHO, j’avais des militaires avec moi, qui devaient garder les élèves. Je suis retournée au couvent et les élèves qui étaient chez moi, on leur a donné des classes pour se coucher et des matelas parce que je ne pouvais pas les mettre dans le dortoir de mes élèves. J’ai demandé aux ouvrières de revenir pour faire la cuisine… On a acheté des choses pour leur faire à manger.

Après une semaine ou deux, mes consœurs m’ont dit qu’aujourd’hui, des gens vont venir tuer les enfants. Je leur ai demandé comment elles le savaient. Elles m’ont répondu qu’elles étaient là pendant tout le génocide et que donc elles savaient comment ça fonctionne. J’ai pris le chauffeur avec quelques militaires pour aller au central de téléphone. On est allé appeler à GIKONGORO pour exposer la situation. J’ai répété ce que les sœurs m’ont dit. On m’a dit qu’on allait envoyer plus de militaires.

J’ai vu qu’on avait mis des bouts de bois dans la cour pour m’empêcher de rentrer. Les militaires qui étaient avec moi ont enlevé ces bouts de bois et on a réussi à rentrer. Les militaires qui étaient là – il y en avait au moins 24 – m’ont demandé de rester dans le couvent et de me donner les clés. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas gérer deux situations. On a entendu des coups de feu. Ensuite ça s’est terminé. On a entendu les gens passer à côté du couvent. Les élèves étaient encore en vie.

Par après, d’autres militaires ont été envoyés. Il s’est passé au moins une semaine. Les gens disaient qu’on viendrait tuer les élèves. Même scénario. Les élèves nous ont dit de nous enfermer au couvent et qu’ils allaient protéger les élèves parce qu’ils ne pouvaient pas faire les deux. Ils ont dit qu’ils protégeaient les élèves. Ce jour-là, ils sont morts. Il me semble qu’il y avait 94 élèves. Mais on n’a jamais vu de corps. Il n’y avait pas de corps. On ne sait pas si on les a tués ou enlevés mais il n’y avait pas de corps. »

Questions

Président : Je comprends que ceci réveille des souvenirs douloureux pour vous et que ça a été un effort pour vous de venir.

Thérèse NDUWAYEZU : très douloureux.

Président : je comprends que vous êtes Tutsi ?

Thérèse NDUWAYEZU : je suis mélangée, mon papa est Tutsi et ma maman Hutu.

Président : ah oui, votre père Tutsi et votre mère Hutu. Mais si j’ai bien compris les règles d’attribution ethniques, vous appartenez à une lignée Tutsi alors ?

Thérèse NDUWAYEZU : c’est un peu plus compliqué car je viens de RUHENGERI. Dans le Nord on dit que tout le monde est Hutu et mon papa avait conscience de cela donc il a demandé qu’on soit inscrits Hutu.

Président : et sur votre carte d’identité, vous êtes Tutsi ou Hutu [4] ?

Thérèse NDUWAYEZU : Hutu.

Président : vous avez expliqué que votre frère était un haut gradé qui a eu des déboires ?

Thérèse NDUWAYEZU : car on l’a accusé d’avoir monté un coup d’État.

Président : contre HABYARIMANA ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, pendant le génocide il a été tué avec tous ses enfants. Il ne reste personne de sa famille.

Président : et vous-même dans votre carrière, j’ai cru comprendre que ces problèmes interethniques ont eu de l’importance, vous avez dû être mutée de ces postes à cause de cela ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, c’est surtout lié à mon ethnie, ma famille, mon frère. Après mes études, quand je suis rentrée de GENÈVE, je suis allée dans la région du Président HABYARIMANA et d’où j’ai été chassée complètement.

Président : justement car vous étiez connue pour avoir un frère opposant politique et parce que vous avez un père Tutsi ?

Thérèse NDUWAYEZU : je ne sais pas s’il le savait pour mon père mais je n’ai pas été tranquille toute ma vie.

Président : à quel moment vous arrivez à GIKONGORO ?

Thérèse NDUWAYEZU : 84/85, je suis à RAMBUGA chez le Président. Le Ministre de l’éducation écrit une lettre qui me chasse de l’éducation. En août, il y a une autre lettre qui me dit d’aller comme préfète des études dans une école dans le sud à SAVE. On m’a chassée en 86, donc j’y ai été de 86 jusqu’à 90. En 90, le groupe des sœurs à KIBEHO, on les a chassées. Je ne sais pas pourquoi, il y avait des grèves avec les élèves je ne sais pas. Il n’y avait personne d’autre que moi et quand on m’a dit d’aller à KIBEHO j’ai dit « Non, j’y vais pas ».

Ça a duré 3 semaines. Le préfet, l’évêque, la mère générale se sont unis et m’ont dit d’aller à KIBEHO et qu’on me donnait la permission de choisir le personnel pour m’aider. J’ai choisi le père des études, des animatrices que je connaissais. Il y avait des apparitions et la fille qui envoyait des messages a dit que notre équipe nous étions le Diable. Je suis allée voir l’évêque en disant qu’on ne pouvait pas rester, c’était 4 jours après mon entrée à KIBEHO. Il m’a dit de rentrer et de voir comment allaient les élèves. Je suis allée voir la mère générale qui m’a dit pareil, le secrétaire général de l’enseignement, pas le Ministre de l’éducation. Ils m’ont tous dit de retourner à KIBEHO, qu’ils allaient réunir les élèves mais ce n’était pas le cas. Je suis restée jusqu’en 1994. En 1994, quand l’avion du Président a été descendu et qu’on a commencé à tuer les prêtres à KIGALI, mes consœurs m’ont dit que je risquais trop donc que j’aille à la maison mère et qu’elles resteraient là. Je suis partie, d’autant plus que mes élèves étaient en vacances. Je suis restée là jusqu’à ce que le père MISAGO me renvoie là, veiller au bâtiment des apparitions.

Président : vous avez dit qu’avant que vous arriviez, il y avait un groupe de sœurs qui avait été chassées ?

Thérèse NDUWAYEZU : c’est ça, c’est toute l’équipe de la direction qui a été chassée.

Président : c’est lié à des raisons ethniques ?

Thérèse NDUWAYEZU : sûrement. Moi quand je suis arrivée, ce n’était pas possible car je venais dans le Sud et je venais de RUHENGERI. En gros le Nord et Sud ça ne s’entendait pas.

Président : vous étiez plus compatible en venant du Nord ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, au contraire, je marchais sur les œufs.

Président : vous n’aviez pas la bonne carte de visite ?

Thérèse NDUWAYEZU : non.

Président : quand vous arrivez, des visions mariales vont vous désigner comme l’envoyée du Diable ?

Thérèse NDUWAYEZU : exactement.

Président : cette jeune enfant, je suppose, qui avait eu des visions mariales, était Hutu ou Tutsi ?

Thérèse NDUWAYEZU : non je ne sais pas. La question des ethnies, moi-même je suis mélangée, je n’ai pas voulu rentrer là-dedans, ce qui faisait justement que je n’étais pas aimée car je n’appartenais ni à cette partie ni à l’autre. Ça ne m’intéressait pas de rentrer dans une ethnie ou une autre.

Président : donc, vous saviez malgré tout que ces problèmes ethniques étaient quelque chose qui à la fois avait un impact important sur votre école et aussi à Marie-Merci ?

Thérèse NDUWAYEZU : alors, quand je suis arrivée, il y avait des grèves dans mon école. Mais après que je sois arrivée, on n’a pas eu de grève du tout.

Président : quand vous arrivez, il y a tout de suite une grève ou vous arrivez après la grève ?

Thérèse NDUWAYEZU : quand je suis arrivée, il y avait la grève. Je suis arrivée pendant et les sœurs venaient de partir et moi quand je suis arrivée, on a essayé de parler avec les élèves, les professeurs pour essayer d’éclaircir la situation et apaiser les tensions et ça s’est fini jusqu’à la fin des 4 ans où je suis restée dans cette école.

