Procès pour génocide de Laurent Bucyibaruta à Paris. 24 juin 2022. J31

·         Audition de monsieur Anastase TWAGIRASHEMA, cité par le ministère public,

en visioconférence du Rwanda.

·         Audition de monsieur Marcel BANGAGATARE, cité par la défense, en visioconférence de Belgique.

·         Suite de l’interrogatoire de personnalité (CV) de l’accusé.

·         Audition de monsieur Pierre-Damien NZABAKIRA, cité par la défense.

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Audition de monsieur Anastase TWAGIRASHEMA, cité par le ministère public, en visioconférence du Rwanda.

« Le 10 avril 1994, j’ai quitté mon domicile pour aller prier à mon église habituelle ADEPER. Lors du culte, le pasteur nous a dit que nous devions rentrer chez nous car la situation n’était pas bonne: « Rentrez chez vous et continuez à prier. »

En sortant, François GASANA, un ami, m’a demandé ma carte d’identité. Constatant que j’avais une carte d’identité avec la mention « Tutsi », il s’est fâché et a tenu à mon égard des propos violents. Il m’a demandé pourquoi je possédais une telle carte d’identité et pourquoi je ne lui avais pas demandé qu’on la change. Il m’a traité d’idiot. On est alors parti sur sa moto jusqu’au Bureau communal de NYAMAGABE pour négocier une nouvelle carte d’identité auprès du bourgmestre SEMAKWAVU.

Selon mon apparence physique, je pouvais être Hutu. Arrivés au Bureau communal, mon ami s’est entretenu avec le bourgmestre. Après la rencontre, il m’a dit qu’il fallait attendre la venue du préfet qui devait présider une réunion.

Le préfet est arrivé avec le colonel SIMBA, le capitaine SEBUHURA. Les conseillers de secteur ainsi que les responsables politiques étaient présents. Je précise que François GASANA était membre du MDR Pawa.

Laurent BUCYIBARUTA a ouvert la rencontre: « Vous tous, conseillers communaux de NYAMAGABE, vous devez rassembler les gens qui fuient dans les lieux de culte en un même endroit. Afin d’y assurer leur sécurité. Vous aussi, responsables des partis politiques, collaborez avec les autorités administratives. »

Le préfet nous a alors fait sortir de la salle pour qu’il puisse s’adresser uniquement aux différents responsables. GASANA, quant à lui, est resté à l’intérieur. A la fin de la réunion, GASANA est arrivé et il m’a dit que l’autre (Laurent BUCYIBARUTA? demande le président, le témoin confirme), avait refusé de me délivrer une nouvelle carte d’identité.

Nous sommes repartis en moto, mon ami se demandant ce qu’il pouvait faire pour me cacher vu que le sort des Tutsi était réglé. Arrivés chez moi, il a appelé un voisin, Joseph SEBERA, mon cousin et son second au MDR Pawa. « Je te confie Anastase et sa famille » a-t-il ajouté et ils sont partis. La décision du préfet était prise: tous les Tutsi devaient être rassemblés à MURAMBI. 

Comme GASANA savait que tous ceux qui allaient se rendre à MURAMBI y perdraient la vie, nous avons décidé, mon épouse hutu et mes huit enfants, de ne pas nous déplacer. Ce jour-là, dimanche 10 avril, les pillages avaient commencé et c’est le lendemain, le 11, que les massacres ont commencé: nous nous sommes séparés pour nous rendre dans différents endroits.

François a caché mon fils aîné chez Second, d’autres de mes enfants dans différentes familles, certains chez leur grand-père maternel, d’autres chez un oncle paternel ou encore chez des beaux-frères. Personne de ma famille restreinte n’est mort. Par contre, en ce qui concerne les autres, dont mes oncles paternels qui sont allés à MURAMBI, ils y ont tous été tués.

Au cours de cette semaine du 10 avril, les gens qui s’étaient réfugiés dans divers lieux de cultes (évêché protestant de KIGEME, ADEPER de Sumba… ont tous été rassemblés à MURAMBI et y ont perdu la vie. 

Je ne peux raconter ce qui s’est passé ensuite car je me cachais. »

Le témoin va ensuite répondre aux questions de monsieur le président LAVERGNE.

« En 1994, j’étais agriculteur mais je possédais aussi une petite boutique. J’étais membre de l’église pentecôtiste et fréquentais l’église de NZEGA, plus proche que celle de SUMBA. François GASANA, un très ami à moi, que l’on surnommait BIHEHE, la hyène, était aussi un paroissien de NZEGA et, comme je l’ai dit, était membre du MDR Pawa. Après son adhésion à ce parti, l’église l’a écarté des sacrements: ce qu’il faisait n’était pas de nature à plaire à Dieu. Notre pasteur s’appelait HABIMANA Emmanuel: il est mort ensuite en prison. Un autre pasteur officiait, Faustin MUNYARUBUGA, qui sera tué. »

Le président: C’est la première fois que vous parliez de carte d’identité avec GASANA,

Le témoin: Oui. D’ailleurs, il me croyait Hutu. Ma mère était Hutu, toutes mes sœurs avaient été mariées à des Hutu.

Le président: Il y avait des barrières?

Le témoin: Elles ont été dressées le lendemain, le 11 avril. Avoir une carte d’identité avec la mention Hutu m’aurait permis de me déplacer sans problèmes de mon lieu d’habitation à mon lieu de naissance, MUDASOMWA. Ce qui a fâché GASANA, c’est que je ne lui avais jamais dit que j’avais une carte Tutsi. Quant au bourgmestre Félicien SEMAKWAVU, je le connaissais très bien.

Le président: Il était fréquent que l’on change de carte d’identité?

Le témoin: Oui, mais moi je n’avais jamais eu l’idée de le faire. Je ne pensais pas que les événements qui s’étaient produits en 1963 pouvaient se reproduire. Hutu et Tutsi s’entendaient bien, j’avais une femme Hutu.

Monsieur le président cherche à savoir quelles étaient les distances entre les différents lieux évoqués. Le témoin donne des indications approximatives: le Bureau communal de NYAMAGABE se trouvait à environ dix kilomètres de notre église, le Bureau communal était à environ 700 mètres de la préfecture… Il connaissait bien la salle du CIPEP qui se trouvait à plus ou moins 200 mètres de la résidence du préfet.

Le préfet, le témoin le rencontrait à l’UMUGANDA, lors des travaux communautaires. Il connaissait son épouse mais il ne s’était jamais rendu à leur domicile. Il en déduisait qu’elle était Tutsi. Il connaissait bien aussi SIMBA qu’il avait rencontré lors de la campagne électorale pour la députation. Par contre, on ne voyait pas le commandant de gendarmerie, c’est son adjoint SEBUHURA qui était omniprésent.

