Procès pour génocide de Laurent Bucyibaruta à Paris. 27 juin 2022. J 32

·         Audition de monsieur Paul KADOGI, ancien bourgmestre de NSHILI, cité par la défense, en visioconférence du Rwanda.

·         Audition de madame Xavera IYAKAREMYE, citée par la défense, en visioconférence de BUFFALO (USA).

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Audition de monsieur Paul KADOGI, ancien bourgmestre de NSHILI, cité par la défense, en visioconférence du Rwanda.

Le témoin a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour génocide. L’audition va durer près de cinq heures. Toutefois, la plus grande partie de cette audition a été consacrée au parcours du témoin, aux circonstances de sa nomination comme bourgmestre en 1991, son adhésion au MDR qui provoquera la haine des membres du MRND. De lui, Alison DES FORGES écrira (en D 1597 : extrait p. 71 de « Aucun témoin ne doit survivre » qu’il était « un jeune enseignant ambitieux (…), un propagandiste très virulent du MDR » bénéficiant « d’un soutien considérable. » Le MRND s’était donné comme mission de ramener KADOGI dans son giron, lui promettant le poste de bourgmestre s’il revenait au sein de son parti d’origine.

Il sera ensuite assez longuement question de la présence de réfugiés hutu sur la commune de NSHILI et des problèmes que cela posait. Ils suivaient des entraînements militaires et participeront activement au génocide des Tutsi.

Le témoin sera destitué de son poste de bourgmestre en avril 1992 au moment de la mise en place du nouveau gouvernement chargé de mettre en place le multipartisme. A cette époque, BUCYIBARUTA n’était pas encore préfet. Il redeviendra bourgmestre un an plus tard.

Ses relations avec le sous-préfet BINIGA sont très mauvaises. Léon MUGESERA vient rendre visite à l’ancien bourgmestre la veille de son discours de KABAYA. Il souhaitait l’élimination du témoin. Une « chasse » aux membres du MDR est alors organisée par des soldats en civil. Des fusils cachés sous des sacs à l’arrière de leur voiture. Ils seront séquestrés par la population. Des gendarmes viendront le lendemain avec leur commandant pour négocier leur libération.

A ce stade de l’audition, n’a été évoquée que l’histoire de la commune de NSHILI qui se résume à un conflit violent entre le MRND et le MDR, la population étant tombée dans l’insubordination au MRND. Le témoin conteste que des armes aient été distribuées à la population contrairement à ce que dit Alison DES FORGES.

Monsieur le président évoque ensuite l’existence de deux courriers adressés par le préfet aux bourgmestres sur leur rôle et sur les procédures à mettre en place en cas d’arrestations, mais on est toujours en 1993 le premier courrier étant daté du 14 mai 1993, le second de juillet de la même année.

On finit par aborder les événements d’avril 1994. Mais le témoin va surtout insister sur le fait qu’il va conseiller aux réfugiés de se rendre au Burundi. Les gens qui se livrent aux pillages? Il demande aux gendarmes de leur tirer dessus. Il a bien tenté d’alerter le préfet, mais il n’a pas de téléphone à sa disposition et personne ne pouvait aller à GIKONGORO à pied, c’était trop loin.

Le témoin finira par se réfugier dans sa belle-famille à MUBUGA. En passant par la paroisse de MUSEBEYA. Il y avait des cadavres partout. Décision de les enterrer dans le cimetière. Paul KADOGI va continuer à se déplacer dans tous les secteurs, sauvant partout des gens en danger, miné par la peur de BINIGA. Ce qui lui fera oublier d’avertir le préfet sur la situation qu’il est en train de vivre.

Le plus extraordinaire reste à venir. « Chaque jour, chaque nuit, j’ai conduit des gens au Burundi. J’ai escorté 3 500 personnes en récitant le chapelet » poursuit-il. Il ramène chez eux des rescapés qui ne veulent pas rester passer au Burundi et rentre chez lui où des gendarmes veulent le fusiller. Il dit avoir rédigé un communiqué destiné au préfet mais les gendarmes à qui il le confie vont le déchirer.

Le préfet, il va le rencontrer le 26 avril en participant à une réunion à laquelle il n’avait pas été invité! L’objet de cette réunion? La sécurité mais aussi le problème des biens volés aux Tutsi. Décision est prise de les vendre et de remettre l’argent aux autorités communales qui pourront restituer l’argent aux familles des victimes! Autre décision: rouvrir les écoles: les élèves sans enseignant seront répartis dans les autres classes! Mais comme il est arrivé en retard à la réunion, il n’est pas en état d’en nommer les participants. Par contre, il a bien pris la parole pour exposer la situation dans sa commune. Le préfet BUCYIBARUTA a dit qu’il fallait que les tueries cessent.