Président : nous avons entendu un certain nombre de témoins, certains d’entre eux nous ont expliqué, vous n’étiez pas présente, qu’il va y avoir une attaque massive à la paroisse de KIBEHO.

Thérèse NDUWAYEZU : j’ai entendu ça quand j’étais à SAVE mais je n’y étais pas.

Président : vous n’étiez pas présente. Il se trouve que parmi les témoins, un certain nombre mettent en cause à la fois du personnel enseignant ou encadrant de l’école Marie-Merci, des élèves aussi parfois, mais aussi, certains professeurs de votre propre école. Est-ce que cela vous surprend, est-ce que vous avez eu des informations à ce sujet ?

Thérèse NDUWAYEZU : alors là non. D’abord, les professeurs de mon école, où est-ce qu’on les a trouvés ? Mes élèves pendant le génocide étaient en vacances. Le génocide quand ça a commencé, c’était pendant les vacances de Pâques donc s’il y a eu des professeurs qui ont participé, c’est de leur propre chef peut-être, mais je ne sais pas les connaitre.

Président : on n’a pas entendu qu’il y avait eu des ordres de la direction de l’école, hein. Mais vous n’avez pas entendu dire cela ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, même mes consœurs ne me l’ont pas dit. C’était un groupe mélangé de Hutu et Tutsi et elles m’auraient dit que tel ou tel a participé.

Président : et donc quand vous rentrez à la demande de Mgr MISAGO, parce qu’on vous dit que vous devez vous occuper du sanctuaire marial. Quand vous rentrez, lorsque vous arrivez, on vous dit « il y a des élèves Tutsi de Marie-Merci chez vous ». Qui vous dit cela ?

Thérèse NDUWAYEZU : tout à fait, mais je n’étais pas encore arrivée à l’école, c’est la population avant que j’arrive à l’école. Ils m’ont arrêtée.

Président : c’étaient des gens qui étaient à une barrière ? Il y avait une barrière ?

Thérèse NDUWAYEZU : en tout cas il y avait des machettes. Ils m’ont dit « Vous ne savez pas ? », « Qu’est-ce que je dois savoir ? » « Bah les élèves de Marie-Merci de KIBEHO se sont séparés »

Président : quand vous avez entendu cela, vous vous êtes dit quoi ?

Thérèse NDUWAYEZU : je me suis sentie mal, j’avais toujours peur. C’est pour ça que j’ai dit au chauffeur que je ne pouvais pas entrer dans cette école.

Président : de quoi avez-vous eu peur ? Que l’on tue ces élèves et que vous soyez responsable ?

Thérèse NDUWAYEZU : je n’ai pas pensé à cela, j’ai pensé à moi, qu’on allait me tuer aussi. Excusez-moi de le dire. Et en continuant à réfléchir, j’ai dit au chauffeur, on va d’abord voir l’évêque. Je suis retournée pour faire le contour par BUTARE pour aller à GIKONGORO.

Président : vous passez d’abord à BUTARE parce que votre idée était de passer d’abord par la maison généraliste ?

Thérèse NDUWAYEZU : d’abord la première chose, je me suis dit que je ne rentrais pas dans cette école et comme c’est le préfet qui m’a dit ça, j’ai cogité et je me suis dit que j’allais voir l’évêque. Donc je suis passée par la route de BUTARE pour descendre sur GIKONGORO. C’est un peu plus loin, mais c’est ce que j’ai pris au lieu de prendre le plus court.

Président : d’accord. Et vous vous souvenez de la date à laquelle vous allez arriver à GIKONGORO ? Début mai ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, en tout cas c’est au mois de mai.

Président : début mai ?

Thérèse NDUWAYEZU : peut-être, ça fait longtemps vous savez.

Président : qui est-ce que vous voyez au diocèse ? L’évêque ?

Thérèse NDUWAYEZU : je vois l’évêque, quelques sœurs étaient là aussi à l’évêché.

Président : donc il y avait des sœurs de votre congrégation ?

Thérèse NDUWAYEZU : de ma congrégation.

Président : votre congrégation c’est ?

Thérèse NDUWAYEZU : de BENEBEKIRA.

Président : est-ce qu’il y avait des prêtres ?

Thérèse NDUWAYEZU : je me souviens plus, je ne crois pas. Vous savez à cette époque je n’avais pas mes esprits sur ma tête.

Président : vous avez su si des prêtres Tutsi qui étaient à l’évêché avaient été arrêtés ?

Thérèse NDUWAYEZU : ah, je ne sais pas.

Président : donc, vous voyez l’évêque et il vous dit qu’il va voir le préfet ?

Thérèse NDUWAYEZU : donc je lui ai dit « écoutez, les gens qui m’ont arrêtée sur la route m’ont dit qu’il y a eu séparation des élèves de Marie-Merci » mais il m’a dit d’y retourner.

Président : l’évêque vous dit qu’il va voir le préfet pour voir comment vous allez faire ?

Thérèse NDUWAYEZU : je ne suis pas allée voir le préfet, c’est MISAGO.

Président : donc, quand vous le voyez à son retour de cette réunion avec le préfet, il vous dit qu’on va mettre plus de militaires ?

Thérèse NDUWAYEZU : pour la première fois, ce n’est même pas des militaires. La deuxième fois, c’est par le téléphone. Je vous l’ai dit quand les sœurs me l’ont dit.

Président : donc, vous rentrez, à ce moment-là, vous trouvez ces élèves. On a entendu un certain nombre de témoignages d’élèves qui étaient là depuis quelques jours. Vous saviez depuis combien de temps ils étaient dans votre école ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, peut-être 2 jours. Non je ne sais pas, je me suis pas demandé. En tout cas j’ai demandé qu’on leur donne des matelas. Non ils n’avaient rien, ils n’avaient pas à manger. C’est là où j’ai appelé les ouvriers qui faisaient la cuisine, comme c’était les vacances, ils étaient en vacances aussi donc je les ai appelés pour faire la cuisine pour ces élèves.

Président : On a aussi compris qu’il y avait malgré tout, un certain nombre d’élèves qui venaient du nord du RWANDA parce que c’étaient des élèves déplacés de guerre ?

Thérèse NDUWAYEZU : c’est exact, des enfants orphelins qui n’avaient de parents car ils avaient été tués… Cette guerre avait commencé à BYUMBA, vers l’Ouganda. On avait sûrement tué les parents donc les élèves restaient à l’école. Ils n’étaient pas beaucoup, une dizaine d’élèves peut-être je pense.

Président : ces élèves étaient mélangés avec les autres ?

Thérèse NDUWAYEZU : ah non non non. Ces élèves étaient dans le dortoir car c’était des élèves de l’école des lettres

Président : nous avons entendu quelqu’un que vous connaissez sans doute, le père UWAYEZU.

Thérèse NDUWAYEZU : oui, UWAYEZU oui oui

Président : il était le directeur de l’école Marie-Merci, qui avait remplacé l’abbé Jean-Marie Vianney SEBERA.

Thérèse NDUWAYEZU : Marie-Merci, oui.

Président : Jean-Marie Vianney SEBERA, ça vous dit quelque chose ?

Thérèse NDUWAYEZU : Jean-Marie celui-là, je le connais pas mais Emmanuel lui oui. Mais pendant ce moment-là je ne l’ai pas vu.

Président : on a appris, je parle sous contrôle des parties, que ce prêtre était Tutsi et qu’il va décéder à BUTARE.

Thérèse NDUWAYEZU : oui, sûrement.

Président : on a cru comprendre qu’il y avait beaucoup de tensions pour des raisons ethniques, à l’école Marie-Merci. Que saviez-vous de ces tensions ?

Thérèse NDUWAYEZU : les tensions dans l’école, je ne les connaissais pas mais ces élèves-là étaient toujours en grève. C’est pour ça d’ailleurs qu’ils n’étaient pas en vacances en avril. Ils devaient étudier le temps perdu pendant les grèves.

