Procès pour génocide de Bucyibaruta à Paris. 16 mai. J6

Laurent Bucyibaruta

By Alain Gauthier*

·         Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre de avril 1992 à juillet 1993.

·         Audition de monsieur François-Xavier NSANZUWERA, procureur de la République à Kigali en 1994.

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Audition de monsieur Dismas NSENGIYAREMYE, ancien premier ministre de avril 1992 à juillet 1993.

Le témoin est invité à dérouler son curriculum vitae. Premier ministre d’avril 1992 à juillet 1993, se sentant menacé, il quittera le Rwanda, accusé d’être corrompu et d’avoir fait une part trop importante au FPR [1] dans les accords d’Arusha.

Dans sa jeunesse, il a fréquenté le Collège du Christ-Roi à Nyanza. Entré en politique, il s’engage au MDR [2], « mouvement qui préconisait la sortie du parti unique et s’occupait de la promotion des masses populaires. » Avec le multipartisme, le MDR prend beaucoup de place à Gikongoro. On débauche les gens des autres partis (pratique du Kuhoboza). Demande est faite aux bourgmestres de garder une certaine neutralité et de laisser les gens s’exprimer.

Questionné sur les dérives de certains politiciens, il évoque le discours de Léon MUGESERA à Kabaya: « Ce fut un discours violent contre les Tutsi et contre moi. Je l’ai condamné et ai demandé qu’on émette un mandat d’arrêt contre lui. » MUGESRA se réfugiera au Canada.

En octobre 1993, se produit une véritable fracture au sein du MDR. La mort de GAPIYISI marque le tournant vers tendance PAWA (Power) [3]. Agathe UWILINGIYIMANA est nommé premier ministre par le président du MDR, sans aucune consultation. C’est Anastase MUNYANDEKWE, leader Pawa,  qui succède à GAPIYISI à Gikongoro, lui que GUICHAOUA qualifie de « fourbe », « celui qui triche. »

Monsieur le président évoque la Commission des droits de l’Homme de 1993. « Je faisais partie de ceux qui avaient souhaité cette commission » dira le témoin.

Concernant l’affaire de « complices », en 1990, il souligne que les arrestations sont opérées suite à de fausses rumeurs: le FPR airait attaqué à Kigali. Certains de ces Ibyitso [4] resteront plusieurs mois en prison.

L’auto-défense civile? Le témoin n’était pas vraiment d’accord. Il ne voulait pas mettre des populations en état de combattre. Ce sont les autorités qui profitaient de l’état de guerre.

Le témoin est interrogé sur ce qu’il sait de Laurent BUCYIBARUTA.  Il l’a connu comme sous-préfet de Gisenyi: « Un homme sage et intègre. »  » Un homme honnête et correct, très sociable, jamais exclusif ni vindicatif. Il ne partageait pas les idées génocidaires. Il a essayé de vivre en harmonie avec tout le monde » ajoutera-t-il un peu plus tard.

Le témoin revient au Rwanda en janvier 1994. « Je suis revenu au Rwanda car la mise en place des accords d’Arusha ne se faisait pas. J’avais des craintes depuis septembre 1993. Je voyais le manège qui se faisait dans le pays au sein des partis politiques.  Il existait un système binaire, MRND [5] versus FPR [6]. Les partis d’opposition s’étaient fracturés. J’ai dénoncé le glissement du clan Pawa du MDR vers le MRND. »

L’entourage du président HABYARIMANA, son épouse, Elie SAGATWA, les camarades du 5 juillet, Théoneste MUGEMANA prenaient de plus en plus l’ascendant.  « Chaque fois que des progrès avançaient, j’ai l’impression que ces gens faisaient tout pour que cela ne fonctionne pas

L’assassinat du président burundais NDADAYE le 21 octobre 1993 aura « un impact gigantesque sur le Rwanda. » Élu démocratiquement, il devait « servir de modèle. » « Les extrémistes en ont profité pour dénoncer le partage du pouvoir au Rwanda. » D’où la montée en puissance du mouvement Pawa. James GASANA, ministre de la défense, accusé lui aussi d’avoir favorisé le FPR, quittera le pays à son tour.

Monsieur le président LAVERGNE invite les parties à interroger le témoin.

Juge assesseure 1 : on a évoqué l’organisation administrative, au début de votre audition vous avez évoqué les objectifs de votre gouvernement sur des bases, « entrer dans un État de droit ». Cela laisse penser qu’il n’y avait pas d’État de droit. Considérez-vous lorsque vous avez exercé vos fonctions, peut-on considérer que la RWANDA était un État de droit qui fonctionnait normalement ou une façade ?