A la réunion, la plupart des responsables politiques étaient présents. Le témoin se souvient de ceux du MDR, du PSD, de la CDR. Par contre, il n’a pas vu MUDENGE, le responsable du PL (NDR. Le PL rassemblait surtout des Tutsi) Sur les neuf conseillers, TWAGIRASHEMA en a vu sept, que des Hutu. Il y avait une trentaine de participants et il n’a pas entendu le préfet évoquer l’existence d’une « liste », celle de Hutu que les Tutsi auraient voulu éliminer.

Monsieur le président rappelle au témoin les propos qu’il avait tenu en présence des enquêteurs du TPIR, le 6 décembre 2001: « J’ai entendu BUCYIBARUTA dire à tous ceux qui étaient présents (…) « Les Tutsi complotent de tuer les Hutu. Nous autres Hutu devons donc être les premiers à tuer. J’ai ici une liste de premiers Hutu qui devaient être tués. J’ai vu BUCYIBARUTA montrer du doigt un papier qu’il tenait en main. Je pense que ce papier n’était pas vraiment une liste de Hutu qui devaient être tués (…) Je pense que BUCYIBARUTA avait inventé l’existence de cette liste pour convaincre la population de se livrer au génocide. » (Fin de citation en D 7135).

Le président s’étonne: « En 2012, devant les enquêteurs français, vous ne parlez plus de cette liste! Aujourd’hui non plus. »

Embarrassé, le témoin répond que ce qui l’a poussé à le dire, c’est parce qu’il l’avait appris de GASANA. C’était comme s’il l’avait vue lui-même.

Le président: Vous, vous n’avez jamais entendu Laurent BUCYIBARUTA dire qu’il faut tuer les Tutsi?

Le témoin: Il y a des choses qu’il a dites, que j’ai entendues, et d’autres que je n’ai pas entendues parce que j’étais dehors. C’est GASANA, mon ami intime qui m’a dit des choses. Je pense que c’est vrai.

Le président: GASANA qui a été un sauveteur mais qui a tué beaucoup?

Le témoin: Il a caché beaucoup de monde. Mon fils me disait qu’à partir de 3 heures du matin il avait caché des gens dans des trous. Après, il prenait un sifflet et, avec une escorte militaire, il allait appeler les tueurs pour qu’ils partent au travail. Il a fui.

Le témoin souhaite ajouter: « Ces hommes-là, le préfet, SEBUHURA, s’ils avaient eu un cœur humain, s’ils n’avaient pas incité les Hutu à tuer les Tutsi, beaucoup de Tutsi ne seraient pas morts. Je considère qu’ils devraient être reconnus coupables des crimes qu’ils ont commis. »

La parole est donnée à monsieur BUCYIBARUTA: « Le 10 avril, je n’ai participé à aucune réunion. La réunion du Comité préfectoral de sécurité dans mon bureau mais pas au bureau communal. »

Le témoin réplique aussitôt: « Moi je l’ai vu. »

Assesseure: Dans le dossier (D 9152 et D 9181) on a des traces d’un communiqué transmis par la radio concernant une réunion qui se serait tenue le 10 avril. L’accusé ne peut confirmer les termes du communiqué puisqu’il n’en a lui-même adressé aucun à la RTLM.  Elle s’étonne aussi que la décision de déplacer les réfugiés à MURAMBI ne figure pas au communiqué. Le témoin ne répond pas.

Maitre ARZALIER demande au témoin s’il connaissait le pasteur MUNYARUBUGA, père de son client. Il le connaissait bien et était même son ami. Il parle des circonstances de sa mort: « Il était à l’église ADEPER avec sa famille et d’autres paroissiens. Des intellectuels et le pasteur adjoint Simon Pierre ont eu une grande part dans sa mort. Quant aux réfugiés, ils s’étaient rendus dans leurs églises respectives. Il y avait donc bien des réfugiés tutsi dans les églises de NYAMAGABE et SUMBA.

Maître Simon FOREMAN demande à monsieur BUCYIBARUTA à quelle heure et combien de temps pourrait avoir duré la réunion du 10 avril. L’accusé répond que cette réunion s’est déroulée dans l’après-midi mais il n’en connaît pas la durée.

Le ministère public revient sur le communiqué et s’étonne à son tour que ne figure pas la décision de transférer les réfugiés à MURAMBI. Le préfet répond que cette décision ne concernait qu’une partie de la préfecture.

L’avocate générale: Vous étiez au courant qu’on pouvait changer de carte d’identité? Vous avez été sollicité par le témoin?

Laurent BUCYIBARUTA: Je ne connais pas ce témoin. Le bourgmestre n’avait pas besoin de mon accord pour faire une carte d’identité.

L’avocate générale: Vous connaissiez cette pratique?

Laurent BUCYIBARUTA: Je savais que cela existait. Si c’était découvert, cela devait être tranché par la justice. Mais je n’ai jamais été consulté. Si cela s’était produit, j’aurais renvoyé au bourgmestre.

Le président: Vous savez qu’aux barrières la carte d’identité tutsi était un arrêt de mort?

L’accusé a du mal à donner une réponse claire. Il demandait qu’il n’y pas d’abus aux barrières!

Maître BIJU-DUVAL au témoin: Vous allez bien au Bureau communal car c’est là qu’on change les cartes d’identité?

Le témoin confirme. A la salle du CIPEP, on attendait le préfet.

L’avocat de la défense veut faire une observation et signaler que le témoignage du témoin dans le procès SIMBA a été considéré comme « non fiable » par les juges.

Maître FOREMAN réagit aussitôt et fait remarquer que le témoignage a été réfuté parce que SIMBA était absent. Et non pour le contenu du témoignage.

Audition de monsieur Marcel BANGAGATARE, cité par la défense, en visioconférence de Belgique.

Le témoin, avocat au barreau de BRUXELLES, connaît l’accusé depuis longtemps.: à GISENYI puis BUTARE, à KIGALI en 1981 alors que Laurent BUCYIBARUTA était député et lui-même fonctionnaire au Parlement. Il est lui-même originaire de la préfecture de GIKONGORO.

Membre du PSD, le témoin se réfugie, en avril 1994, à l’Hôtel des Mille Collines. On l’accusait d’être complice du FPR. Il arrive à GIKONGORO le 13 avril 1994 pour habiter d’abord dans sa commune de RUKUNDO, avant de venir tout près du chef-lieu de préfecture fin mai.