Président : on a pu entendre un certain nombre de jeunes qui ont été des rescapés qui sont venus dans votre école, la description qu’ils donnent de Marie-Merci de KIBEHO, c’est une description de persécution. On les accuse d’être des empoisonneurs, on empêche les élèves Tutsi de s’asseoir à côté des Hutu. C’est une situation de mauvais traitement de la part d’un certain nombre d’élèves mais aussi de profs et d’encadrants de l’école Marie-Merci. Est-ce que c’est quelque chose qui vous paraît correspondre à la réalité?

Thérèse NDUWAYEZU : à la réalité ? Bah c’est possible mais à part que moi je n’étais pas au courant. Malgré tout, ces 2 écoles, c’est comme s’il y avait quelque chose qui nous séparait. Je suis arrivée quand mes élèves étaient en grève, je devais faire attention que des tensions ne subsistent pas. C’est pour ça que je n’étais pas curieux de voir ce qu’il se passait dans cette école

Président : Vous n’étiez pas très intime me semble-t-il avec le père Emmanuel UWAYEZU. J’ai même la sensation que vous ne lui portez pas une grande estime ?

Thérèse NDUWAYEZU : non.

Président : chacun chez soi et les poules seront bien gardées c’est ce que vous voulez dire ?

Thérèse NDUWAYEZU : je ne l’ai pas dit. Il était directeur, j’étais directrice chez moi. Il était chez lui, j’étais chez moi. Je marchais comme sûr des œufs, un rien du tout pouvait faire naitre quelque chose donc il fallait vraiment que je fasse attention. Je ne voulais pas me mêler des choses donc il fallait faire attention aux conséquences

Président : vous, vous nous dites « pendant que j’étais à l’École des Lettres, je n’ai jamais vu le père Emmanuel ». Pendant le moment où vous revenez.

Thérèse NDUWAYEZU : oui j’étais au couvent. Non pendant le moment où ces élèves se sont séparés.

Président : parce que le père UWAYEZU nous a dit qu’un jour il est venu dire la messe au couvent.

Thérèse NDUWAYEZU : non, c’était avant le génocide.

Président : pendant le génocide, il n’est jamais venu dire la messe ?

Thérèse NDUWAYEZU : une grande partie du temps du génocide je vous dis que j’étais à BUTARE et j’étais à KIBEHO à partir de cette période-là où ces élèves sont venus chez moi.

Président : mais, dans les jours qui précèdent le massacre ?

Thérèse NDUWAYEZU : il n’est pas venu les voir, ça m’a fait mal.

Président : Il n’a pas dit la messe au couvent non plus ?

Thérèse NDUWAYEZU : bah je ne l’ai pas vu ou alors j’ai oublié.

Président : bien, est-ce que vous savez s’il a pu dire la messe dans… J’ai cru comprendre que le sanctuaire marial est à l’extérieur ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, il est vraiment dans mon école.

Président : quand il y avait des messes pour les sœurs qui étaient au couvent, elles étaient dans le sanctuaire marial ?

Thérèse NDUWAYEZU : non pas du tout, on avait une petite chapelle

Président : donc il y avait une petite chapelle pour le couvent et le sanctuaire marial ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça. Avec les élèves, quand on allait à la messe, on allait à la paroisse et c’est là que se trouvait le père Emmanuel.

Président : est-ce que vous savez si un jour, le père Emmanuel a demandé aux élèves Tutsi qui étaient présents à l’école des lettres, de venir à une messe à l’école mariale ?

Thérèse NDUWAYEZU : ah non, depuis quand ? Non ! Quand les élèves chez moi, on était plutôt dans l’angoisse.

Président : je voudrais qu’on revienne à ce qu’il se passe après votre retour de votre visite à l’évêque MISAGO. Il est allé voir le préfet, il vous dit qu’il va y avoir plus de militaires.

Thérèse NDUWAYEZU : plus de militaires c’est avec le téléphone. Au départ, quand je suis partie de KIBEKO, on m’a dit qu’on allait me donner des gens pour les élèves. En tout cas on a donné des militaires et on est resté ensemble.

Président : est-ce qu’à un quelconque moment, il a été envisagé d’évacuer ces élèves Tutsi pour les éloigner de GIKONGORO?

Thérèse NDUWAYEZU : euh… l’évêque. Je ne me souviens plus, non je ne sais pas.

Président : vous avez expliqué qu’il va y avoir une première alerte très sérieuse où les militaires vont vous demander de rester au couvent et vont vous enfermer dedans ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça, on nous donne les clefs pour nous fermer. Ils donnent les clefs et ils restent avec les clefs. Nous on est au couvent et eux avec les élèves.

Président : et donc, vous entendez des cris, des coups et quand vous ressortez, vous constatez que tous les élèves sont vivants.

Thérèse NDUWAYEZU : sont vivants oui

Président : et personne ne se plaint que des élèves sont disparus ?

Thérèse NDUWAYEZU : non ce jour-là non, tout le monde était vivant. Mais les habitants de KIBEHO disaient « On reviendra, on reviendra en majorité et la prochaine fois on vous tuera »

Président : ce sont des choses que vous avez entendues ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, on était en train de prier parce que quand on entend les armes qui claquent… La chapelle est juste accolée à la route donc on entendait ceux passer sur la route.

Président : donc, selon vous, à ce moment-là, les gendarmes remplissent leur mission, ils protègent les élèves ? Enfin les militaires présents protègent les élèves ?

Thérèse NDUWAYEZU : est-ce que c’est les gendarmes ou les soldats je ne sais pas

Président : les militaires protègent les élèves ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça.

Président : Et lors de la seconde attaque, qu’est-ce que vous en avez compris ? Qu’est-ce que vous en avez déduit ?

Thérèse NDUWAYEZU : les gens m’ont dit « tu sais Thérèse, les gens vont revenir », j’ai demandé comment ils le savaient et donc j’ai pris la décision de demander s’il y a un téléphone quelconque pour qu’on nous donne du renfort. J’ai pris les militaires dans la camionnette, on est allés à quelques kilomètres et là j’ai téléphoné et on m’a dit qu’on allait nous donner du renfort, et ça a été fait.

Président : alors, est-ce que vous vous souvenez d’une visite qui va être effectuée par le préfet et Mgr MISAGO ? Vous vous souvenez les avoir vu tous les deux venir vous voir à l’école des lettres ?

Thérèse NDUWAYEZU : est-ce que c’est pendant le génocide ou avant, mais il me semble que oui mais je ne saurais pas dire quand.

Président : vous vous souvenez avoir été entendue par les gendarmes français. Voilà ce que vous avez dit à cette époque-là. Vous expliquez qu’il y a cette attaque qui est repoussée par les gendarmes et vous dites – D10748/4 :

« Les militaires avaient fait leur travail en protégeant l’école contre des interahamwe [5]. Vous me demandez la date de cet épisode. Je ne sais plus. Mais c’était en mai. Les attaquants avaient été repoussés mais ils menaçaient de revenir en nombre supérieur. »

Thérèse NDUWAYEZU : c’est ça, et ils sont revenus.

Monsieur le Président poursuit sa lecture :

« Par la suite, les gardes militaires, 20 au départ ont été renforcés. Je ne sais pas par combien de gardes en plus. Je crois que le préfet est venu ce jour là pour nous dire qu’on veillait sur ces enfants et qu’on allait tout faire pour les épargner et pour les évacuer. Ce jour-là, j’ai bien vu le préfet venir à l’École des Lettres. Il était accompagné de l’évêque MISAGO et je crois par un chef des militaires. Il n’est pas resté longtemps. Je ne me souviens plus trop. Je crois qu’il est venu rapidement juste pour me rassurer.

Question : S’est-il adressé aux élèves ?

Réponse:

Je ne crois pas que le préfet BUCYIBARUTA ou quelqu’un d’autre s’est adressé aux élèves. Je me souviens d’un passage rapide et de ces quelques mots du préfet qui nous assurait de la protection des élèves et qu’il allait œuvrer pour les évacuer dès que possible.

