Un livre vient de sortir sur Mgr Léon Classe qui a marqué l’histoire tragique du Rwanda

P. Stefaan Minnaert, Historien.

Le Père Stefaan Minnaert vient de sortir un livre sur Mgr Léon Classe pointé du doigt comme étant à la source des facteurs ayant culminé tout en conduisant inexorablement le Rwanda dans l’histoire tragique du Génocide et des autres horreurs. Le livre est vendu à la Librairie Caritas de Kigali. Lire l’introduction de l’ouvrage par l’auteur.

INTRODUCTION

Mgr Léon Classe (1874-1945) de nationalité française, est un Père Blanc bien connu pour le rôle qu’il a joué dans l’histoire de l’Eglise catholique du Rwanda. Il l’a marquée d’abord comme simple missionnaire, arrivé en 1901, puis à partir de 1907, comme Vicaire Général (ou Vicaire Délégué)  de Mgr Hirth (1854-1931). Et finalement de 1922 à 1945 comme Vicaire Apostolique du Vicariat du Rwanda. A cause de son emprise sur l’ensemble de la société rwandaise et de l’Eglise catholique, certains divisent l’histoire du pays entre la période d’avant Classe et celle d’après Classe.

Il est connu pour sa personnalité forte qui s’imposait avec discrétion et fermeté. Mais toujours efficace. Il est à la fois, témoin et acteur des événements historiques qui ont façonné le Rwanda. Devenu un Munyarwanda parmi les Banyarwanda, il connaît la langue et les coutumes du pays à la perfection. Néanmoins, on parle très peu de lui. Et sa biographie, écrite selon les exigences de l’historiographie moderne, se fait attendre.

Durant sa vie missionnaire, il changera trois fois de Vicariat. Ainsi passera-t-il du Vicariat du Nyanza Méridional au Vicariat du Kivu et finalement au Vicariat du Rwanda dont il deviendra le premier Vicaire Apostolique. Suite à cette expérience, il portera un regard missionnaire sur le Rwanda à partir de trois angles différents.

Il a vécu sous le régime colonial allemand jusqu’en 1916 et puis sous le régime colonial belge jusqu’à sa mort en 1945. Par opportunisme, il collaborera avec les Allemands qu’il n’aimait pas du tout. Il choisit d’oublier que ses confrères s’étaient installés au pays en 1900 à leur demande et avec leur soutien ! Par affinité, il collaborera volontairement avec les Belges. Ses notes, rédigées en 1916 pour l’administration coloniale belge en sont la preuve irréfutable. Elles contiennent une description détaillée de la situation politique du pays vue à travers ses lunettes « colorées ». Les Belges lui en étaient reconnaissants. Il eut entre autres accès au rapport confidentiel du Mwami Musinga de 1919 ! Sa collaboration avec les Belges sera ratifiée en 1922. Cette année-là, lui, un Français, est ordonné évêque à Anvers (Belgique) par un cardinal belge ! Au Rwanda, les Pères Blancs marcheront dorénavant derrière le drapeau belge, encouragés par les subsides belges. Et ceux de nationalité belge arriveront en grand nombre à partir de 1922.

Dans le Vicariat, le P. Classe était le seul et unique confident de Monseigneur Hirth, fondateur de l’Eglise catholique du Bukumbi (région de Mwanza), du Karagwe (région de Bukoba) et du Rwanda. Il partagea sa vision missionnaire, basée sur les principes d’évangélisation de Mgr Lavigerie. Mais aussi sa priorité parmi les priorités : la formation d’un clergé africain. L’expérience missionnaire de Mgr Hirth au Buganda lui servait d’exemple malheureux. Il était au courant de son expulsion par les Britanniques suite aux rivalités entre catholiques, protestants, musulmans et puissances coloniales.

Il fit partie des fondateurs des premières Missions du Rwanda : membre de l’équipe fondatrice de Nyundo (1901) et supérieur de l’équipe fondatrice de Rwaza (1903). C’était encore le temps des pionniers où les missionnaires portaient un rosaire autour le cou et tenaient une truelle ou un fusil à la main.

En 1904, il commet l’erreur de sa vie. A Rwaza il organisa des expéditions armées pour imposer son autorité aux Balera et aux Bagarura. Ceux-ci avaient refusé de construire la Mission par des corvées. Le résultat fut un désastre humain amplifié par les Allemands, qui mal informés, punirent eux-aussi une population innocente. Par la suite, le P. Classe fuit ses responsabilités, trompe ses supérieurs et fausse l’histoire. Ce méfait nous révèle le côté ombrageux de sa personnalité. Alors, il n’est pas étonnant que certains de ses confrères aient des difficultés pour accepter son autorité de Vicaire Général. 

En 1922, il succéda à Mgr Hirth et devint le premier Vicaire Apostolique du Rwanda. Sous son épiscopat, avec l’aide de l’élite politique, les Banyarwanda se convertiront en masse au catholicisme. De belles et amples églises seront érigées pour y organiser des cérémonies grandioses. Selon l’esprit de l’époque, la sacramentalisation de la population passera avant son évangélisation. La tentation est alors réelle de vouloir mesurer la profondeur de la foi de la population en passant par sa pratique sacramentelle. L’avenir montrera que c’est une erreur grave. Dans leurs revues, les Pères Blancs parlent du temps où l’Esprit Saint souffle en tornade sur le Rwanda. Mgr Classe fera de Kabgayi, dans le Marangara, la capitale de la chrétienté, séparée de la capitale royale à Nyanza et de la capitale coloniale à Kigali. Il s’agit d’un endroit stratégique entre deux capitales où le beau monde passe, dîne et loge. Il y « règnera » comme un prince entouré de sa Cour, toujours à l’affut des confidences et des nouvelles pour mieux passer à l’action. C’est un stratège hors pair. Sous son impulsion, l’Eglise catholique deviendra un Etat dans l’Etat grâce à des Missions florissantes avec leurs catéchuménats, écoles et dispensaires. Lui-même est devenu l’autorité incarnée qui tient les ficelles du pouvoir. Il se mêlera de tout et partout. Dans le plus grand secret, il intrigua avec les Belges contre le Mwami Musinga . Celui-ci, victime d’une trahison, sera destitué en 1931, et remplacé par son protégé et candidat, le Prince Rudahigwa. Cette intervention portera une atteinte de plus à la cohésion de la société rwandaise.