« Laurent BUCYIBARUTA connaissait une situation difficile. D’abord parce qu’il était du Sud alors que le pouvoir était aux mains des gens du Nord. De plus, il avait une femme tutsi, ce qui le fragilisait. Les détenteurs du pouvoir à GIKONGORO, ce sont le capitaine SEBUHURA et un sous-préfet. Les directeurs des projets agricoles sont eux aussi originaires du Nord. Du 31 mai au 4 juillet, je m’installe à GIKONGORO. Laurent BUCYIBARUTA, je le répète, était dépouillé de toute autorité. On l’accusait de cacher des Tutsi dont son chauffeur. Je voulais obtenir un laisser-passer pour me rendre à CYANGUGU. »

Le préfet va lui répondre qu’il doit s’adresser au sous-préfet, un homme du Nord. « Je n’aurais pas aimé être dans sa situation » ajoute le témoin.

« J’étais membre du PSD et tous les militants visibles de ce parti avaient été massacrés. On avait annoncé et déploré ma mort sur Radio MUHABURA, la radio du FPR. J’ai appris cela alors que je me trouvais encore à GITARAMA. »

Sur question de monsieur le président, le témoin dit que le bourgmestre de RUKUNDO où il arrive le 13 avril était Védaste HATEGEKIMANA, du PSD. Désiré NGEZAHAYO, lui aussi du PSD et mort depuis en prison, était à KADUHA. Quand il arrive dans sa commune vers 17 heures, il y avait déjà des morts. Le bourgmestre était désarmé vu la mort du président de son parti.

« Je regrette que HATEGEKIMANA soit en prison. Le bourgmestre tremblait devant les partisans du MDR. Chaque membre du PSD était accusé d’être complices du FPR. Si Désiré NGEZAHAYO a témoigné à charge contre Laurent BUCYIBARUTA, c’est qu’il a dû y être contraint. Je verrai le préfet à partir du 31 mai, lorsque je viens loger à GIKONGORO. Je voulais prendre du recul par rapport à l’avancée du FPR. Le préfet, que j’ai contacté, m’a dit de m’adresser au sous-préfet. »

Le président lui rappelle ses déclarations lorsqu’il a été entendu en 2014: « Je sais que se tenaient des réunions le soir chez le chef de l’entreprise Electrogaz, que des listes avaient été établies, qu’il existait un « Comité du Salut » et que des disparitions étaient signalées ensuite. »

Monsieur le président lui demande sur quels critères se fait le « triage » des gens, sous-entendant que c’était des Tutsi. « Il y avait des Hutu aussi » rétorque le témoin. J’ai en connaissance des massacres à MURAMBI, mais j’étais dans ma commune. Parmi les membres du « Comité du salut », je n’ai rencontré que le Procureur Celse SEMIGABO. Je ne pouvais pas même oser parler de ce Comité! »

Au président qui lui demande s’il a participé à une réunion avec SIMBA et Callixte KALIMANZIRA, le témoin se justifie en disant que le colonel SIMBA était chef de la Défense civile. L’objet de cette réunion était de savoir comment ils pouvaient contrer le FPR. Des jeunes sont aller le combattre à NYANZA: ils y sont morts. A cette réunion, quelqu’un a pris le préfet à partie pour lui reprocher de cacher des Inkotanyi. Ce devait être à la mi-juin: « Pour moi, Laurent BUCYIBARUTA ne s’inscrivait pas dans la logique génocidaire. J’ai vu quelqu’un de malheureux. Surtout qu’il était marié à une femme tutsi. »

Les massacres de CYANIKA? Le témoin ne se démonte pas. « C’est suite à la provocation d’un réfugié Tutsi, c’est mon sentiment, suite à ce que j’ai pu entendre dire. »

Ironique, le président ajoute qu’il faut parfois se méfier de ce qu’on a entendu dire. Ilo rappelle qu’il y a eu des événements identiques à MURAMBI, CYANIKA et KADUHA.

Le témoin veut ajouter que Laurent BUCYIBARUTA connaissait une situation inconfortable. Tous ses chefs de service venaient du Nord. Alité, BIZIMUNGU était absent. Laurent BUCYIBARUTA était désemparé. Il aurait pu démissionner, mais cela aurait signé son arrêt de mort. S’il avait eu plus de courage!

Un assesseur veut savoir s’il y a eu un génocide des Tutsi en 1994.

« Vous pouvez le qualifier comme vous voulez. Ils ont été tués en tant que Tutsi. Mais, au début, les premières victimes ont été les opposants, Hutu comme Tutsi. Le bruit courait que le FPR massacrait les Hutu. »

Maître FOREMAN: Vous connaissez le sort d’un des sous-préfets?

Le témoin: J’ai entendu dire qu’un sous-préfet avait été tué. Il était Tutsi.

Maître FOREMAN: RUSATI avait demandé la protection du préfet. Comment a t-il accueilli cette demande?

Le témoin: Je ne suis pas au courant.

Maître FOREMAN: Laurent BUCYIBARUTA avait convoqué un Comité préfectoral qui a blâmé ce sous-préfet?

Le témoin: Je vivais à KIGALI, je ne connaissais pas ce sous-préfet. Cela m’étonne qu’il ait réagit ainsi.

Sur questions de maître GISAGARA, le témoin redit qu’il quitte KIGALI le 12avril, qu’il passe la nuit à GITARAMA dans sa belle-famille. Sur la route, il a rencontré des barrières, surtout entre KIGALI et la NYABARONGO. Après, il n’y en avait plus jusqu’à GITARAMA. Ensuite, il n’en a rencontré qu’une à NYANZA tenue par des gendarmes. Pour arriver à la NYABARONGO, il lui avait fallu deux heures.

Maître GISAGARA: Vous dites que Laurent BUCYIBARUTA était dépouille de toute autorité, que le pouvoir était entre les mains des militaires du Nord. Et SINDIKUBWABO et KAMBANDA?

Le témoin: KAMBANDA s’est caché après l’attentat. On est venu le débusquer pour le nommer Premier Ministre. Ces gens du sud ont été bombardés Premier Ministre et Président, mais le pouvoir était au Nord. C’est vrai que Jean KAMBANDA a accepté de plaider coupable, mais dans quelles conditions. Il a été obligé! Vous me demandez si je connais le comportement du préfet pendant les grands massacres? J’ai de la peine à croire qu’il ait pu cautionner ces massacres. Je le répète. Je connais BUCYIBARUTA. Il a peut-être gardé la tête basse!

Maître GISAGARA: Vous avez été mis en cause par la justice rwandaise?

En 1996, je figurais sur une liste de personnes qui avaient commis le génocide. J’ai écrit au Procureur général RWAGASORE. Un avocat belge a écrit pour me défendre. Mon nom a disparu de la liste.

Le ministère public: Vous sollicitez une autorisation pour aller à CYANGUGU. Le 25 mai (D 8502) il est un document adressé à trois sous-préfets leur donnant délégation de pouvoir. Vous le rencontrez après le 31 mai. Il applique ce qu’il a dit dans son communiqué.

Le ministère public: en juin, une collecte est organisée sur la place du marché en présence de SIMBA et de KALIMANZIRA. Le témoin: le préfet a donné une somme ridicule, 30 000 francs rwandais.