Après le départ du préfet et de sa délégation, je suis restée avec les autres sœurs sur place. Je m’occupais de ces élèves Tutsi réfugiés dans mon école avec un économe dont j’ai oublié le nom, la sœur Célestine, le cuisinier de mon école dont j’ai oublié le nom aussi, et quelques ouvriers de l’école. »

Président : Ça correspond bien à votre souvenir maintenant ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui oui, c’est la sœur Pierre-Célestine. Oui, dans mes souvenirs, je vois dans ma tête le préfet et l’évêque mais je ne sais pas quand.

Président : dans tous les cas, quelle est la sensation que vous avez eue ? D’avoir été écoutée et qu’on allait prendre des mesures pour assurer la protection de ces élèves ?

Thérèse NDUWAYEZU : alors, ça je ne pourrai pas dire la situation dans laquelle le pays était. Parce que tout le monde s’entretuait, on était menacé de partout donc… Je n’en sais rien. Parce que si je dois parler, comment on est arrivé à tuer 90 je ne sais pas, car je vous l’ai dit on a pas vu les corps et en plus il y avait des militaires.

Président : cette question, c’est de savoir ce qu’on fait ces militaires ?

Thérèse NDUWAYEZU : bah oui, c’est une question que je me pose : qu’est-ce qu’ils ont fait alors qu’ils étaient là ? C’est une question que je me pose.

Monsieur le Président continue la lecture – D10748/5 :

« Dans les jours qui ont suivi, une nouvelle fois j’ai été informée de menaces par l’une des sœurs. Je suis allée voir les militaires de la garde. Je leur ai dit qu’on risquait une attaque : qu’est-ce qu’on fait? Les militaires paraissaient confiants, ils disaient qu’ils étaient plus nombreux et que ce n’était pas la peine de solliciter des renforts. »

Le témoin précise qu’à la deuxième attaque « on les a tous tués ».

Thérèse NDUWAYEZU : je vous ai aussi expliqué que c’est à ce moment-là qu’on est allé téléphoner et là les gens avaient mis des armes pour nous empêcher de rentrer dans l’école mais on est rentré et il y a eu l’école.

Président : vous avez eu l’évêque au téléphone ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, je ne me souviens pas bien qui j’ai eu

Président : est-ce qu’on vous a dit à l’évêché qu’on tait prévenu de la situation ? Est-ce qu’on vous a dit que le père UWAYEZU s’était déplacé pour parler de la situation ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, on ne m’a pas dit.

Président : quand vous revenez, vous constatez qu’il y a des troncs d’arbre à l’entrée de l’école avec des Interahamwe qui sont présents ? Vous arrivez et on vous dit que vous devez aller au couvent parce qu’on ne peut pas protéger à la fois le couvent et l’école ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, à l’entrée de l’école. Oui si vous voulez, les Interahamwe ce sont ceux qui tuait les gens. C’est parce que j’avais déjà des militaires dans la camionnette. Quand je suis allée téléphoner, je ne pouvais pas y aller toute seule car j’avais déjà la frousse, il fallait bien que quelques militaires m’accompagnent.

Président : selon vous, il était où Emmanuel UWAYEZU à ce moment-là ?

Thérèse NDUWAYEZU : j’ai dit que depuis la séparation des élèves, je ne l’ai pas vu.

Président : donc, vous ressortez après cette attaque après avoir entendu tous les coups de fusils et vous dites que vous n’avez trouvé aucun corps ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, il n’y avait pas de corps par contre on est allé voir dans le réfectoire, il y avait du sang.

Président : il a été question d’une grenade, avez-vous entendu une détonation ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, il y avait des coups de je ne sais pas quoi, des armes. Comme dans les films.

Président : oui, c’était vraiment la guerre ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, comme dans les films. On les entendait d’où on était

Président : donc, vous avez eu l’impression qu’on a fait « le ménage » pour que vous ne voyiez pas les corps ?

Thérèse NDUWAYEZU : (réponse non transcrite).

Président : cela suppose une certaine organisation pour enlever ce nombre important de corps. Bien, donc, vous avez ensuite été en contact avec l’évêque, avec le préfet ? Est-ce que vous savez comment ils ont réagi à ce qu’il s’est passé ?

Thérèse NDUWAYEZU : on ne sait pas… Enfin. Ceux qui étaient restés, mes consœurs et moi, on n’avait pas la force de réfléchir mais on s’est dit « Mais où sont les enfants, où sont les corps ? ». On est même allé à la bananeraie à côté de l’école pour aller voir.

Président : est-ce que Théophile ZIGIRUMUGABE ça vous dit quelque chose ?

Thérèse NDUWAYEZU : j’ai été en contact, le contact que je me souviens c’est un élève. C’est il y a longtemps, des gens ses sont passées, c’est un vieux traumatisme. J’ai dû aller à GIKONGORO cette fois-ci car un élève est venu se cacher chez moi. J’ai senti mes jambes me lâcher donc je l’ai caché. On prenait un bâton pour lui donner à manger, on essayait de le cacher jusqu’au moment où j’ai pris la décision, c’était avant que les militaires fassent le couloir pour partir. Je me suis dit qu’il fallait que cet enfant soit en sécurité, comment, où je ne sais plus mais je l’ai caché et je suis allé à GIKONGORO avec le garçon. Enfin le jeune homme. Je ne sais pas si j’ai vu le préfet, je me souviens plus. En tout cas, le jeune homme a été pris, il semblerait qu’il soit allé dans un autre centre de rescapé et qu’il soit vivant aujourd’hui.

Président : on a entendu le témoignage d’un homme, maintenant parce qu’il a pris un peu d’âge, qui s’appelle Théophile ZIGIRUMUGABE, qui a indiqué qu’il avait pu survivre au massacre qui s’est produit à l’école des lettres, qu’il avait, grâce à l’aide d’un Hutu marchand de beignet, pu être caché pendant qq temps, qu’ensuite il avait été caché dans la maison de RAFFIN, puis découvert à par des Interahamwe, remis à des militaires, tabassés et ensuite qu’il est retourné à l’école des lettres.

Thérèse NDUWAYEZU : normalement je suis très faible concernant les noms, c’est pas mon dada

Président : donc Théophile ZIGIRUMUGABE, ça ne vous dit rien ?

Thérèse NDUWAYEZU : non je ne connais pas. Le nom je ne sais plus mais c’est pas celui-là

Président : est-ce que vous connaissez le bourgmestre BAKUNDUKIZE ?

Thérèse NDUWAYEZU : non ça me dit rien. Il a été établi quand ?

Président : avez-vous rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA lorsqu’il y a eu l’installation du nouveau bourgmestre ? Vous savez que le bourgmestre de MUBUGA, Charles NYLIDANDI a été tué et remplacé par un certain BAKUNDUKIZE. Lors de cette installation, le préfet est venu et il me semble que ce matin, il a indiqué vous avoir rencontré discrètement cette occasion et qu’il y aurait eu une réunion entre vous, le préfet et le bourgmestre BAKUNDUKIZE lors de laquelle il aurait été demandé au bourgmestre de remettre des documents d’identité à ce jeune homme.

Thérèse NDUWAYEZU (hoche négativement de la tête le long de la question du Président) : Non, je suis désolée mais non. De toute façon, quand est-ce que nous avons quitté KIBEHO ? Parce que moi j’ai quitté KIBEHO entre deux.

Président : donc avant que vous quittiez KIBEHO, le préfet n’est pas revenu ?

Thérèse NDUWAYEZU : ce dont je me souviens, c’est qu’il y a eu une réunion avec l’évêque, les prêtres qui parlaient des apparitions des bâtiments. Je ne me souviens pas très bien, d’autant plus que j’ai pris un truc, on m’a dit que j’étais un Diable. Mais quand et avec qui, je me souviens plus. C’est comme si je n’étais pas là. C’est la seule réunion où j’étais mais le préfet n’était pas là, c’est juste des ecclésiastiques. Mais lesquels, je ne sais pas.

Président : je ne sais pas si monsieur Théophile ZIGIRUMUGABE est toujours présent ?

