Début de Turquoise: opération militaire française au secours du gouvernement génocidaire et de son armée

By Dr BIZIMANA Jean Damascène*

INTRODUCTION

Depuis avril 1994, le FPR a lancé une campagne contre le génocide, elle a mené un combat acharné contre le gouvernement génocidaire, ce qui lui a permis de sauver la vie de plusieurs milliers de personnes vouées a la mort. Pendant le génocide l’armée génocidaire qui essuyait des revers s’est toujours tournée vers Paris pour demander de l’aide. Le gouvernement génocidaire voyait dans l’opération Turquoise une réponse à  ses requêtes et la France une occasion d’y satisfaire.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU autorise, par sa résolution 929 du 22 juin 1994 adoptée en vertu du chapitre VII et à l’initiative de la France, une opération soi-disant humanitaire pouvant employer la force sur terrain. Ce mandat avait pourtant été refuse à la MINUAR qui agissait sous le chapitre VI, l’usage de la force lui étant interdit par son mandat.

L’opération Turquoise est le résultat d’un malentendu soigneusement entretenu. Tout le monde croit que son but est d’arrêter le génocide et de sauver les Tutsi survivants. C’est ce que les responsables français proclament et ce que la presse, prise en main par le SIRPA, le service d’information de l’armée française, est chargée d’écrire.

En réalité, comme l’indique l’article 2 de la résolution 929 par laquelle l’ONU autorise l’opération sous chapitre VII, il s’agit de contribuer de manière impartiale « à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ». À cette date, la plupart des Tutsi sont morts. Les personnes déplacées, les réfugiés et les civils en danger sont les Hutu, dont plus de 100 000 ont participé aux massacres.

Comme l’opération se veut impartiale, c’est-à-dire qu’elle ne tient pas compte du génocide des Tutsi, puisqu’il n’en est pas question dans la résolution, la France va remplir sa mission en prenant la défense des Hutu, donc du Gouvernement intérimaire rwandais, de son armée et de ses milices.

En clair, ils voulaient empêcher la victoire du FPR, ou au moins stopper son avance pour l’obliger à négocier avec les partis politiques hutu.

1)    L’Opération Turquoise montre l’hypocrisie de l’Organisation des Nations Unies,

Le Général Romeo Dallaire avait demandé en vain  le renforcement du mandant de la MINUAR. A son grand étonnement, Dallaire a été informe tardivement de l’Opération Turquoise, alors que les FAR étaient au courant des démarches au sein des instances onusiennes. L’Opération Turquoise a été décidé en ignorant complètement la présence de la MINUAR au Rwanda. Le Secrétaire General des Nations Unies, Boutros-Boutros Ghali a reçu avec enthousiasme la décision de création de l’opération Turquoise.

Cette opération, décidée presque à la fin du génocide ignorait complétement que plus d’un million de Tutsi venaient d’être extermines, son objectif était de créer une zone humanitaire de sécurité pour les déplacés. Ces déplacés, il faut le rappeler étaient poussés par un régime génocidaire qui utilisait la population civile comme bouclier humain jusqu’au Zaïre.

« Celui de secourir les Tutsi menacés semble accessoire devant l’objectif, non affiché publiquement, de stopper l’avance des combattants du FPR et de maintenir, voire étendre, le réduit gouvernemental afin de remettre ce gouvernement en position plus favorable pour négocier ».

2)    L’Opération Turquoise, une réponse à la requête  du gouvernement génocidaire et de son armée

Lorsque la nouvelle de l’Opération Turquoise a été annoncée par la RTLM, les militaires au camp Kigali et dans d’autres régions tenues encore par le gouvernement génocidaire, ont crié de joie, ils croyaient que la France venait les sauver.

Jean Kambanda le premier ministre du gouvernement génocidaire pensait que les Français venaient faire front commun avec les FAR à partir de la partie Ouest comprenant les régions de Gikongoro, Kibuye et Cyangugu contre le FPR. Or, il n’avait pas tort, puisque l’Opération Turquoise a été conçue comme une Opération militaire visant à anéantir le FPR et à prêter main forte au gouvernement génocidaire.