DN : cette question en comprend beaucoup d’autres. Au niveau de son gouvernement, des administrations de l’État, on a d’abord procédé à la réforme de l’armée et à la mise en retraite d’un certain nombre d’officiers qui avaient dépassé l’âge et aussi qui semblaient avoir des comportements pas toujours en adéquation avec le pouvoir démocratique et l’État de droit. Avec la mise en place de commissions, il y a eu des mises en congé des bourgmestres.

QUESTIONS PC :

Me GRAVELIN-RODRIGUEZ : sur l’organisation administrative, vous estimez que le préfet ne pouvait pas donner d’instructions précises, or, on peut supposer qu’entre avril et juin 1994, ce n’est pas si clair que ça car le préfet avait un pouvoir direct sur les forces de gendarmerie et les forces armées, n’est-ce pas ? Pas de pouvoir de donner des ordres à ses effectifs ?

DN : non, le préfet n’en avait pas les pouvoirs.

Me GISAGARA : à votre connaissance, est-ce que des préfets qui n’étaient pas du tout extrémistes et le sont devenus avec le génocide ?

DN : non, il était à l’abri

Me GISAGARA : vous étiez menacé et donc vous avez dû fuir ?

DN : très juste

Me GISAGARA : que fuyez-vous ?

DN : mes collègues ministres

Me GISAGARA : le pouvoir vous menaçait ?

DN : à partir d’avril, les membres de l’opposition démocratique

Me GISAGARA : vous avez la tentative de prise de pouvoir, est-ce que vous pensez qu’une personne qui n’avait pas fait allégeance à ce régime aurait pu rester au pouvoir ?

DN : tout est possible. Je ne vois pas en quoi de telles dispositions peuvent faire avancer la Cour, avec des suppositions pareilles, on peut avoir toutes les conclusions possibles.

Me GISAGARA : vous n’avez pas utilisé le mot génocide, reconnaissez-vous un génocide contre les Tutsi ?

DN : Sur ma convocation, le mot « génocide » n’est pas mentionné. J’ai utilisé le mot « génocide » quand les Nations Unies l’ont reconnu.

Me GISAGARA : Reconnaissez-vous le génocide ?

DN : il n’a pas lieu de qualifier ce qui s’est passé, les Nations Unies ont reconnu le génocide, je n’ai pas à répondre.

Me TAPI : on a parlé de la liste des préfets, avez-vous entendu parler des idées qui ont circulé ? Au niveau du gouvernement vous n’avez donné aucune consigne, exact ?

DN : on n’a pas discuté de ces listes.

Me TAPI : vous avez entendu des idées qui ont circulé, mais le gouvernement n’a pas été inquiété outre mesures ?

DN : la période de mon gouvernement n’est pas dans ce dossier.

Me KARONGOZI : Comment s’appelait votre parti avant?

DN: « MDR Parmehutu ». Le développement des masses hutu n’était plus d’actualité. La démocratie n’est pas que pour les Hutu.

Me KARONGOZI : Le président KAYIBANDA, à l’occasion des attaques de quelques Inyenzi, a déclaré qu’on risquait de ne plus retrouver de Tutsi au Rwanda s’ils continuaient.

DN : Avec le MDR, on a progressé dans la démocratie mais il reste à faire

QUESTIONS du ministère public :

MP – CV : vous avez dit : « Je témoigne de ce que j’ai vu et vécu ». Entre avril et juin vous étiez caché, avez-vous constaté quelque chose du comportement du préfet de GIKONGORO, Laurent BUCYIBARUTA ?

DN : pas de contact, donc rien de constaté

MP : vous aviez dit que vous trouviez que Laurent BUCYIBARUTA de mon mandat était intégré ?

DN : un bon fonctionnaire.

MP : contact occasionnel ?

DN : en France, Laurent BUCYIBARUTA m’a contacté, il n’y a jamais eu conflit entre nous.

MP : une question de l’auto-défense civile. Il y a une idée répandue par l’armée, on vous a senti sensible sur les questions des ministres : vous évoquez les Interahamwe [7], on voit bien que l’auto-défense civile est mise en œuvre ?

DN : ce ne sont pas encore des milices, elles n’existent pas, c’est une dérive.

MP : sur le gouvernement intérimaire, est-ce que vous connaissiez celui qui a été désigné Président de la République ?