Personne de l’aide aux victimes : il n’est pas là mais on peut aller le chercher.

Président : vous, le souvenir que vous avez du jeune qui est venu à l’École des Lettres, c’est un jeune qui serait arrivé comment chez vous ?

Thérèse NDUWAYEZU : bah… Je crois que c’est une des enfants de CYUMBA qui m’a dit qu’il y avait un élève. En tout cas il se cachait.

Président : il se cachait en dehors de l’école ? C’est vous qui étés allée le chercher ou il est venu tout seul à l’école ?

Thérèse NDUWAYEZU : bah il est venu, il venait en se cachant mais vers l’école.

Président : donc, vous quand vous l’avez vu, il était à l’école, vous ne l’avez pas vu en dehors de l’école ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui oui.

Président : et vous, quand vous ramenez cet enfant que vous avez caché dans votre véhicule, vous le ramenez à l’évêque ? Vous êtes allées voir le préfet dans son bureau ?

Thérèse NDUWAYEZU (transcription approximative) : je ne me souviens pas, peut-être. Je pense que ce jour-là, ils n’y sont pas allés. Je pense.

Président : Quand nous avons entendu le père UWAYEZU, il a indiqué que lui aussi aurait ramené un jeune à GIKONGORO et qu’il l’aurait conduit lui-même au bureau du préfet. Laurent BUCYIBARUTA a indiqué ne pas avoir vu le père UWAYEZU mais vous avoir vu, vous.

Thérèse NDUWAYEZU : je crois que ce jour-là, avec ce jeune on était avec l’évêque et le préfet. Je pense, ça fait longtemps. Mais je pense qu’on était 4.

Président : mais, c’était à l’évêché ou à la préfecture ?

Thérèse NDUWAYEZU : oh là là, je ne sais pas. Je suis passée à l’évêché, je crois qu’on est allés à la préfecture. Je crois, je pense, je ne suis pas certain. Ça fait longtemps, 28 ans, avec tous nos… Des choses qu’on voudrait bien oublier.

Président : Le préfet Laurent BUCYIBARUTA, je crois que vous avez dit le connaître parce que c’était le préfet. Vous ne le connaissiez pas de façon personnelle avait le génocide ?

Thérèse NDUWAYEZU : pas personnel non. Je le connais comme préfet.

Président : vous saviez qu’il avait une épouse Tutsi ?

Thérèse NDUWAYEZU : ça je le savais car sa sœur, qui est une consœur

Président : la belle-sœur du préfet Laurent BUCYIBARUTA, la sœur de son épouse est elle-même religieuse dans la même congrégation que vous.

Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça.

Président : et elle était à quel endroit ?

Thérèse NDUWAYEZU : ne m’en demandez pas beaucoup, ne demandez pas beaucoup.

Président (il sourit) : si je vous en demande pas beaucoup, vous ne me direz pas beaucoup donc je vous demande beaucoup pour avoir un peu.

Thérèse NDUWAYEZU : je crois que c’est la préfecture de naissance de KIBUNGO. Je pensais qu’il ne venait de KIBUNGO moi.

Président : vous l’avez vu à quelques reprises, que pouvez-vous dire du caractère du préfet, comment vous l’avez perçu cet homme-là ?

Thérèse NDUWAYEZU : un grand homme, un peu nonchalant. Je ne pourrais pas dire beaucoup de choses sur lui.

Président : est-ce qu’il vous a paru être un dangereux extrémiste anti-Tutsi ?

Thérèse NDUWAYEZU : je ne saurais pas le dire, non. C’est ce que j’ai répondu aux gendarmes, je le sais. J’ai dit que je me suis demandée comment un préfet peut épouser une Tutsi et tuer les Tutsi, comment le Diable était chez lui.

Président : Vous avez néanmoins eu des mots plutôt en sa faveur quand vous avez été entendue ?

Thérèse NDUWAYEZU : je vois mal comment on peut épouser quelqu’un et exterminer la population, les gens, les mêmes gens que sa femme ? C’est ça que je lui ai dit et ça je le pense. Parce que quand on va dans une ethnie, voilà, on les considère comme son frère, sa sœur, ses amis. Pour moi c’est ça, pour les autres je n’en sais rien.

Président : quand on vous pose la question, vous dites que vous le rencontrez pour la dernière fois au RWANDA, quand vous lui confiez ce jeune homme Tutsi – D10748/6 :

« Question : Vous le rencontrez pour la dernière fois au Rwanda alors que vous lui confiez ce jeune homme Tutsi?

Réponse: Oui c’est ça. C’est à Gikongoro que je le vois pour la dernière fois. Après je suis retournée à Kibeho mais on ne s’y sentait pas en sécurité. Les sœurs ont été évacuées avant l’arrivée des militaires français. Moi, j’ai quitté Kibeho à l’arrivée des militaires français. A la radio Inkontayi, j’ai entendu des menaces contre moi; il se disait que c’était moi qui avait donné les élèves afin qu’ils soient éliminés. »

Donc il y avait des menaces contre votre vie ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, c’est ça. Tout à fait. Ils disaient qu’ils m’auront à l’heure. Jusqu’à maintenant ça m’a poursuivie, je vis avec. Ça ne m’a pas quittée.

Président : vous dites qu’à l’époque ça vous a décidé à fuir par le Zaïre – D10748/6 :

Ça m’a décidé à fuir pour le Zaire. Le chauffeur de l’école m’a emmené à Bukavu avec 3 filles orphelines. Plus personne n’est resté à Kibeho. Je ne me rappelle pas de la date de mon départ en exil ».

Thérèse NDUWAYEZU : je pense que si j’ai dit ça, je ne sais pas si j’ai dit que plus personne n’est resté à KIBEHO. Il y a une voyante qui est resté à KIBEHO.

Président : quand vous parlez de voyante, vous parlez de la jeune fille qui a vu les apparitions. Mais elle est restée à l’école ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui. Je crois qu’elle y réside peut-être encore toujours, je n’en sais rien

Président : on vous demande également si vous connaissiez un dénommé SEBUHURA– D10748/6 :

« Question : Vous connaissez le capitaine SEBUHURA?

Réponse: Non. »

Thérèse NDUWAYEZU : je ne le connais pas. J’ai dit que je le connaissais ?

Président : on vous dit qu’il serait impliqué dans le meurtre des élèves de l’école des lettres et vus dites – D10748/6 :

« Réponse : Je ne sais pas. C’est possible car il semblerait que les militaires de faction ont retourné leur veste. Ils gardaient l’école et au moment de la seconde attaque, ils ont probablement retourné leurs armes contre les élèves Tutsi. Ont-ils agi sur ordre de ce capitaine SEBUHURA ? Je ne sais pas. Je ne sais pas qui il est. »

Thérèse NDUWAYEZU : c’est ça que je pense, que j’ai pensé. Je le répète, je vois mal comment les Interahamwe pouvaient tuer des élèves alors qu’ils étaient gardés par des militaires. Tout ça je le pense.

Président : on vous demande également, lorsque vous revenez à KIBEHO, les élèves avaient été séparés entre l’école Marie-Merci et l’école des lettres, si vous savez qui est à l’origine de cette séparation.

Thérèse NDUWAYEZU : comment voulez-vous que je sache ?

Président : vous dites – D10748/6 :

« Je ne sais pas exactement. Je crois qu’il faudrait poser la question au père Emmanuel. Mais j’ai appris par mes consœurs que les élèves Hutu s’en étaient pris aux élèves Tutsi. Les tensions étaient telles que des élèves Hutu voulaient tuer les élèves Tutsi. Je suppose que les élèves se sont séparés tout seul, de leur propre initiative, sans décision d’un tiers. J’avais capté aussi que tous les élèves étaient ensemble encore lors des grands massacres vers le 21 avril. Ce n’est qu’après les grands massacres que les élèves se sont scindés en deux groupes; les élèves Hutu voulaient terminer le travail commencé par la population… Peut-être que les élèves Tutsi se sont réfugiés de leur propre initiative à l’école des Lettres. Je ne sais pas exactement. »

Thérèse NDUWAYEZU : bah je ne pouvais pas savoir, ce sont des suppositions mais bien sûr que mes consœurs me disaient aussi. Pendant la 1e attaque, on voyait les élèves Hutu de Marie-Merci, on les entendait. Ils voulaient tuer leurs condisciples.

