Procès pour génocide de Bucyibaruta à Paris: rapport des faits reprochés à l’accusé. 10 mai 2022

By Alain GAUTHIER

•           Audition de madame Agnès AUPETIT, enquêtrice de personnalité.

•           Nouvelles pièces versées au débat.

•           Nouvelles séries de questions à l’accusé.

•           Audition de monsieur Jean-Luc PLOYE, expert médico-psychologique.

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A l’ouverture de l’audience, il est porté à notre connaissance qu’un juré remplaçant a fait savoir qu’il ne pouvait continuer à siéger. Le remplacement est effectué: le juré 2 devient juré 1.

La veille, il avait demandé à la défense d’étudier la recevabilité des parties civiles. Maître LEVY déclare que la défense ne s’opposera pas à la constitution des parties civiles. Toutefois, trois d’entre elles posent problème. La Cour sursoit à statuer pour ces trois parties civiles.

On assiste ensuite à l’appel des témoins. Monsieur l’huissier égraine le nom de tous les témoins qui seront appelés à la barre, soit en présentiel, soit par visioconférence.

Le reste de la matinée et une bonne partie de l’après-midi sera consacrée à la lecture, par le président et ses assesseurs, du rapport des faits reprochés à l’accusé. « Une lecture fastidieuse mais nécessaire » reconnaît monsieur le président LAVERGNE.

Audition de madame Agnès AUPETIT, enquêtrice de personnalité.

La rencontre avec l’accusé date de 2005! Le témoin rappelle les différentes étapes de la «carrière» de monsieur Laurent BUCYIBARUTA, «un homme réservé, peu habitué à parler de lui.» Réfugié au Zaïre en 1994, il y restera deux années avant de rejoindre la République Centrafricaine, puis la France en 1997. A l’évocation de la mort de deux de ses enfants dans les camps du Congo, il n’exprimera «aucune colère, ni tristesse ni chagrin.» Sa femme le rejoindra en 1998, suivie de deux de ses enfants réfugiés en Zambie. L’accusé se verra refuser le statut de réfugié. Quant à sa carrière professionnelle, il l’aurait « subie» .

Quelques questions seront posées par le ministère public, sans que cela permette d’en savoir beaucoup plus sur l’accusé.

Nouvelles pièces versées au débat.

Avant la pause, monsieur le président de la cour d’assises énumèrera les nouvelles pièces versées au dossier. Certaines à la demande du président, d’autres à la demande du ministère public, d’autres enfin d’autres par la défense. Des centaines de pages que les avocats auront du mal à « avaler » en peu de temps!

Nouvelles séries de questions à l’accusé.

A la reprise, monsieur le président va chercher à en savoir plus sur les premières années de l’accusé, sa formation dans les écoles catholiques dont le Collège du Christ-Roi à Nyanza, ses différentes rencontres avec des personnalités qui pourraient avoir marqué monsieur BUCYIBARUTA: Alexis KANYARENGWE, ce politicien qui aurait mangé à tous les râteliers (NDR. Cette expression est du rédacteur de ces notes), Léonidas RUSATIRA, qui aurait parlé de l’accusé, Edouard KAREMERA, Hormisdas NSENGIMANA, directeur du Christ-Roi, jugé à Arusha mais acquitté. Autant de personnalités qui auraient pu favoriser les promotions permanentes dont l’accusé a pu bénéficier. En réalité, l’accusé n’a jamais su dire nom (le pouvait-il d’ailleurs?). Quant à Aloys SIMBA, Laurent BUCYIBARUTA l’a côtoyé à Gikongoro en 1994 mais il en parlera peu.

D’évoquer ensuite les différentes étapes de la carrière de l’accusé: un an au Nigéria, un emploi au Parc de l’Akagera, une nomination comme bourgmestre, deux postes de sous-préfet à Gisenyi et Butare, enfin deux postes de préfet, à Kibungo et à Gikongoro. Une carrière exemplaire.

Audition de monsieur Jean-Luc PLOYE, expert médico-psychologique.

C’est en 2000 qu’a eu lieu l’expertise, au sein de la prison de la Santé. Monsieur l’expert reconnaît que l’accusé est «intelligent, structuré, qu’il comprend vite et qu’il a un sens éthique développé.» In ne décèle chez monsieur BUCYIBARUTA  «aucun trouble de la personnalité ni aucune pathologie particulière.» Ce qui étonne l’expert, c’est que l’accusé n’éprouve  « aucune vibration émotionnelle à l’évocation de la lourdeur des accusations.» C’est un constat, pas un jugement. L’accusé serait « un homme tout à fait normal, toujours maître de lui, ancré dans la réalité. »

Quant aux accusations portées contre lui, « elles sont inventées de toutes pièces. » Comment pourrait-il en être autrement: sa femme est Tutsi!

Revenant sur sa carrière professionnelle, monsieur PLOYE reconnaît qu’elle a suivi «une trajectoire parfaite ». L’accusé va se victimiser en affirmant qu’il est «injustement incarcéré» : «Je suis innocent, ça porte atteinte à ma dignité.»

Monsieur le Président LAVERGNE reprendra une série de questions assez personnelles auxquelles l’accusé se soumettra de bonne grâce. En fait, l’accusé «est un personnage affable, courtois, pas cassant, à la sensibilité judéo-chrétienne.»  Il rejette toutefois que l’on parle de «clientélisme» à son sujet. Il sait distinguer le bien du mal, quand il fait quelque chose, «il le fait en conscience.» Monsieur le président éprouve même une certaine admiration pour un homme qui, pendant plus de 20 ans, s’est soumis avec une grande régularité au contrôle judiciaire auquel il était soumis! Ce serait tellement rare!

Ce dont maître BIJU-DUVAL, avocat de la défense, souligne à son tour en parlant d’un «respect judiciaire magnifique». Et d’ajouter, concernant son manque d’émotivité, un proverbe rwandais qui s’applique bien à son client: «Le noble marche majestueusement, même quand il souffre.» Proverbe qui vient en écho à celui que l’accusé avait cité: « Quand un homme pleure, ses larmes coulent à l’intérieur. »

L’audition se terminera par l’évocation d’un «cousin» de l’accusé qui aurait exercé des fonctions importantes dans l’armée, Laurent BUCYIBARUTA ayant affirmé qu’il avait été le seul de sa famille à sortir du rang. L’accusé voulait parler de sa famille proche. On en restera là pour aujourd’hui, monsieur le président se réservant le droit de revenir, à l’occasion, sur la personnalité de l’accusé.

Il est 18h30. Rendez-vous est donné au lendemain 9h30. (A suivre…)

*Alain GAUTHIER, président du CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda). Depuis sa création, le CPCR n’a cessé de préparer des plaintes à l’encontre des présumés auteurs du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 qui ont trouvé refuge en France.