Le témoin: Un individu a osé l’accuser d’être complice du FPR, à cause de la somme ridicule qu’il a versée. C’est inimaginable qu’on puisse prendre le préfet à partie. Comme vous le dites, le préfet circulait librement, sans escorte. Des menaces particulières? Il n’avait plus d’autorité.

Le ministère public fait remarquer qu’il aurait eu besoin d’escorte s’il avait été menacé.

Maître BIJU-DUVAL n’a pas de question à poser. « Mais que les choses soient bien claires. Je souhaite que ce communiqué soit lu entièrement. Ce que monsieur le président l’autorise à faire. (D 10810. Communiqué du 23 février 1994).

Suite à la lecture, monsieur BYCYIBARUTA souhaite apporter une précision. « L’avocat de la partie civile a dit que RUSATI n’avait pas été invité à la réunion. Mais un sous-préfet ne pouvait participer à une réunion que si un des sujets traités le concernait.

Maître FOREMAN: Le sous-préfet RUSATI n’était pas invité alors qu’un autre sous-préfet de préfecture était là. RUSATI n’était pas concerné alors qu’on allait parler de lui?

Suite de l’interrogatoire de personnalité (CV) de l’accusé.

Assesseure: votre arrivée en France, c’est un choix délibéré?

Monsieur BUCYIBARUTA: J’ai choisi de venir en France pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’était facile pour moi ce vivre dans un milieu français. J’avais connu des Français. Et puis, les avions qui quittaient BANGUI allaient à PARIS. Enfin, à BANGUI, le médecin centrafricain qui me soignait m’avait recommandé à un de ses collègues.

Le ministère public 1: d’après le portrait que fait de vous monsieur GUICHAOUA, vous n’étiez pas susceptible de gêner des poids lourds: « Il servait, ne se servait pas (…) grande discrétion. » Vous avez fait une belle carrière?

Monsieur BUCYIBARUTA: J’étais au service de mon pays. Une belle carrière? Oui, j’étais un haut fonctionnaire. Mes interlocuteurs étaient des autorités nationales mais aussi locales. Si j’ai démissionné de mon poste de député, c’est parce que le gouvernement avait besoin d’un préfet originaire de GIKONGORO.

Le ministère public 1: Vous auriez pu refuser?

Je ne sais pas si monsieur BUCYIBARUTA a répondu.

Le ministère public 1: en 1997, vous déposez une demande d’asile?

Monsieur BUCYIBARUTA: Mon dossier a été examiné par l’OFPRA. Mais comme mon nom figurait sur une liste établie par le gouvernement de KIGALI… Ma demande a bien été rejeté en 2001 puis en 2003. Aujourd’hui, j’ai une carte de séjour renouvelable. Je n’ai pas la nationalité française. Je suis Rwandais.

Le ministère public 1: Dans un carnet de note trouvé lors des perquisitions, à la date du 4 septembre 1999, vous évoquez le nom de François-Xavier VERSCHAVE, Rwanda, un génocide de la conscience, il est question du seul génocide rwandais. Vous en connaissez un autre?

Monsieur BUCYIBARUTA: Je suis jugé pour le génocide des Tutsi. Je n’ai jamais parlé d’un autre génocide.

Ministère public 2: Vous avez des amis au Rwanda?

Monsieur BUCYIBARUTA: Je ne peux pas les énumérer.

Le ministère public 2: Aloys SIMBA, c’est une connaissance? On trouve dans le dossier deux lettres que vous lui avez adressées en août et novembre 1997 (D 10507 et D 10508). « Cher Aloys… »

Monsieur BUCYIBARUTA: J’avais passé six mois dans la forêt du ZAÏRE, je donnais des nouvelles de mas connaissances. Je lançais des cris de détresse en Belgique et en France.

Le ministère public 2: Vos liens avec Pierre KAYONDO? (NDR. Pierre KAYONDO est visé par une plainte déposée l’an dernier par le CPCR) (D 10509)

Monsieur BUCYIBARUTA: Nous nous sommes croisés dans les forêts de Zaïre.

Le ministère public 2: A SIMBA, vous écrivez: « Dis-lui qu’il n’y a aucun arbre ici et j’en suis désolé. » Vous êtes en France?

Monsieur BUCYIBARUTA: C’était une allusion à  l’Arbre de BANGUI d’où on téléphonait.

Le ministère public 2: Madeleine RAFFIN, une amie, une connaissance?

Monsieur BUCYIBARUTA: C’était une amie. A BUTARE, nous habitions des maisons voisines. Nous nous sommes retrouvés à GIKONGORO, puis en France. Elle habitait TOULOUSE. A mon arrivée en Roissy, elle m’a donné quelqu’un pour m’accueillir, et ce à la demande de son frère qui est prêtre. (NDR. C’était aussi une amie de monsieur Dominique NTAWUKURIRYAYO, dont le TPIR avait demandé l’extradition, en même temps que l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA et Laurent BUCYIBARUTA. Il sera jugé et condamné à 20 ans de prison en appel. Le TPIR renoncera à demander l’extradition des deux premiers tout en demandant de les juger. L’abbé MUNYESHYAKA finira par bénéficier d’un non-lieu définitif en novembre 2019, au grand désespoir des rescapés de la Sainte-Famille à KIGALI.)

Le ministère public: Vous n’avez fait citer que Madeleine RAFFIN comme témoin de personnalité. Et votre épouse, votre fils?

Monsieur BUCYIBARUTA: J’ai fait citer aussi madame Josépha BRU.

Monsieur le président: Vous souhaitiez trouver un emploi?

Monsieur BUCYIBARUTA: C’était difficile de trouver un emploi à mon âge. J’ai d’abord vécu dans un CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile) en région parisienne. Puis l’association France, Terre d’Asile nous a trouvé un logement dans la région de TROYES.

En réponse à monsieur le président qui s’était étonné qu’il y ait peu de communication dans la famille, l’accusé le détrompe. « Il n’y avait pas de manque de communication dans la famille. C’est culturel. Il y avait des conversations réservées aux parents. Quand il y avait des visiteurs, les enfants devaient se retirer. On ne peut pas tout dire aux enfants, c’est en fonction de l’âge. Si un enfant fait une bêtise, on le prend à part. On ne le réprimande pas devant tout le monde. Par contre, la politique du pays, je n’en parlais jamais avec mes enfants. Je n’ai pas parlé des massacres qui sont des événements traumatisants.

Le président conclut: « Il n’y a pas eu de partages sur les événements qui ont marqué votre vie.

Un des assesseurs tente une question sur l’évolution de son état de santé. L’accusé dit quelques mots sur les maux dont il souffre. Il revient sur la période au cours de laquelle ils ont dû marcher six mois dans la forêt. Il souffre d’hypertension.