Président : il y a des détails qui sont assez terribles, c’est qu’il semblerait, d’après les confidences que certains rescapés ont pu obtenir, que certaines élèves ont servi d’objets sexuels à un certain nombre de Interahamwe. Vous avez été informée de cela ?

Thérèse NDUWAYEZU : o là là. Penche la tête en mettant sa main sur le front, tout en secouant sa tête. Non pas du tout, c’est la 1e fois que j’entends ça.

Président : Pendant votre audition, vous dites que – D10748/7 :

« Toutes mes consoeurs, également Tutsi, considèrent que le préfet n’était pas un mauvais homme. Il était lui-même menacé car il devait cacher sa femme Tutis. Par ailleurs, comme je l’ai dit, lorsque j’ai vu le préfet c’était pour aider des Tutsi. Je signale aussi que c’est le préfet BUCYIBARUTA qui a organisé l’évacuation des soeurs du couvent à Kibeho en juin à la demande de Mgr MISAGO. Ils travaillaient ensemble tous les deux. »

À votre connaissance, c’est grâce à l’intervention du préfet que les sœurs de Kibeho …

Thérèse NDUWAYEZU : effectivement, les consœurs ont été évacuées par les militaires vers la maison mère dans un camion militaire

Président : des forces armées françaises ?

Thérèse NDUWAYEZU : non ; Je me souviens plus, de GIKONGORO, des congolais peut-être. Le fait d’avoir passé 28 ans ici, je confonds même le noir et le blanc, excusez-moi.

Président : vous en savez plus ?

Thérèse NDUWAYEZU : moi mes préoccupations c’est que les sœurs ne devaient pas mourir. On était dans une région où les préoccupations étaient terribles

QUESTIONS PARTIES CIVILES :

Me TAPIE : il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quand vous avez terminé, vous dites que vous ne comprenez pas comment une personne comme Laurent BUCYIBARUTA qui a une épouse Tutsi, aurait pu faire ça aux parents ethniques de son épouse.

Thérèse NDUWAYEZU : d’abord il faut connaitre son nom, c’est NTACYBARUTA, « NTA ».

Me TAPIE : il y a quelque chose que je ne comprends pas. Quand vous avez terminé, vous dites que vous ne comprenez pas comment une personne comme Laurent BUCYIBARUTA qui a une épouse Tutsi, aurait pu faire ça aux parents ethniques de son épouse. Mais en même temps, vous avez aussi dit que lors de la visite du préfet avec Mgr MISAGO dans votre école, vous avez dit que vous n’étiez pas rassuré parce que c’était une époque où tout le monde pouvait tuer tout le monde. Comment pouvez-vous donc être sûre que le préfet Laurent BUCYIBARUTA n’était pas animé par un tel esprit de démon présent dans le pays ?

Thérèse NDUWAYEZU : Moi personnellement, comme je l’ai dit aux gendarmes, ils voulaient justement savoir ma position sur le préfet. J’ai regardé qu’il a épousé sa femme, à cette époque c’est un couple qui n’était pas jeune. Donc moi je pensais que lui qui a épousé une Tutsi, ne devait pas attenter aux Tutsi.

Me TAPIE : ça c’est le meilleur des mondes, mais à ce moment, on était dans un moment particulier où tout le monde était déchaîné, qu’est-ce qui vous donne cette assurance que le préfet n’a pas pu faire cela ?

Thérèse NDUWAYEZU : tout à fait.

Me TAPIE : qu’est-ce qui vous donne une assurance que le préfet n’a pas pu faire ça ?

Thérèse NDUWAYEZU : non je ne donne pas une assurance. S’il a été génocidaire, il l’a été. Moi je parle de ce que je pense. S’il a été génocidaire, animé d’une haine, ça c’est autre chose.

Me GISAGARA : juste 2 questions. Je voulais vous demander, les fois où vous avez rencontré le préfet, avez vous eu l’impression que c’est qqn qui avait perdu son autorité de préfet ?

Thérèse NDUWAYEZU : est-ce que je vous ai dit d’abord que je me souviens même pas combien que je l’ai rencontré. Je crois que la dernière fois que je l’ai rencontré c’est, je crois, quand je lui ai remis l’élève. Sinon en 3 mois, pour les problèmes c’était l’évêque l’entremise.

Me GISAGARA : vous avez été claire, on a compris que vous l’aviez rencontré rarement, mais ces rares fois, avez-vous eu l’impression que c’est quelqu’un qui avait perdu son autorité de préfet ?

Thérèse NDUWAYEZU : je me suis pas posée la question.

Me GISAGARA : et si on vous la pose aujourd’hui ?

Thérèse NDUWAYEZU : c’est un peu loin pour que je réponde.

Me GISAGARA : ma dernière question, vous avez dit que vos consœurs vous ont dit « on sait comment ça fonctionne », donc pour elles c’était évident que ces enfants allaient être tués, c’est bien cela ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui c’est ça. Oui parce qu’ils savent, la personne qui a dirigé le jury a parlé du massacre dans l’église. Moi je n’étais pas là mais on sait que ça s’est passé.

Me GISAGARA : j’ai parfaitement compris, est-ce que vous pensez que les autorités elles pouvaient ignorer cette évidence si tout le monde savait comment cela fonctionnait, est-ce que les autorités pouvaient ignorer cette évidence, que l’on allait tuer les enfants ?

Thérèse NDUWAYEZU : je ne sais pas car quand je suis arrivée, je n’ai pas pensé à ce que les élèves avaient été tués. C’est presqu’un déni psychologique.

Me GISAGARA : vous vous n’avez pas vécu là-bas mais pour les autres, qui savaient ce qu’il se passait. Est-ce que les autorités auraient pu ignorer cette évidence que vos consœurs savaient ?

Thérèse NDUWAYEZU : alors, je ne sais pas puisque déjà les autorités, avaient déjà envoyé des militaires pour protection de ces enfants. Le problème c’est est-ce que ces autorités avaient la confiance aux militaires, c’est la question qu’il faudrait poser.

Me GISAGARA : malgré la présence de ces militaires, cela n’empêchait pas vos consœurs de se dire que les enfants allaient être tués ; donc je répète ma question, malgré la présence des militaires, pensez-vous que les autorités aient pu ignorer ?

Thérèse NDUWAYEZU : non ça ne me parait pas invraisemblable Monsieur. Mais je ne peux pas dire qu’ils le savaient mais ça ne me parait pas invraisemblable.

Me PHILIPPART : j’ai compris que vous n’étiez pas tout à fait certaine de vos souvenir en ce qui concerne la chronologie de ce qu’il s’est passé lors de votre retour à KIBEHO et la séparation des élèves de Marie-Merci. Vous situez cela début mai. Combien de temps se passe entre votre retour et l’attaque qui va être fatale aux élèves Tutsi ?

Thérèse NDUWAYEZU : alors je pense que la 1e attaque ça a été entre une ou 2 semaines

Me PHILIPPART : 1 ou 2 semaines après votre retour ?

Thérèse NDUWAYEZU : au moins.

Me PHILIPPART : et entre la 1 et la 2e attaque ?

Thérèse NDUWAYEZU : entre 3, 4 ou 5 jours.

Me PHILIPPART : vous pourriez situer la date de cette 2e attaque ?

Thérèse NDUWAYEZU : ne me demandez pas les dates.

Me PHILIPPART : si je vous dis que certains témoins, des élèves rescapés de cette attaque nous ont dit qu’entre le moment où les élèves ont été séparés les uns des autres et le moment où ils ont été massacrés, il s’est passé 4 jours ?

Thérèse NDUWAYEZU : après la séparation ? Non non non ce n’est pas possible, c’est un peu plus.