Pendant ce temps, les réfugiés burundais rentrent chez eux dès qu’ils apprennent l’arrivée du FPR. Ils auront bien pris part aux tueries pendant le génocide.

Sur questions posées par les parties, il va jusqu’à dire que 86 Tutsi vont être sauvés en désarmant les assaillants, qu’il est signataire du Communiqué de KIGEME alors que c’est un document signé uniquement par des militaires (son nom, de toutes façons, n’apparaît pas au bas du document et pourquoi y apparaîtrait-il?), qu’il faut arrêter les massacres pour soigner l’image du Rwanda aux yeux de la communauté internationale.

Maître LEVY va tenter de venir à son secours en évoquant la mort de son fils tué par les Interahamwe [6]. Il a été tué à l’université de NYAKINAMA, près de RUHENGERI: il ressemblait à un Tutsi. Le témoin va jusqu’à dire que Léon MUGESERA le dénonce nommément dans son discours de KABAYA. (NDR. Une information qui mériterait d’être vérifiée. Mais le témoin n’est pas à un mensonge près.)

Difficile aussi, lui qui a fait de son mieux, de comprendre sa condamnation à perpétuité!

« Au Rwanda, y a-t-il la volonté de poursuivre les responsables » demande l’avocat de la défense?

« En 2015, j’ai été poursuivi pour des vaches que je n’avais pas mangées (sic). J’ai fait un AVC. Ma famille a dû vendre tous nos biens pour rembourser les victimes » poursuit-il. Les relations avec BINIGA étaient vraiment exécrables. Quant à Laurent BUCYIBARUTA, « il était modéré, ne manifestait pas ses opinions. Nous avions de bons rapports de travail, je ne me suis jamais fâché avec lui. »

Il est 15 heures, largement temps de mettre fin à une audition qui n’a que trop duré.

Audition de madame Xavera IYAKAREMYE, citée par la défense, en visioconférence de BUFFALO (USA).

Madame IYAKAREMYE veut témoigner en faveur du préfet à qui elle et sa famille doivent la vie. Après avoir précisé le contexte des événements, elle raconte comment son mari a réussi à rejoindre GIKONGORO, pour demander l’aide du préfet. Ils se connaissent depuis longtemps. Alors qu’elle-même tente de se cacher dans des familles amies avec six de ses enfants et leur gendre, son mari, un Hutu de KADUHA, obtient du préfet que des gendarmes qu’il a demandés au commandant BIZIMUNGU viennent récupérer sa femme et ses enfants à RUSATIRA. En arrivant à la barrière située près de la MWOGO, une rivière où les Tutsi sont jetés, vivants ou morts, les gendarmes vont négocier le passage du témoin. Ils se seraient recommandés du préfet, ce qui aurait facilité les négociations.

A GIKONGORO, elle n’est pas sortie de la salle de classe où on les avait logés, si bien qu’elle n’a jamais vu le préfet et n’a assisté à aucun massacre. Avec l’arrivée des soldats français de Turquoise, la situation va vite s’apaiser. Ils vont pacifier la région, sauver beaucoup de Tutsi qu’ils vont conduire à BUTARE dans la zone du FPR. Quant au préfet, il a sauvé beaucoup d’autres personnes.

En juillet, le FPR ayant gagné la guerre, la famille décide de rentrer chez eux. Mais tout ne se passera pas comme prévu. Muté à KIGALI, son mari sera arrêté et emprisonné pendant sept ans, accusé d’avoir participé au génocide.

Elle se souvent du préfet BUCYIBARUTA, « un père de famille exemplaire, un chrétien catholique convaincu, digne de foi pour tous ceux qui l’ont connu. » C’est grâce à lui que sa famille a été sauvée.

Et le témoin de poursuivre: « Grâce à lui, nous sommes tous en vie. Je profite de l’occasion pour lui dire merci. Après tous ces événements, nous avons appris que les autorités militaires avaient pris le commandement. Les autorités civiles n’avaient pas de moyens. Ce n’est pas Laurent BUCYIBARUTA qu’on peut accuser d’avoir commandité les tueries. Ce n’est pas possible. Je demande à la justice française d’user de sa compétence pour prononcer un jugement juste et équitable. »

Sur questions du président, le témoin reparle de son passé professionnel, de son mari. Elle reconnaît n’avoir jamais subi d’attaques à leur domicile: « Nous avions des chiens méchants. Personne ne pouvait venir. Je restais chez moi, dans le coin le plus caché de la maison. Ma famille a été tuée. Les six enfants de mon frère ont été tués, mes oncles, mes tantes, des neveux et nièces… Tout cela, j’ lai appris au mois d’août: avec le FPR, on pouvait se déplacer partout, les tueurs étaient au Congo. »

Le sort du préfet? « Je n’en ai pas entendu parler. Mon mari voyait mon stress, il ne me donnait pas de nouvelles. Je ne sais même pas si lui-même a eu des nouvelles du préfet. »

La pacification? « C’était un appel à retourner au travail ». Mais c’était aussi l’occasion de faire sortir les Tutsi qui se cachaient encore.

Le témoin a quitté le Rwanda en 2005, son mari n’étant libéré qu’en 2006. Il est mort en exil au Cameroun où elle est allée lui rendre visite deux fois. « Nous avons été spoliés de nos biens, poursuit-elle. Notre maison a été occupée par un militaire mais nous avons fini par la récupérer. (NDR. Elle avait précisé, incidemment, qu’ils possédaient quatre maisons.)

Le frère de son mari a été tué par des Interahamwe à la paroisse de KADUHA.

Elle finit par dire qu’elle est satisfaite qu’on ait bien voulu l’écouter.

Sur questions des parties, le témoin ne peut pas dire si le préfet a usé de son influence pour les sauver. Les gendarmes qui l’ont aidée à passer la barrière se sont-ils recommandés du préfet? Elle ne sait plus vraiment: « Peut-être qu’ils l’ont dit. »

La défense lui rappelle ses propos pour justifier son départ du Rwanda: « Je me sentais en insécurité. » Vous vous sentiez vraiment menacée?

Le témoin: « Les gens qui ont pris nos maisons ont fait emprisonner mon mari. Je n’en pouvais plus. J’étais fatiguée. J’ai demandé l’asile aux Etats-Unis. Mon mari a été emprisonné comme beaucoup de Hutu qui avaient des emplois élevés. Les nouveaux cadres du FPR qui travaillaient dans la justice (comme son mari) en voulaient aux cadres qui avaient travaillé sous HABYARIMANA. Gérald GAHIMA a tout fait pour nuire à mon mari. » (NDR. Gérald GAHIMA a été Procureur général au Rwanda après le génocide. Figure de proue du Congrès National Rwandais, un parti d’opposition, il s’est réfugié aux Etats-Unis).

Parole est donnée à Laurent BUCYIBARUTA: Nous nous connaissions avec le mari de madame. Je confirme qu’il est venu me voir mais je n’avais pas de forces à mettre à sa disposition.  Je me suis adressé au commandant de la gendarmerie qui a donné des gendarmes pour aller chercher le témoin. J’avais demandé qu’ils négocient sur les barrières sans utiliser la force.

« Quel commandant? » demande le président.

Le témoin: le major BIZIMUNGU qui a choisi ces gendarmes pour une mission délicate.

Le président: Il a organisé d’autres missions délicates?

Le témoin: J’ai déjà parlé du sauvetage des orphelins de KADUHA. Il y a eu aussi l’évacuation des religieuses de MUBUGA à MUDASOMWA en avril.

A un avocat des parties civiles évoque l’épisode rapporté par un témoin (le préfet avait fait évacuer sa sœur en faisant appel à des gendarmes de BUTARE). Pourquoi avoir fait appel à des gendarmes de GIKONGORO cette fois?

Le témoin: Je pensais que c’était plus efficace de faire intervenir des gendarmes de BUTARE que je connaissais. Je n’avais pas de contacts à RUSATIRA où habitait cette dame.

Le président: Dans un cas, je m’adresse discrètement à BIZIMUNGU, dans un autre discrètement à ceux de BUTARE. Dans les deux cas ils interviennent avec leurs uniformes?

L’accusé n’a pas de réponse à donner.

Maître TAPI lui fait remarquer qu’à KIBEHO le préfet a fait intervenir SEBUHURA pour la protection des élèves de Marie-Merci et non BIZIMUNGU!

Laurent BUCYIBARUTA conteste: il a parlé de BIZIMUNGU.

Le président clôt les débats en disant: « Beaucoup, concernant KIBEHO, parlent de SEBUHAURA.  »

Rendez-vous est donné à demain, 9h30. (A suivre ….) 

Note de la Rédaction : Ce compte rendu a été réalisé par Alain GAUTHIER, Mathilde LAMBERT et Jacques BIGOT. (Fin).