Maître FOREMAN fait remarquer à l’accusé qu’il a été un des dix préfets du Rwanda. Pour avoir été nommé sous-préfet de GISENYI en 1974, faut-il en déduire que vous étiez un proche de la famille HABYARIMANA?

Monsieur BUCYIBARUTA: Je ne vois pas le rapport. Vous avez votre conception des choses. Je n’étais pas le seul sous-préfet de GISENYI. J’ai connu Monsieur Z mais n’ai jamais travaillé avec lui. (NDR. Protais ZIGIRANYIRAZO, frère de madame HABYARIMANA, acquitté en appel par le TPIR mais toujours à la recherche d’un pays d’accueil avec huit autres Rwandais qui ont purgé leur peine ou ont été acquittés. Il fut préfet de GISENYI. Mis en cause dans l’assassinat de Diane FOSSEY).

Maître FOREMAN: Vous êtes cité comme faisant partie du Réseau ZERO! Avec le multipartisme, on vous a gardé sur le contingent du MRND. « Préfet consensuel » a dit aussi André GUICHAOUA.

Monsieur BUCYIBARUTA: J’ai lu le rapport sur le réseau ZERO d’un certain Christophe MFIZI.

Monsieur BIJU-DUVAL ne manque pas de faire remarquer que le premier poste de monsieur François-Xavier NSANZUWERA était aussi à GISENYI. L’accusé confirme et l’avocat de mettre un point final à l’interrogatoire: « Et GUICHAOUA a dit de vous que vous étiez « le moins MRND du MRND. »

Audition de monsieur Pierre-Damien NZABAKIRA, cité par la défense. En présentiel.

« Je pense qu’à côté de vous se sont des juges et des jurés. Je suis venu dans cette cour du côté de la défense de Laurent BUCYIBARUTA dans le cadre d’un dossier d’accusation de crimes de génocide, dont moi aussi j’ai été accusé au RWANDA. Au RWANDA, tout le monde devrait s’exprimer, raconter son histoire, les victimes Tutsi sont nos amis, des gens qui ont été tués atrocement, mais il ne faut pas que des personnes innocentes soient accusées de ces crimes.

 Le Président pose un certain nombre de questions, mais ce que raconte l’accusé n’est pas, pendant une grande partie de l’audition, en lien avec l’accusation portée contre Laurent BUCYIBARUTA. Il raconte avec force détails comment il a fait évacuer près de 400 enfants de Kigali d’abord vers BUTARE, puis vers BUJUMBURA au BURUNDI. Comment il a réussi aussi, avec le soutien de Laurent BUCYIBARUTA qui lui a fourni un autre véhicule et des gendarmes pour l’accompagner, à évacuer les enfants de Milghita KOSSER, réfugiés à KADUHA. Après avoir quitté le groupe scolaire des Frères de la Charité, il se rendra dans un établissement à KARUBANDA (NDR. Quartier situé à l’entrée de BUTARE quand on arrive de la capitale. C’est dans ce quartier que se trouve aussi la prison.) De là, il fera évacuer aussi un groupe d’orphelins vers BUJUMBURA. Monsieur le président revient sur sa rencontre avec le préfet.

Président : Combien de gendarmes Laurent BUCYIBARUTA vous a t-il fournis ?

Le témoin : Trois ou quatre gendarmes. Je me souviens que le préfet m’a dit: « Je ne sais pas si on va trouver quelqu’un mais on va essayer de demander si on peut trouver des gens qui vont accepter de vous accompagner, de prendre ce risque ».

Président : D’accord, donc il a pris cette décision avec le commandant de la gendarmerie je suppose ?

Le témoin : Certainement, car ce sont les gendarmes qui sont venus.

Président : Donc, vous obtenez cette escorte de gendarmerie assez rapidement ?

Le témoin : On a attendu un bon bout de temps.

Président : C’est-à-dire ?

Le témoin : Une heure ou plus.

Président : Une heure par rapport à quatre mois de génocide ce n’est pas grand chose ?

Le témoin : Alors là, je ne raisonnerai pas comme ça, je me mets dans la situation de ce temps d’attente. J’ai fait une demande, j’attendais la réponse et la personne qui cherchait la solution avait probablement des demandes et il fallait attendre.

Président : D’accord, donc au bout d’une heure vous avez la réponse et vous avez une escorte de gendarmes qui vous a accompagnés à KADUHA ?

Le témoin acquiesce.

Président : Vous avez récupéré combien d’enfants ? Une trentaine ?

Le témoin : Oui. Arrivés là-bas, quand j’ai vu que tout le monde avait fui vers moi, vers le camion, il y a une dame qui s’occupait de ces personnes, qui s’appelait Immaculée. Je lui ai demandé si elle voulait venir avec nous.

Président : C’était une religieuse ? C’était une civile ?

Le témoin : Non, c’était une auxiliaire de santé, qui travaillait avec la soeur.

Président : Donc qui s’appelle Immaculée, est-ce qu’elle est partie avec vous ?

Le témoin: Non, elle a dit qu’elle restait avec ceux qui restent, elle connaissait le terrain, elle connaissait le milieu. Elle nous a dit qu’on prenait un bon groupe, que le reste on allait essayer de se serrer les coudes et on verra la prochaine fois.  Peut être qu’elle pourrait partir avec nous si on revenait. C’est là où je lui ai expliqué qu’il y avait probablement une mission de l’armée française qui pouvait peut-être passer dans la zone et qu’il ne fallait pas avoir peur. Quand on est arrivé, il y avait un barrage, avant d’arriver à KADUHA, ils nous ont demandé où on allait. Je leur ai dit que nous étions de la Croix-Rouge.

Le témoin explique avoir soigné les gardes de la barrière.

Le témoin : On arrive chez cette dame, nous chargeons les camions et des miliciens tentent de nous tirer dessus.  Les gendarmes avaient armé leurs fusils, ils ont tiré sur les barrières. Dans cet échange de coups de feu, dans ce bras de fer, les miliciens se sont retirés.

Président : Les gendarmes ont tiré pour que les miliciens s’en aillent et vous laissent le passage ?

Le témoin : Oui, on est passé. Les enfants ont eu très peur et moi aussi. Arrivés sur d’autres barrages, les gendarmes nous laissaient derrière et ils allaient négocier avec ceux qui étaient sur les barrages, et ce à chaque passage.

Président :  Grâce aux gendarmes vous avez pu passer sans encombre ? Ça s’est bien passé, même s’ils ont tiré ?

Le témoin confirme.

Président :  Vous êtes revenus à BUTARE ensuite ?