DN : je le connais, mais pas de relation particulière.

MP : de nombreuses personnes du gouvernement de l’époque ont été condamnées à perpétuité, selon-vous le gouvernement a mis en œuvre une politique génocidaire ?

DN : ce n’est pas vrai. Il s’est passé un génocide, mais le gouvernement n’a pas voulu ou pas pu combattre suffisamment le génocide. « Pas pu ou pas su ».

MP : dans la hiérarchie administrative, le préfet est sous la tutelle du Ministère de l’intérieur, qui est sous la tutelle du Premier ministre ?

DN : non, le Premier ministre n’est que le chef du gouvernement.

MP : le supérieur du préfet c’est le Ministre de l’intérieur, qui a été condamné pour génocide. Les directions les plus importantes sont prises par les plus grandes instances : qui peuvent-être ces personnes ?

DN : pas de commentaire sur ce dossier.

MP – SH : vous venez de nous expliquer que vous étiez à l’abri, question relative au déplacement du territoire de GIKONGORO et BUTARE, quel était le rôle des visites officiels ?

DN : pour la campagne de pacification.

MP : le préfet c’est de l’administratif : signification ?

DN : c’est un fonctionnaire donc effectue les décisions des politiques.

MP : comment pouvez-vous expliquer les félicitations du préfet Laurent BUCYIBARUTA le 17 avril ?

DN : il n’y a pas de raison de les féliciter, un préfet ne fait que son travail.

MP : n’est-ce pas étrange des félicitions après le plus grand massacre, celui de KIBEHO ? Ces félicitations sont adressées par le Premier ministre Jean KAMBANDA qui a reconnu en sa qualité avoir incité, aidé et encouragé à commettre des massacres de Tutsi et Hutu modérés. Ils se sont rendus dans la préfecture de GIKONGORO pour encourager les massacres. Comment interprétez-vous ces félicitations, sachant que nous sommes 8 jours après les grands massacres ?

DN : je ne vais pas interpréter.

MP : selon vous, un préfet qui ne se conforme pas à un gouvernement pouvait être félicité ?

DN : je ne comprends pas la notion de félicitations.

QUESTIONS DÉFENSE :

Me BIJU-DUVAL : je suis réaliste, je ne vous poserai pas de question sur la période du 7 avril au 7 juillet car vous étiez caché. Mais, il y a eu des massacres y compris à GIKONGORO, vous connaissiez Laurent BUCYIBARUTA depuis le collège, vous l’avez eu comme préfet de votre gouvernement, est-ce que dans votre esprit il est vraisemblable et possible qu’il ait pu délibérément contribuer à des massacres génocidaires, d’avril à juillet ?

DN : ce que je connais de son tempérament, ce n’est pas un tueur et pas un criminel, il est du côté des sauveurs et pas des tueurs. Il a des amis qui l’ont côtoyé pendant la période, il faisait tout pour aider les gens.

Me BIJU-DUVAL : année 1992, vous êtes nommés Premier ministre le 3 juillet 1992. Vous adressez à HABYARIMANA le 17 novembre 1992 un courrier qui démontre que vous êtes dans un conflit ouvert avec la mouvance présidentielle. Vous avez des inquiétudes à son intention?

DN : dans le respect de mon mandat, j’ai essayé de concilier et de faire respecter la mise en œuvre.

Me BIJU-DUVAL : lorsque vous fuyez le RWANDA en 1993, vous avez indiqué qu’on veut intenter à votre vie ? Qui veut cela ?

DN : il y avait beaucoup de groupes, des gens pas contents de mon travail au sein du gouvernement de transition, on me reprochait d’avoir mal négocié. Soupçonner ça ne sert à rien donc je ne sais pas.

Me BIJU-DUVAL : avril 1992, la direction de votre gouvernement vont nommer des préfets, pouvez-vous nous indiquer si la nomination des préfets devait avoir un consensus ?

DN : la commission d’évaluation était composée de membres des différents partis politiques du moment.

Me BIJU-DUVAL : phase de nomination des préfets, a un moment est-ce qu’il y a eu durant cette phase une opposition manifeste à l’encontre de Laurent BUCYIBARUTA ?

DN : non car il a déjà été préfet.

Me BIJU-DUVAL : ce que vous avez voulu dire c’est que dans votre esprit, le fait de rester préfet jusqu’en 1994 doit être considéré comme une manière d’être utile à la population menacée.

DN. Non

Audition de monsieur François-Xavier NSANZUWERA, procureur de la République à Kigali en 1994.