Dans son rapport d’une mission à Paris, du 9 au 13 mai, le lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda, faisait état de sa rencontre avec le Général Jean-Pierre Huchon qui lui avait annoncé que des téléphones pour des communications secrètes avaient déjà été envoyés d’Ostende, que les Français étaient prêts à apporter leur aide. Ce rapport sous-entend que Rwabalinda s’est rendu à Paris pour « discuter de l’intervention française en voie de préparation.

3)      Mitterrand voulait une guerre ouverte pour sauver le gouvernement génocidaire et son armée

Les objectifs de l’intervention militaire française au Rwanda ainsi que ses modalités de réalisation devaient opposer le président Mitterrand à son Premier ministre Balladur. Le ministre des Affaires étrangères Juppé, s’alignera aux positions du président Mitterrand.

Le président Mitterrand avait pour projet d’intervenir à Kigali même, de diviser, aussi bien la ville  que  le  pays  en  deux  et  permettre  soit  une  reconquête  des  FAR,  soit  forcer  une négociation sur les positions défendues par l’armée française. Cette intervention militaire française, en faveur des FAR et en plein génocide, semble avoir été préparée depuis quelques mois.

Alison Des Forges rapporte que les diplomates français chargés de défendre l’opération Turquoise au Conseil de sécurité auraient présenté, sur une carte, une zone d’intervention englobant « tout le territoire situé à l’ouest d’une ligne qui partait de Ruhengeri au nord, puis descendait en direction du sud-ouest vers Kigali et finissait sa course dans une direction sud-ouest, à Butare. Cette zone aurait compris Gisenyi, là où le Gouvernement intérimaire s’était réfugié, de même que la région d’où Habyarimana était originaire, comme d’officiers de haut rang de l’armée rwandaise. Cette zone, où les forces gouvernementales avaient concentré le gros des troupes et du ravitaillement, aurait constitué un site idéal pour lancer une contre-offensive. »

Sans désigner directement le président Mitterrand, l’ancien Premier ministre Edouard Balladur confirme l’existence d’une volonté intervention militaire française à Kigali. Dans son audition devant la MIP, il déclare qu’il est « exact que certains responsables aient envisagé une intervention militaire, notamment à Kigali. »

Balladur affirme, s’agissant du président Mitterrand, qu’« il n’était pas question, à ses yeux, de châtier les auteurs Hutus du génocide et il n’était pas question aux miens de permettre à ceux-ci d’aller se mettre à l’abri au Zaïre ».

Le premier ministre Balladur s’est opposé à l’option agressive du président Mitterrand et a posé les cinq conditions suivantes au déploiement de l’opération Turquoise, notamment l’autorisation par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, la limitation de l’opération dans le temps à quelques semaines en attendant l’arrivée de la MINUAR. Face à cette opposition des points de vue, l’armée française va opter pour l’application des deux visions, l’une officielle, celle du Premier ministre Balladur et une autre clandestine, celle du président Mitterrand.

 4)      L’opération Turquoise est une opération militaire dès le départ

  1. a)      Des moyens humains et matériels impressionnants

Pour mener cette opération, la France aligne au total 3.060 hommes provenant des meilleures unités de son armée : éléments de la 3e demi-brigade de la Légion étrangère, du 2e régiment étranger d’infanterie, du 2e régiment étranger de parachutistes, du 6e régiment étranger de génie ; éléments du régiment d’infanterie chars de marine ; forces spéciales du RPIMa agissant dans le cadre des « opérations spéciales » (OPS) avec des agents de la GIGN et l’EPIGN, et en parallèle avec des équipes CRAP de la 11e DP et des éléments du 13e   RDP ; deux unités du service santé des armées, (un élément médical d’intervention rapide dit EMMIR basé à Cyangugu et la Bioforce basée à Goma); éléments issus de la 11e division parachutiste CRAP du 35e RAP ; soutien et transmetteurs du 14e RPCS.