Le témoin : Nous sommes arrivés à la préfecture et j’ai dit au préfet qu’on avait des personnes et qu’on tentait de les amener à BUTARE. A BUTARE, il y a un barrage qui est connu: celui de MARABA. Les miliciens ont demandé aux gendarmes de déposer les armes. Ils voulaient nous contrôler pour voir s’il n’y avait pas de Tutsi dans le convoi. Les gendarmes ont dit: « Monsieur, nous sommes en guerre, vous vous ne savez pas ce qui se passe dans le pays, vous avez tué des gens, des innocents, maintenant c’est fini, c’est nos familles, si vous tirez, je tire ».  L’un des gendarmes a tiré et on a pu passer. e sont les soldats français qui nous aideront à évacuer les enfants jusqu’à la frontière.

Président :  D’accord. Comme on dit « c’était chaud ».

Le témoin : Oui, c’était chaud.

Président :  Quand il a tiré, est-ce que ça s’est calmé ?

Le témoin : Il n’y avait plus rien. L’opération s’est terminée.

Président :  Ensuite, ces enfants ont pu regagner le BURUNDI ?

Président :  Ils ont regagné le BURUNDI car ils ont été conduits par l’armée française à BUJUMBURA ?

Le témoin : Non, à la frontière.

Président : Avez-vous eu d’autres occasions de rencontrer le préfet ?

Le témoin : Alors, il est venu dans notre centre solliciter notre aide.

Président :  C’était quand ?

Le témoin : C’était avant cette opération de KADUHA. Je dirai vers le 10 ou le 12.

Président : Donc, Laurent BUCYIBARUTA est venu le 10 juin ?

Le témoin : Oui.

Président : Il est venu le 10 juin, pour quoi faire ?

Le témoin : Il nous a dit qu’il avait des personnes, trois personnes qui étaient en danger, savoir si on pouvait les accueillir.

Président : Qui étaient ces personnes ?

Le témoin : On disait qu’on disait que c’était de la famille de sa femme.

Président :  C’était des enfants de parents de sa femme qui étaient cachés chez lui et qu’il a amenés à BUTARE ?

Le témoin : Je pense.

Président : C’était trois enfants ? Trois adultes ?

Le témoin : Il y avait des jeunes.

Président : Il a amené trois enfants Tutsi et il vous a demandé de les prendre en charge ?

Le témoin : Oui.

Président :  Et ça c’était le 10 juin ?

Le témoin : Oui, dans ces dates.

Président :  Donc, avant d’aller à KADUHA ?

Le témoin : Avant KADUHA, entre le 10 et le 11.

Président : Est-ce que vous l’avez vu à d’autres occasions ?

Le témoin : Non, après j’ai entendu parler de lui.

Président : Que pouvez-vous nous dire de ces rencontres que vous avez eu avec le préfet ? Qu’est-ce que vous en retenez ?

Le témoin : C’était un homme meurtri. Laurent était dépassé.

Président :  Donc, un homme meurtri qui était dépassé, c’est bien ça ?

Le témoin : Le chaos avait été généralisé, il était dépassé, c’était compliqué. Ce que je sais, c’est qu’il y a eu, avec les accords de changement de direction de préfecture, il y a eu des préfets qui ont été mutés de leur préfecture. J’ai eu la chance de connaitre ces deux préfectures, celle de KIBUNGO où il était, c’est la préfecture de mon épouse, c’est chez moi.

Président :  Donc, il avait une bonne réputation à KIBUNGO et vous avez constaté que c’était un homme qui était conforme à sa réputation ?

Le témoin : Mon épouse pourrait le dire mieux que moi. Et même le président BIZIMUNGU. Pour les gens de GIKONGORO, c’était un homme qu’ils aimaient et qu’ils respectaient. Mais GIKONGORO était gouverné par des gens qui étaient venus d’ailleurs. Le service de sécurité était dirigé par le major qui était un homme compliqué.

Président :  Vous parlez de quel major ?

Le témoin : Le nom et le prénom, je ne me souviens plus.

Président :  Où était-il en poste ?

Le témoin : A GIKONGORO.

Président :  Vous parlez du major Christophe BIZIMUNGU ou du capitaine SEBUHURA ?

Le témoin : Je ne sais pas, un major qui commandait le camp.

Président :  Est-ce que depuis vous avez eu l’occasion de revoir Laurent BUCYIBARUTA ?

Le témoin : Non.

Président :  Vous n’avez pas été en contact quand vous êtes arrivé en France ?

Le témoin : Non, non. Oui, en France, quand je suis arrivé, Laurent m’a donné son numéro fixe.

Président :  Est-ce que vous n’avez pas eu des ennuies judiciaires vous-mêmes ? Quand vous étiez au RWANDA, est-ce qu’il n’a pas fait une attestation pour vous  ?

Le témoin : Non, l’attestation qu’il m’a faite c’était pour l’OFPRA.

Président :  Donc, vous avez quitté le RWANDA dans des circonstances un peu difficiles car vous aviez été interviewé, vous aviez expliqué ce que vous aviez fait, et me semble-t-il, vous avez dit que ça n’avait pas plu à un certain nombre de personnes à KIGALI et que vous aviez été inquiété par la suite?

Le témoin : Il y a eu plein de choses.

Président :  D’accord, mais on ne va pas rentrer dans les détails.

Le témoin : Il y a eu plein de choses, l’après-guerre du RWANDA, c’est horrible. Les autorités soupçonnaient tout le monde, les habitants survivants et les victimes du génocide Tutsi soupçonnaient tout le monde. Même à BUJUMBURA j’étais inquiet. Je me disais que j’étais à mon travail et que si je mourais, je mourais comme tous les autres. C’était compliqué. A un moment donné, je sentais qu’il fallait que je m’éloigne un peu, tout en gardant mon pays dans mon  coeur.

Président :  Et donc vous avez décidé de venir en FRANCE ?

Le témoin : J’ai quitté le RWANDA et je suis arrivé en OUGANDA. Amnesty international m’a aidé, m’a donné des contacts avec la FRANCE.

Président :  Et vous avez contacté Laurent BUCYIBARUTA et il vous a fait une attestation en votre faveur pour votre dossier pour l’OFPRA ?

Le témoin : Oui, c’est un témoignage sur mes actions pendant la guerre.

Pas de questions des parties civiles.