Le témoin, à la demande du président, fait une déposition spontanée qu’on peut résumer ainsi:  » Je connais l’affaire BUCYIBARUTA pour avoir travaillé au TPIR [8], mais je témoigne à titre personnel. En avril 1994, il y avait des hommes aux commandes, les préfets et les bourgmestres, intermédiaires avec la pouvoir central et la population. On ne peut pas évoquer le génocide en parlant de mouvement spontané. Les paysans qui ont participé massivement n’étaient pas des sauvages qui auraient réagi brutalement à la mort de leur président. Tous les responsables politiques et administratifs savaient ce qui allait se passer. Les exécutants ont été manipulés depuis bien longtemps. »

Monsieur le président interroge le témoin sur les fonctions qu’il occupait en 1994 et sur la façon dont il a vécu le génocide. Accusé d’avoir changé d’ethnie, il est en danger. Il pourra se réfugier à l’Hôtel des Mille collines dès le 10 avril 1994. Il confirme que des magistrats ont participé au génocide, que d’autres en ont été victimes. Lui-même avait été convoqué par le président HABYARIMANA pour avoir fait arrêter deux journalistes, dont Hassan NGEZE. Tous deux seront remis en liberté le lendemain suite aux pressions de l’ambassadeur des USA.

Un texte de 1974 définit les pouvoirs du préfet:

1) il est le dépositaire de l’autorité de l’État.

2) il dépend du ministre de l’Intérieur.

3) il est chef des chefs de service de l’État dans sa préfecture

4) il est l’homme le plus puissant de la préfecture.

5) il est la seule personne à pouvoir réquisitionner les gendarmes.

6) il a autorité sur les bourgmestres nommés par le président de la République.

Pour le témoin, la campagne de pacification a eu pour but d’attiser les massacres. Si le premier ministre avait appelé à l’arrêt des tueries, ces dernières auraient cessé.

Lors de la visite du président SINDIKUBWABO [9] à Gikongoro, Laurent BUCYIBARUTA aurait justifié les massacres par le fait que les gens étaient en colère après la mort de HABYARIMANA, qu’ils avaient peur de l’arrivée du FPR et que régnait une situation de famine. Façon de nier le génocide.

Sur question du président, le témoin précise que chaque préfecture possédait sa prison, le directeur dépendant du ministère de la justice. Il ne fait pas de doute que le préfet était au courant de tout ce qui se passait dans sa préfecture. Le préfet pouvait demander au directeur de la prison de mettre les détenus à sa disposition, pour enterrer les victimes par exemple. Même si la police municipale dépendait des bourgmestres, le préfet avait aussi le pouvoir de réquisitionner ses membres. Si le préfet ne peut pas démettre un bourgmestre, il peut toutefois demander sa révocation.

Un préfet pouvait-il s’opposer aux décisions venues d’en haut? Une autorité pouvait refuser d’obéir, en prenant des risques, bien sûr. Ce fut le cas des deux préfets assassinés: G. RUZINDANA à Kibungo et J.B. HABYARIMANA à Butare. Mais une autorité pouvait aussi sauver des gens.  «Un préfet aurait pu protéger les gens. Les gens de pouvoir ne mettaient pas forcément leur vie en jeu en en sauvant d’autres. »

La crédibilité qu’on peut faire aux témoins?  « Que des témoins mentent, ça existe partout. Ce n’est pas propre aux Rwandais. Des questions culturelles pourraient laisser entendre que des témoins ne disent pas la vérité (ne pas regarder son interlocuteur dans les yeux par exemple). Mais tous les témoins ne sont pas des menteurs. Une Rwandaise qu’on a violée dira: « On m’a épousée».

Protéger serait un acte d’héroïsme? Questionne une assesseur. « Un acte de courage et d’humanité, oui. Il y avait des choix à faire. Des responsables administratifs ont laissé faire, ils auraient pu s’opposer aux massacres. »

Les parties sont invitées à poser à leur tour des questions au témoin.

QUESTIONS des Parties civiles :

Me PARUELLE : vous avez un rôle particulier en raison de votre travail de magistrat. Je voudrais que vous m’indiquiez à titre personnel ce que vous pensez des paroles du Pr. GUICHAOUA qui nous a expliqué que « c’est la conjonction entre les extrémistes Hutu et la reprise des hostilités du FPR … » qui a déclenché le génocide, en considérant que le génocide a été spontané. Le génocide a été préparé ou non selon vous ?