Me AUBLÉ : est-ce que vous avez été en contact avec Laurent BUCYIBARUTA après 1994 ?

Thérèse NDUWAYEZU : alors bon. Il m’a téléphoné, je ne sais pas comment il a eu mon numéro de téléphone de la congrégation parce qu’à ce moment après 1994, j’étais ici en France à la communauté de la Présidence. Il m’a téléphoné mais moi je ne voulais pas entrer dans son histoire, excusez-moi.

Me AUBLÉ : vous avez une idée de la date de ce coup de téléphone ?

Thérèse NDUWAYEZU : non non, vraiment. Mais il m’a téléphoné ça je sais.

Me AUBLÉ : vous pouvez nous indiquer ce qu’il vous a demandé dans ce coup de téléphone ?

Thérèse NDUWAYEZU : il me disait om il habitait, que si c’était possible, que j’aille chez eux leur rendre visite et voilà.

Me AUBLÉ : Lorsque vous avez été entendue par les gendarmes, vous avez indiqué qu’il vous a demandé de rentrer dans sa défense, cela ne vous dit rien ? Vous avez dit « il souhaite que je le défende sans me le dire clairement ». C’est toujours la même impression que vous avez sur ce coup de téléphone maintenant ?

Thérèse NDUWAYEZU : quand il m’a téléphoné, je sentais qu’il voulait faire connaissance avec moi mais je ne voulais pas rentrer là-dedans. Il y a des choses qu’on préfère oublier

QUESTIONS MINISTÈRE PUBLIC :

Ministère Public : je souhaitais savoir, au niveau des dates, j’ai compris que c’était compliqué pour vous, mais pouvez-vous dire combien de sœurs il y avait avec vous au couvent ?

Thérèse NDUWAYEZU : je crois qu’il y en avait 4 peut-être.

Ministère Public : sur les attaques que vous nous avez décrites, le schéma est le même, les militaires vous enferment dans le couvent et comment ils vous expliquent qu’ils vous enferment, qu’ils vous mettent à part et que les enfants eux restent dans le réfectoire ?

Thérèse NDUWAYEZU : oui, le schéma est le même. Parce qu’ils savaient très bien que les Interahamwe, les gens qui massacrent les autres, voulaient aussi tuer les sœurs. Les militaires disaient qu’ils ne pouvaient pas assurer sur les 2 fronts.

Ministère Public : alors, je ne comprends pas bien le raisonnement de vous mettre à part. Vous aviez également une garde au couvent ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, il n’y avait pas de gardes.

Ministère Public : alors comment étiez-vous protégées dans le couvent et au contraire, les 94 élèves qui avaient une garde et qui étaient enfermés dans le réfectoire ? Le raisonnement est un peu étrange ? C’est une hypothèse que je formule, est-ce que le but n’était pas de vous mettre à part parce que les élèves étaient visés ?

Thérèse NDUWAYEZU : je suis d’accord.

Ministère Public : le fait qu’il y ait très peu de gendarmes à l’époque, que vous n’étiez pas nombreux. S’il y avait vraiment une volonté de protection, on vous aurait rassemblés tous ensemble, avec les gendarmes. Là on a quand même l’impression qu’on vous met à part pile au moment des attaques en prétendant que les gendarmes étaient là pour protéger les enfants.

Thérèse NDUWAYEZU : les sœurs aussi étaient ciblées car on tuait chez nous. J’ai beaucoup de consœurs qui ont été tuées pendant le génocide.

MP répète sa remarque précédente.

Thérèse NDUWAYEZU : vous ne comprenez pas pourquoi les sœurs ne sont pas descendues rejoindre les élèves ?

Ministère Public : oui ?

Thérèse NDUWAYEZU : bah ça a été comme ça.

Ministère Public : Quand vous êtes libérée du couvent, vous constatez que les 94 enfants ne sont plus là, qu’il y a du sang, qu’est-ce que vous faites ?

Thérèse NDUWAYEZU : je vous ai dit qu’il n’y avait pas de téléphone, qui prévenir ? Parce que téléphoner il fallait quitter le couvent, la peur règne partout et donc je n’allais pas prendre le véhicule pour aller à quelques kilomètres.

Ministère Public : vous sortez, vous constatez que les enfants ont disparus et la vie continue pour vous ?

Thérèse NDUWAYEZU : non la vie ne continue pas comme ça. Mais bon, c’est comme ça

QUESTIONS DE LA DÉFENSE :

Me LÉVY : après la 1ère attaque, quand vous êtes informée d’une telle menace, vous allez téléphoner à l’évêché de GIKONGORO. Vous indiquez que le point de téléphone était à 10 km de KIBEHO.

Thérèse NDUWAYEZU : oui oui, c’est ça, même 5km je pense.

Me LÉVY : Est-ce qu’il y avait un téléphone à KIBEHO ?

Thérèse NDUWAYEZU : non, à KIBEHO il n’y en a pas, il n’y a pas de téléphone. C’était un centre militaire, un truc où tu peux joindre les militaires ou je ne sais pas quoi.

Me LÉVY : Ensuite, vous nous avez dit, et on le comprend, que vous préféreriez que certains souvenirs soient effacés. Concernant l’élève que vous avez ramené, au départ vous nous dites que vous l’avez ramené à l’évêque et ensuite vous indiquez que c’était un préfet. Je vous rappelle juste ce que vous avez dit au gendarme – D10748/5 :

« Question : Les élèves Tutsi ont été tués. Vous ne voyez pas les corps mais c’est ce que vous pensez. Que faites-vous ?

Réponse : On reste, on pleure. Deux jours après on était occupé par l’intrusion d’un Tutsi. Je l’ai caché dans une classe. On trouvait que c’était le meilleur endroit, j’avais la clef et ce jeune homme de 15 ans a survécu. Plus tard, il a été évacué caché sous une bâche. Je me suis rendu à Gikongoro à mes risques et périls, pour l’amener au préfet lui-même. Je ne me souviens plus du lieu où je le l’ai rencontré sur Gikongoro. En tout cas, j’avais quitté Kibeho pour aller à Gikongoro pour confier ce jeune homme au préfet. Et cet enfant vit toujours aujourd’hui.Mais je ne me rappelle plus de son nom.

Question : Ce jeune homme Tutsi, vous l’avez confié directement au préfet ?

Réponse :

Oui, et il a accepté de le prendre pour l’insérer dans un groupe d’orphelins survivants d’autres attaques, de Kaduha je crois. Je n’ai plus jamais revu ce jeune mais il aurait survécu. »

Est-ce que cela vous ravive des souvenirs ou vous ne vous en souvenez pas, même après cette lecture ?

Thérèse NDUWAYEZU : Bah là j’ai parlé du préfet seulement mais je pense que j’ai passé par l’évêque et le préfet, les deux.

Me LÉVY : Dernière question. On vous a interrogé sur les contacts que vous avez pu avoir avec le préfet en France. Quand il vous a contacté, pensez-vous qu’il avait de mauvaises intentions ou pensez-vous simplement qu’il voulait contacter des personnes qui l’ont connues pendant le génocide simplement pour attester de son comportement ?

Thérèse NDUWAYEZU : à cette époque-là je ne savais même pas s’il y aurait le tribunal contre lui, quand il m’a contactée, un jugement. Donc je me suis pas posée la question de savoir s’il avait fait quelque chose de mauvais ou non. Je me suis permis de lui dire « Maintenant tu es loin du RWANDA, vis ta vie ».

Président : est présent dans la salle M. Théophile ZIGIRUMUGABE. Est-ce que vous voyez le témoin qui est là ? Théophile aussi ? Est-ce que vous le reconnaissez ?

Thérèse NDUWAYEZU : non.

Président : 28 ans plus tard c’est un peu compliqué en effet. Vous aviez quel âge ?

Théophile ZIGIRUMUGABE : 19 ans

Président : Vous nous avez expliqué que vous vous êtes retrouvé à l’école des lettres après avoir été tabassé par de gendarmes et que vous avez été soigné par une infirmière à la demande de la directrice. Est-ce que le jeune que vous avez recueilli a eu besoin de soins qui auraient été dispensé par une de vos sœurs ?