Avant que se produise le désastre de 1959, le Vicaire Apostolique vit l’apothéose de sa vie missionnaire. Avec succès, il intervient pour que le pays ne soit pas démembré d’une partie de son territoire par les Britanniques. A Nyanza, il fait construire une église sur l’emplacement du palais du Mwami Musinga ; le terrain avait été cédé en 1935. La Rome païenne est alors remplacée par la Rome chrétienne ! En 1937, il fait écrire l’histoire du Rwanda selon ses vues par son ami le Chanoine de Lacger, complétée plus tard par le Père Blanc D. Nothomb . A l’époque jusqu’en 1994, tout missionnaire qui arrivera au Rwanda sera supposé lire cette œuvre. Finalement, en 1943, il baptisera son protégé, le Mwami Rudahigwa. Un des prénoms choisi est le sien propre : « Léon » ! Le Rwanda est maintenant un royaume chrétien sous la gouvernance d’un nouveau « Constantin ». Mais combien d’années encore durera son règne ?

Déjà, à plusieurs reprises, nous nous sommes intéressé au P. Classe. Nous avons examiné ses interventions à Rwaza en 1904, et celles à l’occasion de la mort violente du P. Loupias en 1910. Quant à l’affaire de Rwaza, il ethnise ce drame et rejette la responsabilité sur l’élite politique et l’insécurité dans le pays. Et quant à « l’affaire Loupias », il explique la mort violente de son ami comme un meurtre et rejette la responsabilité sur un chef local qui se trouvait pourtant dans une situation d’auto-défense ! En effet, il sait exploiter des situations sans issue, toujours en sa faveur. Sûr de lui, il ne se décourage jamais. Le P. Dufays, son confrère, disait de lui : « … cet homme est un politique, sans franchise, rusant toujours  ».

Cette fois-ci, nous nous intéressons à sa première expérience missionnaire lors de son séjour à Nyundo de 1901 à 1903, puis à ses défis liés à la Grande Guerre de 1914 à 1918 et finalement à sa rencontre, en 1919, avec le P. Gorju, l’envoyé du Supérieur Général des Pères Blancs, Mgr Livinhac. Des difficultés rencontrées, il sortira victorieux grâce à ses « manœuvres » bien préparées. Sur le coup, Mgr Hirth, âgé et mal voyant, deviendra le bouc émissaire de la situation.

Nous avons pu rassembler ici 37 documents pour réaliser cette publication. Plusieurs sont de la main du P. Classe. Parmi ces 37 documents, il y a une lettre du P. Dufays, son confrère, son complice et son confident et trois lettres du P. Gorju, Visiteur canonique du Vicariat du Kivu.

La plupart des lettres du P. Classe sont adressées soit au Supérieur Général, soit à un membre du Conseil Général. Six lettres sont adressées au Père Provincial, le P. Roussez. Deux lettres sont adressées à ses confrères. Elles contiennent des instructions pastorales importantes. Puis viennent deux articles concernant les coutumes et les mœurs des Bagoyi. On lira pour finir les Rapports Annuels concernant la situation du Vicariat. Ils sont souvent très élaborés. Les Rapports Généraux, qui font partie des Rapports Annuels, ont été rédigés par le P. Classe lui-même.

Nous avons placé ces écrits dans leur contexte historique. Leur contenu est rangé en trois parties distinctes :

  I. Les premières années à Nyundo (1901-1903) ;

II. Face à la Grande Guerre (1914-1918) ;

III. La visite canonique du P. Gorju (1919).

En examinant le contenu et le style de ses écrits, le P. Classe se révèle comme un chef intelligent ayant beaucoup de perception et de vitalité. Mais aussi redoutable et sans pitié. Il sait présenter et défendre son point de vue. Sans doute, il parlait aussi bien qu’il écrivait. Vers la fin de sa vie, il ne supportait pas qu’il soit contredit par personne y compris ses proches collaborateurs.

Nous terminons avec les statistiques que nous avons à notre disposition. Toutes ont été publiées dans la revue Missions d’Afrique. Elles étaient utilisées pour évaluer le travail d’évangélisation. Et aussi pour stimuler la ferveur des missionnaires et la générosité des bienfaiteurs. Pour la période de 1914 à 1918, tous les Vicariats des Pères Blancs ont tenu leurs statistiques, sauf celui du « Kivou ». Le P. Classe, voulait-il cacher aux bienfaiteurs les conséquences désastreuses de la Grande Guerre pour le Vicariat ?

Dans cette publication, nous avons respecté l’orthographie des noms des personnes et des lieux de l’époque. Etant donné qu’elle n’était pas encore fixée, elle varie de document en document. Une liste avec quelques notes biographiques des missionnaires cités pourrait aider les lecteurs.

Nous sommes conscient que notre travail n’est pas complet. Pourrait-il autrement ? D’autres écrits du P. Classe existent certainement. Nous serons heureux d’apprendre que des chercheurs courageux complèteront un jour cette contribution à l’histoire de l’évangélisation du Rwanda.

P. Stefaan Minnaert, Historien. (A suivre…)