FXN : j’ai dit au début à la Cour que j’ai beaucoup de respect pour le Pr. GUICHAOUA mais s’il a vraiment dit ça, je ne partage pas ça. Quand le 7 avril les massacres commencent, je vois depuis ma résidence officielle les Interahamwe déterrer des fusils dans des plastiques qui se trouvaient dans un marais. Le 7 avril je vois des gendarmes et Interahamwe rentraient dans des maisons dans la colline en face de moi. Là n’habitaient pas des politiciens mais des fonctionnaires ordinaires. Sur ma colline GITARAMA, KIGARO, les massacres commencent le 9. Dès le début, je sais qu’à KIGALI on se focalise plus sur les personnalités politiques importantes. De partout dans le pays, des massacres commencent le 7 avril. C’est pour ça que ceux qui disent que le génocide des Tutsi était spontané, c’est trop simple. Ce qui a été fait était un acte sauvage. Un génocide c’est toujours un appareil étatique qui participe à l’exécution. Le 7 avril, des éléments de la gendarmerie, de l’armée, des Interahamwe et des paysans extrémistes participent aux massacres, ce n’est pas spontané. Je dis toujours que l’attentat contre HABYARIMANA est un élément déclencheur, pas la cause.

Me PARUELLE : vous êtes procureur à KIGALI, vous entendez parler de personnes qui devraient disparaître ? Il existait à KIGALI des listes de personnes qui devaient disparaitre ?

FXN : il y a une liste qui n’a pas circulé dans plusieurs endroits, c’est une liste retrouvée dans la voiture du chef de l’EMA qui a eu un accident et le chef de gendarmerie a trouvé cette liste. On dit toujours qu’elle est incomplète, que les premiers noms manquaient. Que les gendarmeries faisaient des listes, c’était de notoriété publique. Les listes se faisaient dans les quartiers, on le savait. Les militaires se vantaient un jour de donner une leçon aux Tutsi. Ils avaient des listes, ils savaient dans quelle maison aller.

Me PARUELLE : que pensez-vous, à titre personnel, des gacaca ?

Président : Maître, nous pourrions passer des jours sur cette question.

FXN : au début on parlait d’amnistie. Les Gacaca sont un juste équilibre que le RWANDA a trouvé pour compenser le génocide. Elles n’ont pas été 100% parfaites mais je pense que c’était le bon choix. Comme il est dit « Ton voisin sera ton juge, ton voisin sera ton procureur, ton voisin sera ton avocat ».

Me GISAGARA : est-ce que dans vos travaux, vous avez rencontré des cas de personnes qui, avant le génocide, n’avaient jamais fait parler d’eux, notamment pour de l’extrémisme, mais au moment du génocide se sont rangés du côté des génocidaires ?

FXN : c’est évident.

Me FOREMAN : j’ai une question sur les milices. Existe-t-il une étanchéité entre l’organisation de ces milices et la machine étatique ou alors il y a-t-il une porosité ? Je pense notamment aussi au concept de défense civile.

FXN : à ma connaissance, la seule milice en 1994 sont les Interahamwe du MRND et celle de la CDR. Ces 2 milites étaient affiliées à un parti politique. Elles avaient une organisation distincte mais un bourgmestre MRND dans une commune avec une milice Interahamwe, il était automatiquement chef de cette milice même s’il bénéficiait d’autres personnes sous ses ordres. Au moins de mai, il n’y a plus de distinction entre les milices Interahamwe, du CDR. La défense civile c’est quoi ? Une politique d’amener les simples citoyens, les réservistes, mobiliser ce monde-là pour leur participation au génocide. C’est une façon de faire participer le + grand nombre de citoyens au programme du génocide.

Me KARONGOSI : vous avez parlé de l’organisation du génocide et de la hiérarchie dans laquelle faisait partie le préfet en tant que représentant du Président à l’échelle de la préfecture. Peut-on imaginer que la distribution des armes au sein des communes via les policiers communaux, on peut imaginer que la distribution des armes pouvait se faire sans l’aval du préfet ?

FXN : la distribution des armes avait commencé avant le début du génocide. La distribution des armes ne pouvait pas se faire sans l’aval du préfet, c’est impossible.

QUESTIONS du ministère public :

Ministère Public (rappelle les articles 37 à 40 du décret-loi sur les pouvoirs du Préfet : quand on parle des autorités administratives dans ce décret-loi, on parle bien des préfets ?

FXN : oui tout à fait.