Décrivant le dispositif mis en place, un journaliste de Libération dépeint Turquoise comme un ensemble de « forces d’élite appartenant essentiellement à l’armée de terre, […], à l’armée de l’air, à la marine et à la gendarmerie [qui] sont les mieux entraînées, les mieux équipées […] de l’armée française, dotées de moyens exceptionnels, en termes de puissance de feu, de système de communication et de renseignement »

Les troupes de l’armée française sont épaulées par 508 militaires fournis par sept pays africains : Sénégal, Guinée-Bissau, Tchad, Mauritanie, Egypte, Niger et Congo. Ceux-ci semblent servir de caution internationale à l’armada française.

Au niveau matériel, les moyens sont tout aussi importants. Pour ce qui concerne la partie la plus visible de l’équipement aérien, selon un magazine militaire spécialisé, l’opération Turquoise a déployé sur les bases avancées de Goma, Bukavu et Kisangani « six C-130 Hercules, neuf C-160 Transall, un Falcon-20 et un CASA-235 de liaison. L’armée de l’air a en outre affrété un Airbus, un Boeing -747 ainsi que dix-sept Antonov-124 Condor et Illyshin II-76 Candid pour le fret lourd. Sur la base de Kisangani seront maintenus quatre avions d’appui tactique Jaguar (venus de Bangui), quatre avions d’appui tactique Mirage-F1 CT (de Colmar), quatre avions de reconnaissance Mirage F1- CR (de Reims), et deux avions de ravitaillement en vol C-135F ».

De par les ordres d’opération, l’armement et le personnel aux commandes de l’opération Turquoise, toutes les conditions d’une guerre contre le FPR, mais malheureusement contre les Tutsi de façon générale, étaient réunie. A l’opposé des déclarations d’intention françaises, ce que montre la description de l’action des troupes françaises de Turquoise au Rwanda de façon abondante, récurrente et précise, c’est cette guerre de l’ombre mais combien meurtrière contre les Tutsi. En plein génocide.

  1. b)     L’Opération Turquoise prolonge leu soutien militaire que la France a donné au régime génocidaire depuis Octobre 1990

Des militaires de Turquoise sont des anciens de Noroît.  Alors que l’opinion s’imagine que le but de l’intervention française est d’arrêter le génocide, la France envoie au Rwanda les militaires qui avaient formé pendant quatre ans les FAR et combattu à leurs côtés. Ce sont donc les alliés de ceux qui ont exécuté le génocide, les FAR et leurs appendices, les milices et groupes d’autodéfense. Mais, à bien relire leurs interventions publiques, les dirigeants français n’ont pas dit qu’ils allaient arrêter le génocide. Ils ont dit que leur but était de « mettre fin aux massacres », de « protéger les populations menacées d’extermination », d’« assurer la sécurité des populations civiles qui ont échappé à l’extermination ». Selon Mitterrand, il ne s’agit pas d’arrêter le génocide des Tutsi, il s’agit bien plutôt, d’aller au secours des populations hutu menacées par l’armée du FPR.

Conclusion

Les intentions réelles de Turquoise : préserver un « Hutuland », soutien militaire aux FAR et au GIR. Vus les antécédents de l’implication de la France au Rwanda, les nombreux écrits de journalistes et d’écrivains sur ce thème, plusieurs éléments du rapport de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda, amènent à conclure que l’opération Turquoise est le prolongement du soutien militaire français au Gouvernement génocidaire et à son armée, les FAR. Édouard Balladur, dans une lettre du 21 juin 1994 à François Mitterrand, semble prendre date et met en garde le Président de la République. Parmi les « conditions de réussite » de l’opération Turquoise, il cite : « Limiter les opérations à des actions humanitaires et ne pas nous laisser aller à ce qui serait considéré comme une expédition coloniale au cœur même du territoire du Rwanda. »

Comme on pourra le voir dans les publications qui vont suivre, la France, a engagé son armée aux côtés des assassins après son déploiement, le 23 juin 1994 au Rwanda. (Fin).

*Dr BIZIMANA Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide