17 juin 1994: le conseil du gouvernement de Kambanda a menti que des combattants du FPR étaient présents à Bisesero, et a pris la décision d’aller exterminer les derniers civils tutsi de cette localité

By Dr BIZIMANA Jean Damascène*

L’héroïsme des Tutsi de Bisesero est reconnu dans l’histoire du Génocide perpétré contre les Tutsi. En 1994, les Basesero ont affronté vaillamment les tueurs qui les attaquaient pendant une période supérieure à deux mois, jusqu’à ce que le conseil du gouvernement de KAMBANDA examine cette situation en date du 17 Juin 1994. La décision a été prise d’y envoyer des militaires et un grand nombre d’Interahamwe pour exterminer les Basesero qui se défendaient encore avec leurs armes traditionnelles.

A cette date du 17 Juin 1994 également, après la libération par les troupes du FPR Inkotanyi des Tutsi qui s’étaient réfugiés au Centre National de Pastorale Saint Paul, les Interahamwe et les militaires du gouvernement ont rabattu toute leur fureur sur les Tutsi qui s’étaient réfugiés à l’église Sainte Famille. Vers 10h du matin, de nombreux tueurs se sont rendus à l’église Sainte Famille et y ont tué tous les réfugiés Tutsi qui s’y trouvaient depuis quelque temps.

1)      LA DÉCISION DU GOUVERNEMENT D’EXTERMINER LES TUTSI DE BISESERO A ÉTÉ PRISE LE 17 JUIN 1994

Dans leurs Agenda, les Ministres Pauline NYIRAMASUHUKO, Augustin NGIRABATWARE et Edouard KAREMERA sont tous revenus sur les discussions du conseil du Gouvernement du 17 juin 1994 sur la question de l’extermination des Tutsi de Bisesero. Le contenu des Agenda de ces ministres indique que le sujet principal discuté lors de ce conseil a été la question des Tutsi de Bisesero qui n’avaient pas encore été exterminés. NYIRAMASUHUKO a écrit que “ dans la Commune Gishyita, des Inyenzi étaient présents dans le Secteur Bisesero”

L’Agenda de KAREMERA indique la décision prise contre les Tutsi de Bisesero désignés sous le terme d’Inyenzi. KAREMERAy a consigné que le Gouvernement a pris la décision de mener une vigoureuse attaque sur Bisesero, avec l’appui des militaires venus de Gisenyi, et ce, avant le 20 juin 1994.

Il l’a écrit en ces termes: “Le Gouvernement décide qu’une intervention musclée soit faite à Bisesero, au besoin avec l’appui de Gisenyi et ce, au plus tard, le 20 juin 1994.”

Le conseil du Gouvernement a également décidé que pour que cette attaque réussisse dans tous ses objectifs, il fallait que des armes supplémentaires soient fournies aux Interahamwe dans le cadre de “ l’auto-défense civile “ pour qu’ils puissent commettre des massacres.

Dans l’Agenda de NYIRAMASUHUKO, celle-ci y a écrit que les Tutsi Basesero sont connus dans l’histoire du Rwanda comme des anciens éclaireurs guerriers féodaux, et que certaines personnes du FPR sont originaires de cette région, parmi lesquels POLISI Denis. NYIRAMASUHUKO a encore écrit que c’était BISERUKA, qui était un officier supérieur du FPR et qui avait été un militaire de l’armée du Gouvernement HABYARIMANA, qui avait choisi Bisesero comme l’endroit idéal pour mener bataille pour prendre Gisenyi. NYIRAMASUHUKO ajoute que cela montre que le FPR allait attaquer Gisenyi en passant par Bisesero et Kabuhanga, raison pour laquelle il était impérieux de mener une opération musclée à Bisesero.

La décision d’attaquer Bisesero apparait aussi dans l’Agenda de NGIRABATWARE dans lequel il est écrit qu’il a été décidé de relancer avec force la guerre dans toutes les régions.

