Quand l’utilisation du chalumeau propage la Tuberculose

Certes, il gagne de l’argent. Mais avec sa nombreuse famille de sept enfants et la soif quotidienne due à la canicule et à la fatigue, il lui a été difficile de faire de l’épargne.

Surtout que le soir, en compagnie de ses camarades, Kibaba garde son chalumeau fièrement plongé dans une calebasse de bière de banane « urwagwa » qu’il déguste avec délices.

Kibaba n’est pas égoïste. Il sait partager son chalumeau avec d’autres sages du même métier. Mais aussi avec ses voisins qui ont l’habitude de venir retrouver la bonne humeur autour d’un pot après une journée d’épuisement.

Il en est ainsi de la culture de nos pères. «  Ce n’est pas l’individualisme occidental qui changera nos valeurs de partage et de solidarité », aime-t-il à dire quand quelqu’un ose rappeler que l’utilisation d’un même chalumeau contribue à propager beaucoup de maladies, dont la tuberculose surtout.

Les esprits ont commencé à se poser des questions depuis un mois que Kibaba est tombé malade, et qu’il n’a ni travaillé, ni consommé la bière de banane. On se chuchote à l’oreille que Kibaba a la tuberculose. Il l’a confié à quelques amis qui lui ont rendu visite durant les deux dernières semaines qu’il est resté hospitalisé au centre de santé le plus proche.

Maintenant qu’il a quitté le lit d’hôpital, sa femme a parlé à ses amies et les a mises en garde contre l’utilisation d’un même chalumeau.

Un menuisier de la proximité ne cache pas ce qu’il avait toujours dit :

« J’ai toujours répété au groupe de Kibaba que partager le chalumeau est un grave danger pour la santé. Nos responsables de cellule et de santé nous mettent sans cesse en garde. On se contamine facilement. Kibaba est le quatrième de son groupe à tomber malade en trois ans ».

Et une sage femme de renchérir : « Parce que nous habitons loin de la route et des autorités, les gens se permettent de ne pas suivre les conseils recommandés dans les réunions de la cellule. Il est temps que les gens renoncent effectivement à se partager le chalumeau. Sinon, nous allons vers notre extinction ».

Les enfants et le public qui écoutent ces propos commencent à se regarder pour que des décisions unanimes changent définitivement leur comportement. Car, la tuberculose, ajoutée aux dures conditions de vie que mènent les vulnérables, est cause de tous les maux dans les familles.

Le cas de Kibaba est identique à ce qui se passe dans des bistrots qui vendent la bière traditionnelle à base de banane ou de sorgho. Le jeune Ndayisaba, 19 ans qui exécute divers travaux de portage ou d’aide-maçon, relève qu’en descendant vers le bas de la colline Remera, à côté du cimetière, il y a un quartier dénommé Nyabisindu où les gens se partagent le chalumeau.

Il en est de même de l’endroit appelé « Bannyahe » près de Nyarutarama, ou de la proximité de la boucherie située près de la nouvelle école primaire de Nyakabanda dans le secteur Niboyi du district de Kicukiro.  

Il semble que ces habitudes de continuer à partager le chalumeau résultent de l’ignorance, du manque d’information ou de l’absence de volonté pour changer des comportements. Les détenteurs de ces bistrots sont en général les premiers à ne pas pousser leurs clients à s’adapter aux nouvelles orientations en matière de prévention contre des maladies telle que la tuberculose.

Les patients de la première ligne
Après un mois, Kibaba s’est rétabli. Il est même retourné sur le chantier où le chef d’équipe lui donne des travaux moins épuisants. Tous les jours y compris les dimanches, il se rend au Centre de Santé de Kicukiro pour suivre sa cure quotidienne.

Interrogée sur le traitement contre la tuberculose, la Directrice du Centre de Santé de Kicukiro qui est une religieuse ou mieux une soeur infirmière, répond que dans la première phase des deux premiers mois ou la première ligne, c’est-à-dire au début du traitement contre la tuberculose, le patient reçoit quatre sortes de médicaments combinées dans un seul comprimé et qui sont : Rifamyicin, isoniazide, étambitol et pyrazinamide.

« Auparavant, on prenait un comprimé de chacun de ces quatre sortes de médicaments. Et c’était éprouvant pour le patient. Aujourd’hui, on prend un seul comprimé qui renferme les quatre sortes de médicament », précise la Directrice du Centre de Santé.

Après deux mois, le patient est soumis au contrôle pour voir si son crachat porte encore des bacilles de tuberculose. Généralement, après deux semaines de traitement, l’examen doit s’avérer négatif.

Les patients de deuxième ligne
Au cours de la deuxième phase de quatre mois ou deuxième ligne,  c’est-à-dire la phase qui a montré une résistance contre les médicaments, on administre deux médicaments combinés qui sont le rifamycine et l’isoniazide.

Si pendant ce traitement, le patient ne guérit pas, on lui donne pendant deux mois l’injection de streptomycine qui est combinée au traitement de la première phase avec les quatre sortes de médicaments combinés.