 Questions du ministère public :

Ministère Public : Monsieur, j’avais une précision à vous demander. Nous avons entendu dans le cadre de ce procès une historienne, Madame Hélène DUMAS, qui avait apporté des précisions sur cette période de juin. Il y avait un certain nombre d’opérations de sauvetage dans des orphelinats, période de juin qui est la période où la communauté internationale s’intéresse davantage à la situation qui est en train de se dérouler au RWANDA. L’opération TURQUOISE a été décidée et cette historienne a expliqué qu’en juin il y a eu une volonté des autorités politiques rwandaises de redorer leur image, notamment en ce qui concerne les orphelinats qui étaient encore des foyers de résistance. Elle a expliqué qu’en juin il y avait encore des attaques des miliciens ou des autorités locales qui essayaient d’attaquer ces orphelinats et elle a évoqué, vous en avez parlé et c’est pour ça que j’aimerais que vous apportiez des précisions, le fait que le Premier ministre avait été sollicité par un Américain pour essayer de protéger des orphelins et qu’il avait accepté de le faire, de sauver ces enfants, mais sous les yeux des caméras, en expliquant que c’était une décision du gouvernement intérimaire. Comme vous avez parlé de cette convention signée entre le Premier ministre et Terre des Hommes, est-ce que vous pouvez nous dire à quelle date c’était si vous en avez souvenir ? Avez-vous eu connaissance de ces comportements en juin à cette période ?

….

Ministère Public : Donc, c’est une convention qui est signée à ce moment-là entre l’autorité, en tout cas le Premier ministre, qu’est-ce que c’est concrètement, cette convention qui est passée avec Terre des Hommes ?

Le témoin : C’était d’abord s’occuper des enfants non-accompagnés, des enfants mineurs, et éventuellement les évacuer vers l’extérieur, mais là c’était plus vers le Zaïre. Pour traverser vers le BURUNDI, la frontière était très proche. Par GIKONGORO, il y a la forêt de NYUNGWE, c’était trop compliquée et je voyais que c’était dangereux pour les victimes.

Ministère Public : Que pensez-vous de cette analyse qu’a pu faire cette historienne sur cette instrumentalisation qui a pu être faite de ces sauvetages par l’autorité et par le gouvernement intérimaire ?

Le témoin : Je ne peux pas me prononcer, car quand même Jean KAMBANDA, je me souviens il est allé à BUTARE et dans un haut-parleur il a raconté que « l’ennemi c’est celui qui nous attaque, ce n’est pas un Tutsi ». Nous, qui étions sur le terrain, on voyait qu’on avait massacré les Tutsi.

Ministère Public : C’était quand ça Monsieur ?

Le témoin : Je crois que c’était au mois d’avril, après la réunion avec SINDIKUBWABO à BUTARE.

Ministère Public Donc, vous parlez du discours du Président du 19 avril à BUTARE ?

Le témoin : Oui, et après j’ai entendu quand même dans la ville ce dont on parlait. On nous a dit que Jean KAMBANDA était venu à BUTARE et qu’il avait rencontré les intellectuels. Le reste, moi ce que je peux souligner là-dedans, c’est que cet accord qui a été signé a été inutile pour pouvoir mener librement nos opérations. Mais, à un moment donné, par exemple, on a été arrêtés par les miliciens qui m’ont déchiré le document qu’on a montré.

Ministère Public : Vous savez quand même, Monsieur, que le Premier ministre a plaidé coupable pour son implication dans le génocide ?

Le témoin : Jean KAMBANDA a été condamné je le sais, je ne le défends pas. Je me disais que même s’il n’y avait pas eu d’accord que les gens commençaient à sentir qu’il fallait vraiment résister. Je me souviens que KAJUGA, Président des miliciens, a été arrêté le 10. Nous sommes allés voir KAJUGA qui nous a dit: « Moi aussi j’ai besoin de votre aide ». Avant d’aller à la Croix-Rouge, j’étais militant du parti. Les personnes que nous avons évacuées de KAJUGA venaient d’un couvent religieux, à BUTARE. Les miliciens de KAJUGA les ont escortées.

Ministère Public : C’est bien une période où les plus grands massacres ont été commis, on est bien d’accord ?

Le témoin : Ils tuaient encore, quand ils voyaient des Tutsi, ils tuaient.

Ministère Public : Une grande majorité des Tutsi a été exterminée à cette période, on est bien d’accord Monsieur ?

Le témoin : Oui, à cette date oui.

Ministère Public : Une autre question, Monsieur, vous avez évoqué la venue du préfet Laurent BUCYIBARUTA le 10 juin à BUTARE. Vous nous avez dit qu’il était avec trois enfants, et dans votre audition vous aviez apporté d’autres précisions, est-ce que Monsieur BUCYIBARUTA est venu avec son épouse ?

Le témoin : Non, à ma connaissance, j’ai l’image des enfants parce qu’ils sont sortis et ils sont passés par la tente où on sauvait les personnes.

Ministère Public Pourtant, vous aviez donné beaucoup de détails dans votre audition, vous aviez dit que le préfet était avec son épouse qui était habillée en deuil, que sa famille venait d’être massacrée, qu’il voulait même vous confier des enfants de sa famille qu’il ne pouvait pas protéger, et vous avez même donné le nom de ces enfants.

Le témoin : Non, j’ai dit que le préfet m’a dit que ce sont les enfants de sa belle-famille et que la belle-famille avait été massacrée.

Ministère Public : Vous êtes sûr de l’avoir vu, Monsieur, le 10 juin ? Car vous étiez quand même très précis, sur la présence de son épouse notamment.

Le témoin : Oui je l’ai vu.

Ministère Public : Est-ce que vous avez vu son épouse également ?

Le témoin : Non.

Ministère Public : D’accord, mais là vous aviez bien dit lors de votre audition qu’il était avec son épouse, qui était habillée en deuil. Donc a priori ,il y a quelque chose de visuel dans cette description que vous donnez. Vous donnez l’indication sur les enfants, ils ne sont pas trois mais deux dans votre déclaration.

Le témoin : Non, mais s’il faut que je complète. J’ai vu des personnes qui demandaient refuge et assistance.

Ministère Public : C’était quand même une image assez forte, j’imagine, de voir cette femme en deuil accompagner le préfet de GIKONGORO avec deux enfants, et ça, vous ne vous en souvenez plus aujourd’hui. Je laisse la parole à ma collègue pour une dernière question.

Ministère Public 2 : Je voudrais juste rappeler vos déclarations sur l’attestation de Laurent BUCYIBARUTA qu’il a fourni pour vous et la demande de témoignage :  « Alors que je me trouvais encore en Ouganda, l’Ambassade me réclamait, pour l’obtention du visa, des témoignages en ma faveur qui attesteraient de ma non-participation au génocide. Je m’étais alors adressé au préfet BUCYIBARUTA qui m’a envoyé par mail une attestation qui mentionnait que je m’étais rendu à KADUHA pour ne pas tuer des enfants orphelins et les emmener à BUTARE. J’ai remis cette attestation à l’Ambassade de France à KAMPALA ». « A mon arrivée en FRANCE, j’ai téléphoné à BUCYIBARUTA Laurent pour le remercier de l’aide qu’il m’avait apportée en témoignant en ma faveur. Je me souviens qu’il m’avait dit alors qu’il était sous surveillance policière car accusé de génocide. Je m’étais déjà aperçu de cela grâce à internet. Il désirait que je témoigne en sa faveur, je lui ai dit oui, je m’attendais dès lors à répondre à une convocation en justice. Depuis, j’ai préféré garder mes distances avec lui pour être indépendant et pour que mon témoignage à son sujet soit jugé crédible, c’est pourquoi je pense ne plus avoir aucun contact avec lui depuis 2010, période d’une invitation au mariage de son fils où je ne suis pas venu ». Vous vous souvenez de ça ? Vous confirmez ?