MP : est-ce qu’on peut considérer qu’il est possible pour un préfet de dire qu’une fois qu’il a fait la réquisition des gendarmes, cela ne le regarde plus sur l’exécution de la mission.

FXN : non car comme le dit le décret-loi, il y a un contact étroit et permanent entre le préfet qui réquisitionne et les gendarmes qui exécutent la mission. Car c’est le préfet qui explique la mission pour laquelle il a réquisitionné les gendarmes. Cette situation que vous invoquez est impossible. Le préfet devait suivre les gendarmes dans cette mission.

MP : je voudrais que vous confirmiez que le texte dont vous parliez tout à l’heure avec les 3 raisons expliquant la raison des massacres dans la préfecture de GIKONGORO sont bien ceux-là – D9428. Le 28 avril, Laurent BUCYIBARUTA explique la même chose – D8278. ON remarque l’absence totale de mention aux massacres de Tutsi : on parle de troubles ou troubles ethniques. Mme Dumas parlait d’euphémisme dans l’utilisation de ces termes.

FXN : je pense que je l’expliquais à la Cour tout à l’heure. SINDIKUBWABO, lors de sa visite, demande aux Tutsi réfugiés de rentrer chez eux en sachant pertinemment que leurs maisons ont été détruites. Et le préfet de réagit pas. Ces personnes-là n’ont pas ce langages-là, c’est toujours un langage fin, raffiné.

MP : donc vous dites que M. Laurent BUCYIBARUTA utilisait le langage du gouvernement ?

FXN : il a une longue carrière, c’est quelqu’un de très respectable, il ne peut pas se permettre d’envoyer un message comme ça. Il savait ce qu’il disait.

MP – SH : une question sur le conseil préfectoral de sécurité, dirigé par le préfet. Vous avez indiqué D10794/21 « avec la guerre, cet organe remplaçait presque les pouvoirs judiciaires… ». Concrètement, au cours de ces conseils préfectoraux, le préfet pouvait donner des instructions en raison des informations que les autres chefs de services lui transmettaient ?

FXN : c’est quelqu’un qui décidait des personnes à arrêter.

MP : je voudrais vous lire un extrait d’Aucun témoin ne doit survivre – D 1724 « Pendant ce temps, le préfet (Fidèle UWIZEYE)… ». L’exemple du préfet Fidèle UWIZEYE montre que le préfet disposait du choix ou non de réunir ce conseil pour tenter de faire arrêter les massacres ?

FXN : oui vous avez tout à fait raison

MP : vous considérez que le choix du préfet Fidèle de fuir, montre la possibilité de fuir. Notamment pour Laurent BUCYIBARUTA, préfet de GIKONGORO, qui se situe près de la frontière ?

FXN : Oui, il y a toujours un choix.

QUESTIONS de la défense :

Me BIJU-DUVAL : vous pourriez indiquer sur la période du 7 avril au 17 juillet 1994. On a compris que vous vous réfugiez grâce au Pr. GUICHAOUA mais après je n’ai pas bien compris.

FXN : le 10 mai je rejoins les Mille Collines et le 3 mai, il y a une tentative d’évacuation par des pays comme la France et la Belgique. Mais elle n’a pas eu lieu à cause des Interahamwe. J’attends le 28 mai quand il y a eu des négociations pour que les personnes réfugiées dans les zones-refuges de KIGALI pouvaient aller dans les zones où elles voulaient. Je reste là jusqu’à la prise de KIGALI pour le FPR.

Me BIJU-DUVAL : du 10 avril au 28 mai, vous êtes à l’hôtel des Mille Collines et à partir du 28 mai, vous êtes dans la zone libérée par le FPR à KABUGA, dans KIGALI-RURAL.

FXN : oui

Me BIJU-DUVAL : je souligne cela pour qu’on différencie bien ce dont vous avez été témoin et ce dont vous parlez en tant que témoin. Vous avez beaucoup parlé de l’administration au RWANDA. Vous avez bien compris qu’on a beaucoup parlé de ce que M. Laurent BUCYIBARUTA a pu faire, n’a pas pu faire, aurait pu faire en cette période de trouble, du génocide. Le préfet n’est pas le seul à pouvoir requérir le concours des gendarmes. Je fais référence à D10690 – instruction ministérielle de 1998, Chap. 20, article 15. Ce texte-là était en vigueur en avril 1994. En ce qui concerne le pouvoir de réquisition, il n’y a aucun doute sur le fait que le préfet dispose de ce pouvoir, c’est prévu par l’article 11 du décret-l