 Ainsi, durant la deuxième ligne, le patient reçoit, durant les six premiers mois, chaque comprimé de pyrazinamide (400 mg), cyclozerine (250 mg), prothionamide (250 mg), pyridoxine vitamine B6 (100 mg), ofloxacine (200 mg),  et le canamycine injectable.

Après six mois, on supprime l’injection. Et le patient continue de prendre les six sortes de médicaments.

« La tuberculose guérit, sauf que le traitement est long. Le patient peut faire une rechute. L’essentiel est de poursuivre le traitement. Et la tuberculose finit par guérir », fait remarquer la Soeur Directrice au Centre de Santé.

« Les patients traités par le Centre de Kicukiro sont 68 de la première ligne et 8 de la deuxième ligne, soit au total 76. Tous viennent au Centre de Santé chaque matin à 7h et prennent leurs médicaments. Puis ils retournent chez eux reprendre leurs activités », explique-t-elle.

« Généralement après deux mois, les symptômes de la tuberculose disparaissent.

Apparemment, les malades semblent bien portants. Les élèves vont à l’école normalement », continue-t-elle.

L’isolement du patient se fait dans les deux premières semaines à l’hôpital pour l’empêcher de contaminer les autres.

« Chaque jour, nous donnons une information concernant la santé, l’hygiène et les autres maladies à éviter », dit la directrice.

La radiographie pour détecter la tuberculose se fait à l’hôpital tandis que l’examen du crachat est effectué au Centre de santé qui diagnostique seulement la tuberculose pulmonaire.

Mille personnes étaient sous ARV en 2007

L’on remarque aussi une tuberculose extra pulmonaire chez les patients, c’est une situation due surtout aux conditions de pauvreté. L’absence de régularité dans la prise de médicaments crée une résistance aux médicaments.

La Soeur directrice du Centre explique que de tels patients sont traités même pendant deux ans. L’on est obligé de leur donner un supplément nutritionnel. Les patients atteints
de tuberculose finissent par guérir. Ceux qui meurent sont ceux qui ont la tuberculose et le VIH/Sida à la fois.

« Il est difficile aux gens de changer les habitudes. Nous avons interdit l’utilisation d’un chalumeau commun dans la consommation de la bière de banane et/ou de sorgho dans la société. Je pense que les gens ne comprennent pas les dangers liés à la contamination » fait remarquer une infirmière du Centre de Santé de Kabuga, où une vingtaine de patients suivent un traitement anti-tuberculeux.

Dans l’agglomération de Kabuga, cette infirmière reconnaît que dans le voisinage, les gens n’ont pas encore changé de comportements, car ils continuent d’utiliser le chalumeau commun.

Le traitement anti-tuberculeux et les examens de crachat au Centre de santé sont gratuits. Sauf les examens de radio.

« La Directrice du Centre de Santé de Kicukiro a l’impression qu’à la campagne, il y a plus de tuberculose qu’en ville. Les gens qui quittent le monde rural pour la ville tombent dans des conditions de vie très difficiles. Ce sont des pauvres que guettent sans cesse les maladies. Ils travaillent dans des endroits insalubres, pleines de poussière, par exemple dans des moulins », relève-t-elle.

Le Centre de Santé de Kicukiro compte un personnel d’environ 80 agents, un chiffre qui s’est accru suite à la nécessité de lutte contre le VIH/Sida.

Le Centre dispense des services de dépistage, de traitement, de suivi et de sensibilisation contre le VIH/Sida (VCT, PMCT et ARV).

Sur une population de 57.716 habitants que sert le Centre de Santé de Kicukiro, 1000 personnes étaient sous ARV en 2007. La tuberculose est la première cause de maladie et de décès chez les personnes infectées par le VIH/Sida.

 L’Eglise  de Temple Zion du Pasteur Gitwaza a créé un deuxième centre de santé qui servira la population des secteurs Kicukiro et Gatenga. Tandis que le Centre que dirige la Soeur infirmière servira les secteurs Niboyi et Kagarama qui ont une population de 33.000 habitants.

L’approche communautaire

L’approche communautaire qui fait qu’il y a un agent de santé formé qui distribue des médicaments aux malades de l’Umudugudu est encore inconnue dans les Centres de santé de Kicukiro et Kabuga.

Pourtant, selon le chargé de la lutte contre la tuberculose au Ministère de la Santé, Dr Gasana Michel, cette pratique est en vigueur dans 19 districts administratifs sur les 30 que compte le pays. Dr Gasana Michel a informé qu’en 2007, un total de 8014 personnes au Rwanda a suivi un traitement contre la tuberculose.

La Mairie de la Ville de Kigali (MVK) totalise à elle seule 30% de ces malades.

« La co-infection, c’est-à-dire les patients atteints de tuberculose combinée au VIH/Sida représente 38 % des patients », rappelle-t-il.

La pratique d’approche communautaire de soins de santé, avec un agent de santé pour donner des médicaments aux patients de l’Umudugudu, et de manière régulière et suivie, a eu de très bons résultats. « Mais elle exige l’implication et la participation très active du district qui instaure une telle innovation », note-t-il.