Thérèse NDUWAYEZU : celui que j’ai caché sous un puis, je ne crois pas.

Président : Quand vous êtes allés à GIKONGORO, pouvez-vous nous dire dans quel véhicule vous y êtes allés ?

Théophile ZIGIRUMUGABE : on est allé à GIKONGORO, je suis parti avec l’abbé UWAYEZU dans une camionnette de l’école Marie-Merci et il y avait beaucoup de gendarmes

Président : Est-ce que vous êtes allé amener un rescapé dans une camionnette bleue ?

Thérèse NDUWAYEZU : c’est le véhicule de l’école, c’est toujours une camionnette. Mais je ne me souviens pas de la couleur, si c’était bleu ou rouge. Mais c’est moi avec les gendarmes, mais pas avec le directeur de l’école

Président : il y avait des gendarmes avec vous ?

Thérèse NDUWAYEZU : ah oui, avec des gendarmes.

Me PHILIPART : est-ce qu’on peut interroger Laurent BUCYIBARUTA à ce sujet ? Il a dit qu’il se souvenait de THÉOPHILE, est-ce qu’on parle du même sauvetage ?

Thérèse NDUWAYEZU : je ne crois pas. Moi celui que j’ai sauvé, je l’ai emmené moi-même

Président : vous avez été en contact avec combien de rescapés de l’école de MM ?

Laurent BUCYIBARUTA : quand je suis allé à MUBUGA, le seul cas qui m’a été soumis, c’est celui de ce jeune homme.

Président : avez-vous le souvenir que la sœur soit venue avec un autre rescapé ?

Laurent BUCYIBARUTA : la sœur m’a parlé de son cas, je ne connaissais même pas son visage

Président : pour vous, il n’y a qu’un seul rescapé ? Il n’y en a pas deux ?

Laurent BUCYIBARUTA : du moins c’est le seul cas qui m’a été soumis.

Président : donc pas les mêmes cas alors.

Laurent BUCYIBARUTA : ce sont des cas tout à fait différents.

Président : on sait qu’il y a effectivement des orphelins et notamment qui venaient de KADUHA qui ont ensuite été conduits au BURUNDI. Avez-vous souvenir que parmi ces orphelins de KADUHA, envoyés par l’association Terre des Hommes, on y aurait ajouté un rescapé qui venait de l’école Marie-Merci de KIBEHO ?

Laurent BUCYIBARUTA : non non, il ne faisait pas partie du groupe. Les orphelins qui venaient de KADUHA, la sœur MILGITHA m’avait donné la liste et c’est à partir de cette liste que j’ai pris les dispositions nécessaires pour qu’ils soient évacués sur BUTARE. Son cas est différent puisqu’il est de KIBEHO.

Président : donc il n’a pas pu y être ajouté ?

Laurent BUCYIBARUTA : non c’est différent.

Président : Ce qui est étonnant, c’est que vous nous dites que vous avez, lors de l’installation du nouveau bourgmestre, été en contact avec ce témoin, avec Thérèse. Vous avez dit que vous étiez, lors de l’installation du bourgmestre, venu sur place à MUBUGA. Vous nous avez dit que vous avez été contacté par la directrice de l’école des lettres et qu’ensuite vous avez eu une réunion avec le bourgmestre pour parler de la situation de ce rescapé afin que le bourgmestre lui donne des papiers d’identité. Le témoin dit qu’elle n’a aucun souvenir de cela.

Laurent BUCYIBARUTA : en fait, c’est au bureau communal de MUBUBA. Une précision, ce n’était pas une réunion, c’était un entretien.

Président : vous n’avez pas de souvenir de cet entretien avec le préfet à la suite de la cérémonie d’installation du nouveau bourgmestre à MUBUGA ?

Thérèse NDUWAYEZU : non. Par contre, vous avez parlé de KADUHA et KIGEME, justement je me souviens que ce jeune homme-là allait être soit à KADUHA ou KIGEME. On a parlé de là où se trouvait des enfants, ça devait être à un de ces lieux.

Audition de monsieur Emmanuel NYEMANA, rescapé de Marie-Merci, partie civile.

Le témoignage d’Emmanuel NYEMANA correspond en beaucoup de points au récit que nous a donné Védaste HABIMANA, il ne nous a pas paru nécessaire de reprendre la totalité de son témoignage. Nous prendrons son récit au moment où le groupe des jeunes Tutsi va atteindre la frontière du BURUNDI  et où le témoin va se trouver séparé de huit de ses camarades.

« Une femme est passée par là en disant, parlant de nous, qu’elle venait de voir passer des INIENZI. Je me suis retrouvé seul avec un camarade. Une fois la frontière traversée, nous avons dit que nous étions des Congolais et que nous voulions rejoindre l’ambassade. On nous a indiqué une église où nous pouvions nous rendre mais j’ai refusé. Nous avons continué à marcher puis avons pris une voiture en stop. Arrivés à KAYANZA, à la vue de policiers, nous avons sauté de la voiture. Nous avons dit que nous étions dix mais que les autres s’étaient égarés.

Des militaires nous ont aidés à chercher nos camarades mais nous ne les avons pas retrouvés. Comme j’avais été blessé au ventre, les militaires m’ont soigné.

Notre retour au Rwanda fut une nouvelle étape de notre chemin de croix. Toute ma famille avait péri à KADUHA. Je restais seul avec une soeur grièvement blessée. Elle me confiera plus tard qu’elle a été violée.

Depuis, nous restons à quatre sur soixante sept personnes qui constituaient notre famille. Nous avons vécu la vie difficile des orphelins. »

Questions.

Monsieur le président n’a pas beaucoup de questions à poser dans la mesure où nous avons entendu ses camarades de la même classe. Le témoin veut remercier la Cour car la justice est possible: « Je souhaiterais que les Français sachent notre histoire. Nous sommes dans un beau pays. Nous éduquons nos enfants pour qu’ils ne connaissent pas ce qu’on a vécu.

Maître BERNARDINI signale qu’il s’est rendu à KIBEHO pour se familiariser avec la géographie des lieux. Il fait part à la Cour de ce qu’il a vu sur place, en particulier une carte qui montrait bien les lieux de rassemblement des Tutsi. Il verse la pièce au dossier.

Maître LEVY, pour la défense fait dire au témoin que les attaques étaient bien planifiées, bien coordonnées. Il veut savoir aussi comment le témoin a reconnu le préfet dans le groupe des visiteurs. En réalité, Emmanuel NYOMANA le connaissait dans la mesure où il le voyait à KADUHA.

Maître LEVY: le 30 après la messe, vous dites: « Il était prévu qu’on nous tue ». Vous pouvez nous expliquer?

Le témoin: J’avais été averti par un ami hutu. Il m’a proposé de quitter l’école avec lui.

Maître Jean SIMON annonce qu’il dépose deux documents au greffe. Il demande au témoin si, sur la route du BURUNDI ils ont rencontré beaucoup de barrières. Le témoin confirme qu’ils cherchaient surtout à les éviter.

Le ministère public veut savoir où se sont regroupés les élèves qui avaient décidé de fuir: ils étaient à Marie-Merci. Quant aux policiers, ils avaient demandé aux élèves de ramasser les corps mais ces derniers étaient trop faibles pour accomplir cette corvée.

Maître LEVY; enfin, demande au témoin si c’est bien l’abbé UWAYEZU  qui a célébré la messe du 30 mai. Le témoin confirme. 

L’audience se clôture ainsi. (Fin).

Note de la Rédaction : ce compte rendu a été réalisé par Alain GAUTHIER, Mathilde LAMBERT et Jacques BIGOT

Références

1          FPR : Front patriotique Rwandais

2          Inkotanyi : combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). 

↑3        Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. 

↑4        Les cartes d’identité « ethniques » avait été introduites par le colonisateur belge au début des années trente.  :  

↑5        Ibid.