Le présumé financier du génocide des Tutsi arrêté en France après 26 ans de cavale

Kigali: Félicien Kabuga, l’un des fugitifs les plus recherchés dans le monde suspecté d’avoir été l’une des figures de proue du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, a été arrêté à Paris par les autorités françaises à l’issue d’une enquête conjointe du Bureau du Procureur du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux internationaux (le « Mécanisme »).

L’homme d’affaires rwandais Félicien Kabuga, considéré comme le financier du génocide de 1994 et activement recherché par la justice internationale depuis vingt-cinq ans, a été arrêté ce samedi 16 mai dans la matinée en région parisienne. 

«Agé de 84 ans, il résidait sous une fausse identité dans un appartement d’Asnières-sur-Seine, grâce à une mécanique bien rodée et avec la complicité de ses enfants», a précisé le parquet général de Paris dans un communiqué.

À l’annonce de cette nouvelle, Serge Brammertz, le Procureur du Mécanisme, a déclaré ce qui suit :

L’arrestation ce jour de Félicien Kabuga rappelle avec force que les personnes responsables de génocide doivent répondre de leurs crimes, même vingt-six ans après les faits.

Nos premières pensées vont bien entendu aux victimes et aux survivants du génocide dont le Rwanda a été le théâtre. Défendre leur cause est un immense honneur pour l’ensemble des membres de mon bureau.

Au plan de la justice internationale, l’arrestation de Félicien Kabuga démontre que nous pouvons avancer lorsque nous disposons du soutien de la communauté internationale. Cette réussite salue l’engagement sans faille du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a créé le Mécanisme pour poursuivre le processus d’établissement des responsabilités des auteurs de crimes au Rwanda et en ex-Yougoslavie.

Je souhaite remercier la France et ses forces de l’ordre, et en particulier le bureau central spécialisé dans la lutte contre les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre, ainsi que le bureau du Procureur général près la cour d’appel de Paris. Cette arrestation n’aurait pas été possible sans leurs coopération et savoir-faire exceptionnels.

Je souhaite également remercier les nombreux autres intervenants dont la contribution a été essentielle, à savoir le parquet général du Rwanda, le parquet fédéral de la Belgique ainsi que les services de police du Rwanda, de la Belgique, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche, du Luxembourg, de la Suisse, des États-Unis d’Amérique, EUROPOL et INTERPOL. Cette arrestation montre les résultats importants pouvant naître de l’entraide judiciaire internationale et de la coopération entre les forces de police de différents pays.

Cette année, des représentants de mon bureau se sont rendus au mémorial du génocide de Ntarama, au Rwanda, pour honorer la mémoire des victimes et renouveler notre engagement en faveur de la justice. L’arrestation de ce jour souligne la force de notre détermination.

Félicien Kabuga a été mis en accusation par le Tribunal international pour le Rwanda en 1997. Les sept chefs d’accusation suivants ont été retenus contre lui à raison de crimes commis au cours du génocide perpétré en 1994 contre les Tutsis au Rwanda : génocide, complicité dans le génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, tentative de génocide, entente en vue de commettre le génocide, persécutions et extermination.

Une fois achevées toutes les procédures nécessaires en droit français, Félicien Kabuga devrait être placé sous la garde du Mécanisme en vue de son procès. Les forces de l’ordre françaises ont arrêté Félicien Kabuga dans le cadre d’une opération coordonnée sophistiquée ayant nécessité la fouille simultanée de plusieurs endroits.

Félicien Kabuga est le dernier « gros poisson » du génocide des Tutsi que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) n’avait pas réussi à arrêter.  Les Etats-Unis d’Amérique étaient prêts à offrir 5 millions de dollars (4,4 millions d’euros) pour le moindre renseignement susceptible de conduire à sa capture.

Félicien Kabuga dont une fille était mariée à un fils du Président rwandais Juvénal Habyarimana appartenait au cercle restreint de ce dernier, dont l’assassinat dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres.

Il présidait la Radio Télévision Libre des mille-collines (RTLM), qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsi, et le Fonds de Défense Nationale (FDN) qui collectait « des fonds » destinés à financer la logistique et les armes des miliciens hutu Interahamwe qui furent le fer de lance du génocide, selon l’acte d’accusation du TPIR.

Il est également accusé d’avoir « ordonné aux employés de sa société (…) d’importer un nombre impressionnant de machettes au Rwanda en 1993 », avant de les faire distribuer en avril 1994 aux Interahamwe.

Réfugié en Suisse en juillet 1994 avant d’être expulsé, Félicien Kabuga avait ensuite temporairement rejoint Kinshasa. Il avait été signalé en juillet 1997 à Nairobi, où il avait échappé à une opération destinée à l’arrêter, puis à une autre en 2003, selon l’ONG spécialisée TRIAL. (Fin)