Lors de ce conseil, il a été également décidé qu’à cause de l’attaque sur Bisesero qui se préparait, qu’il fallait protéger de la destruction certaines infrastructures situées dans la région de Bisesero et y envoyer des gendarmes et des militaires de réserve pour en assurer la protection. Les infrastructures qui devaient être protégées étaient les suivantes: les installations électriques, l’usine à thé de Gisovu, l’antenne de la télévision et de la radio de Karongi et les  infrastructures du projet Crête Zaïre Nil.

Cela constitue la preuve de la planification du Génocide, là où des infrastructures ont pris plus de valeur que la vie de civils qui étaient traqués uniquement parce qu’ils étaient Tutsi. Parmi les autorités qui portent une lourde responsabilité dans la mise en œuvre des massacres des Tutsi de Bisesero, il y avait notamment: les Ministres originaires de Kibuye Edouard KAREMERA, Eliezer NIYITEGEKA, Emmanuel NDINDABAHIZI, le Préfet Clément KAYISHEMA, Alfred MUSEMA qui était le Directeur de l’usine à thé de Gisovu. Tous ceux-ci ont été condamnés pour crime de génocide par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) qui les a condamnés à la prison à perpétuité. NIYITEGEKA et KAYISHEMA sont morts en détention.

D’autres qui y ont participé sont: le Bourgmestre de Sovu, Aloys NDIMBATI et celui de Gishyita, Charles SIKUBWABO. Ces deux derniers sont recherchés par la justice internationale. Il y a aussi Yussuf MUNYAKAZI et Obed RUZINDANA qui ont tous les deux été condamnés à 25 ans de prison par le TPIR.

2)      LE COLONEL INNOCENT BAVUGAMENSHI A ÉTÉ PRIS À PARTIE PAR LE CONSEIL DU GOUVERNEMENT PARCE QU’IL ÉTAIT HOSTILE AU PLAN DU GÉNOCIDE

Dans l’Agenda de NYIRAMASUHUKO y est écrit qu’un autre problème a été examiné par le conseil du Gouvernement du 17 juin 1994, celui du comportement du Colonel Innocent BAVUGAMENSHI qui était le commandant de la gendarmerie dans la Préfecture de Cyangugu. NYIRAMASUHUKO a écrit que le Lieutenant-colonel Claudien SINGIRANKABO était le responsable de la coordination des massacres dans le cadre de « l’auto-défense civile » dans Cyangugu, et qu’il s’était plaint de ce que ses activités étaient entravées par le comportement du Colonel Innocent BAVUGAMENSHI qui s’opposait aux massacres. Ces deux officiers supérieurs étaient originaires de Cyangugu.

Le Colonel BAVUGAMENSHI avait été nommé à Cyangugu le 20 avril 1994 en remplacement du Major Innocent MUNYARUGERERO qui était originaire de Ruhengeri et qui a porté une lourde responsabilité dans les massacres de Tutsi à Cyangugu, en collaboration avec le Lieutenant Samuel IMANISHIMWE, le Préfet BAGAMBIKI, les Sous-préfets Emmanuel KAMONYO, Theodore MUNYANGABE, Gerard TERUBURA et d’autres.

Le Colonel Innocent BAVUGAMENSHI, dès son arrivée à Cyangugu s’est comporté avec dignité et a refusé de mettre en oeuvre le Génocide. C’est lui qui a posté au camp des réfugiés de Nyarushishi des gendarmes en qui il avait confiance et auxquels il avait donné instruction d’assurer la sécurité des Tutsi qui y avaient été amenés, et d’employer la force des armes pour protéger les personnes hébergées dans le camp Nyarushishi, notamment contre les Interahamwe qui viendraient au camp avec l’intention d’enlever des Tutsi pour aller les tuer.

Le Gouvernement s’est également félicité de la bonne participation de la population au programme criminel « auto-défense civile », et de ce que des cotisations s’élevant à vingt-deux millions de francs rwandais (22,000,000 frw) avaient pu être collectées auprès de la population pour continuer la mise en oeuvre du Génocide.