Le témoin : Oui. Oui.

Ministère Public 2 : : Très bien, je vous remercie.

Questions de la défense :

Maître BIJU-DUVAL : Bonjour Monsieur. Juste pour clarifier un point, pour que les choses soient bien claires dans mon esprit. En ce qui concerne l’évacuation du Groupe scolaire, je comprends qu’il y a donc cette convention du 31 mai, avec les autorités gouvernementales. C’est bien ça ? Et ensuite, vous allez, si j’ai bien compris, avec l’assistance du colonel de l’ESO (NDR. Ecole des Sous-Officiers de BUTARE) faire une première évacuation, une tentative d’évacuation vers le BURUNDI. C’est bien ça ?

Le témoin : Oui.

Maître BIJU-DUVAL : Vous nous avez indiqué que, arrivé à la frontière, je ne sais pas si c’était la frontière, mais en tout cas vous avez été arrêté par les miliciens qui vous ont obligé à rebrousser chemin. C’est bien ça ?

Le témoin : C’est un barrage qui a bloqué le convoi.

Maître BIJU-DUVAL : Mais, sur ce barrage, il y avait qui ?

Le témoin : Il y avait un certain Shalom.

MAÏTRE BIJU-DUVAL : Est-ce que c’était  Shalom NTAHOBALI ?

Le témoin : Oui.

MAÏTRE BIJU-DUVAL : C’était le fils de la Ministre Pauline NYIRAMASUHUKO ?

Le témoin : Oui, je connaissais la famille.

MAÏTRE BIJU-DUVAL : Et qui a été? comme sa mère? condamné par le TPIR d’ARUSHA ?

Le témoin : Oui.

MAÏTRE BIJU-DUVAL : Ce milicien? malgré la convention conclue avec le gouvernement, malgré l’assistance du colonel de l’ESO, avec les Interahamwe, a réussi à vous faire rebrousser chemin ? A faire obstacle à l’évacuation ?

Le témoin : Il a poursuivi le convoi. Justement, à chaque fois, ils nous devançaient pour nous arrêter au barrage et pour dire: « Attention, ils sont en train d’évacuer les Tutsi vers le BURUNDI », et  on avait des difficultés, et je me souviens, on a pu avancer quand sa voiture a brûlé. Et il n’a donc pas continué à nous poursuivre. Il est arrivé quand même à la frontière parmi les miliciens qui ont empêché tout le monde de traverser.

Maître BIJU-DUVAL : Il exerçait donc avec ses miliciens un pouvoir assez extraordinaire même sur les autorités officielles ? Un grand pouvoir en tant que chef milicien.

Le témoin : Oui. Le jour de l’évacuation, Shalom et son équipe ont barré la route et ont mis des pierres sur la route pour que les camions ne passent pas. C’était vraiment compliqué. Jusqu’à l’arrivée du colonel, il s’est fait aider par des militaires, je crois qu’ils étaient 5 ou 6, et le colonel a failli s’énerver, c’était très compliqué, c’était un pouvoir que je dirais « parallèle ». Le colonel avait pris la parole et avait demandé à tout le monde de monter tranquillement.

Maître BIJU-DUVAL : C’est effectivement ce que j’ai compris. Un autre point. Pour que les choses soient bien claires, est-ce que oui ou non vous avez rencontré le préfet Laurent BUCYIBARUTA venu vous confier des enfants tutsi à protéger? Est-ce que oui ou non vous l’avez vu ?

Le témoin : Oui, je l’ai vu.

Me BIJU-DUVAL : Donc, vous situez ça autour du 10 juin, vous n’êtes pas obligé de vous souvenir de la date exacte, Monsieur. Dans vos déclarations faites aux enquêteurs français, à la côte D10547 p.6, vous précisez: « Il voulait nous confier des enfants de sa famille, qu’il ne pouvait pas protéger, car il craignait une attaque à son domicile ». Souvenez-vous de ces paroles ? Est-ce qu’il vous a fait ces confidences ?

Le témoin : Oui, je me souviens. Je lui avais dit: « Nous aussi on n’a pas de sécurité, comment on va faire. » Je lui ai dit que, comme nous on était la Croix-Rouge, on va essayer de faire quelque chose.

Maître BIJU-DUVAL : D’accord. Un dernier point : lorsque vous avez été entendu par les enquêteurs français, le 25 juin 2015, vous avez donné des précisions sur les raisons pour lesquelles vous avez pu fuir le RWANDA. Vous dites D10747 p.2 : « A la même époque j’ai eu des pressions de … ». Première question pour une clarification pour tout le monde, le général GATSINZI, après le génocide, il a occupé quelle fonction ?

Le témoin : Il a été ministre de la Défense.

Me BIJU-DUVAL : A aucun moment, il n’avait été suspecté d’avoir été impliqué dans le génocide, au contraire il était considéré comme l’un des officiers rapidement démis, s’étant opposé à la politique du gouvernement intérimaire. Est-ce que vous savez ?

Le témoin : En fait, je ne pouvais pas savoir ce qu’il pensait. C’est un officier qui a participé dans les négociations d’ARUSHA, et on pensait qu’il était « modéré », non extrémiste.

Maître BIJU-DUVAL :  Expliquez-nous plus en détails quand on a voulu obtenir de vous un faux témoignage sur GATSINZI ?

Le témoin : C’est un homme que je connaissais avant, que ce soit dans les petites fêtes de famille, les baptêmes, j’avais donné des cours d’histoire à ses enfants.

Maître BIJU-DUVAL :  Vous vous dites qu’on a cherché à obtenir un faux témoignage, on vous a promis quelque chose ?

Le témoin : Oui, des sous.

Me BIJU-DUVAL : Et quand vous avez refusé, on vous a fait des menaces ?

Le témoin : Non, on s’était donné rendez-vous, mais avant le rendez, j’avais quitté le pays, je crois.

Maître BIJU-DUVAL :  Et vous avez quitté le pays parce que vous vous trouviez dans une situation dangereuse ?

Le témoin : Oui, dangereuse.

Monsieur le président déclare l’audience clôturée. Rendez-vous est donné à lundi 27 juin à 9h30. (A suivre…)

Note de la Rédaction : Ce compte rendu a été réalisé par Mathilde Lambert, Alain Gauthier et Jacques Bigot (Fin)