3)      LE GOUVERNEMENT A REMPLACÉ CERTAINS DES BOURGMESTRES ET DES AUTORITÉS À DIFFÉRENTS NIVEAUX POUR ACCÉLÉRER LA MISE EN OEUVRE DU GÉNOCIDE

A mesure que les troupes du FPR Inkotanyi gagnaient la guerre contre les génocidaires, certains des Bourgmestres et des autorités à différents niveaux se sont enfuis, craignant d’être arrêtés et de rendre compte des crimes qu’ils avaient commis. Le Gouvernement en a remplacé beaucoup dans sa réunion du 17 juin 1994.

Les autorités nouvellement nommées sont reprises ci-après et étaient tous des extrémistes qui étaient favorables au plan du Génocide.

Au Ministère des Finances ont été nommés: Directeur de cabinet du Ministre : NTIRIGIRUMWE Gervais ; Conseiller politique et juridique : VAINQUEUR Alphonse ; Directeur General du Ministère :NTAHONDI Félicien ; Gouverneur de la Banque Nationale : NTIRUGIRIMBABAZI Denis ; Directeur General de la Banque Rwandaise du Développement (BRD) : GASAMUNYIGA Froduald.

Ont été nommés, les quinze (15) Bourgmestres suivants :

Dans la Préfecture Ruhengeri, Commune Kinigi: HAGUMIMANA Etienne, Commune Mukingo : KAJELIJELI Juvénal. Dans la Préfecture Butare,Préfet : Lieutenant-colonel Alphonse NTEZIRYAYO ; Commune Nyabisindu : NGIRUWONSANGA Vincent, Commune Rusatira : KANDAGAYE Jean Marie Vianney, Commune Muganza : NDAYAMBAJE Elie, Commune Ndora : UWIZEYE Fidèle

Dans la Préfecture Gitarama, CommuneMasango : MWANAFUNZI Anthere, Commune Nyabikenke : MUSABYIMANA Vedaste, Commune Nyakabanda : NSABIMANA Camille, CommuneMusambira : KARANI Dominique. Dans la Préfecture Gisenyi, Commune Nyamyumba : NZITABAKUZE Henri

Kigali ville et Kigali Ngali, Commune Kicukiro : KARANGANWA Gerard, Commune Kanombe : NDUWAYEZU Jean, Commune Tare : RUKIMBIRA Leodomir, Commune Butamwa : MUHIZINA Sébastien.

4)      LA DÉFAITE DU GOUVERNEMENT DE KAMBANDA A COMMENCÉ À TRANSPARAITRE DANS LES CONSEILS DU GOUVERNEMENT

Selon le contenu de l’Agenda de Edouard KAREMERA, le conseil du Gouvernement du 17 juin 1994 a également exposé le problème entre le Gouvernement et les militaires qui critiquaient le Gouvernement en affirmant que les Ministres et autres autorités fuyaient les problèmes, et étaient plutôt préoccupés à chercher où se réfugier, surtout dans les régions frontalières avec les pays voisins, au lieu de participer à la guerre avec les militaires.

KAREMERA a écrit que la faible participation des ministres aux conseils du Gouvernement ajoutait aux problèmes, donnant pour exemple que seuls neuf (9) Ministres ont participé au conseil du 17 juin 1994.

Au cours de ce conseil, des discussions montrant le découragement du Gouvernement génocidaire de KAMBANDA ont porté sur le fait que les hautes autorités, dont des Ministres, étaient plutôt préoccupées à chercher un refuge pour leurs familles dans des pays étrangers. Ce qui est la preuve du peu de collaboration entre eux.

CONCLUSION

La décision du Gouvernement d’attaquer militairement des civils Tutsi qui jusque-là avaient survécu à Bisesero, la distribution d’armes et les entrainements des Interahamwe dans le cadre de « l’auto-défense civile » sont parmi les preuves de ce que le Génocide perpétré contre les Tutsi a été planifié par l’Etat rwandais pour exterminer les Tutsi du Rwanda. (Fin).

* Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)