Les Tutsi furent tués à Musambira et à Byimana, et la communauté internationale a continué de refuser l’assistance aux Tutsi pendant le génocide

By Dr Bizimana Jean Damascène*

Le 20 avril 1994, le Gouvernement génocidaire continuait à exterminer les Tutsi à travers tout le pays. Ci-après, sont exposés des massacres qui ont été commis contre de nombreux Tutsi en dates du 14 – 18 mai 1994 et qui ont pu être répertoriés.

1)      Massacres de Tutsi au Centre de Santé et à la Paroisse de Musambira, Kamonyi.

Dans la Commune Musambira, les derniers massacres de grande ampleur dataient du 18 au 20 avril 1994.

Le 14/05/1994, les massacres ont redoublé d’intensité. Certains parmi ceux qui avaient survécu aux massacres qui étaient commis dans différentes localités de cette Commune, se sont réfugiés au Centre de Santé de Musambira et au bureau de cette Commune qui était situé à proximité de ce dernier. Pour maintenir les Tutsi ensemble et à leur merci, les autorités locales leur ont demandé de se rendre à la Commune et au Centre de Santé où ils seraient protégés, leur promettant même de leur construire d’autres maisons pour remplacer celles qui avaient été détruites.

Le 14/5/1994, un groupe de tueurs a encerclé le Centre de Santé, et a massacré le même jour tous les Tutsi de sexe masculin, sans toucher aux femmes. Les cadavres ont été tellement nombreux qu’ils étaient amoncelés jusqu’à la place du marché réservé à la vente de bétail ; les tueurs ont ordonné aux femmes Tutsi de transporter les cadavres dont la plupart étaient ceux de leurs époux. Les femmes ont refusé de le faire, les tueurs ont commencé à les battre mais ont finalement traîné les corps pour les mettre dans une fosse dans laquelle étaient jetés les déchets de l’abattoir, et dans d’autres fosses où étaient jetés les déchets  du Centre de Santé.

Le lendemain 15/5/1994, les tueurs sont arrivés en compagnie d’enfants auxquels ils ont demandé de tuer les enfants Tutsi qui avaient été laissés de côté avec les femmes lorsque, le 14/5/1994, les hommes et jeunes gens Tutsi de sexe masculin avaient tous été massacrés. Les enfants amenés par les génocidaires étaient armés de machettes et de gourdins, et encadrés par les tueurs adultes. Le même jour, tous les enfants Tutsi furent massacrés par leurs compatriotes de même âge, et seules les femmes et les nourrissons qu’elles portaient, restaient encore en vie.

Le 16/05/1994, des tueurs sont venus chercher les femmes Tutsi qui se trouvaient au Centre de Santé et les ont livrées à d’autres génocidaires qui tenaient une barrière à un endroit appelé Cyakabiri, lesquels les ont à leur tour amenées à Kagarama, vers Nyarubaka. Ils y ont trouvé un autre groupe de tueurs et les femmes furent massacrées, lapidées, enterrées vivantes, torturées.

Les jours suivants, les massacres ont continué dans cette localité.

Le 18/05/1994, les Tutsi qui s’étaient réfugiés à la Paroisse Saint Kizito de Musambira, ont été massacrés. Les Tutsi qui s’y étaient réfugiés étaient venus de différentes localités,  y compris ceux qui habitaient déjà la Commune Musambira et les communes avoisinantes ; ils étaient aussi venus de Runda et Kigali, et se dirigeaient vers Kabgayi. Ils ont été tués a l’aide de fusils et armes traditionnelles. Après le Génocide, les corps de ceux qui y étaient inhumés ont été déplacés au mémorial du Génocide de  Kibuza.

Les principaux acteurs des massacres de Musambira sont :

Ø  NYANDWI Charles, Bourgmestre de Musambira ;

Ø  KARANE Dominique, un ancien Bourgmestre de Musambira ;

Ø   IYAKAREMYE Abudrahamani ;

Ø  SEKAZIGA ;

Ø   RUKUNDAKUVUGA Evariste ;

Ø   RYUMUGABE Alphonse ;

Ø   KARAMBIZI (qui était Conseiller) ;

Ø   MUHOZI Jafari ;

Ø   HARERIMANA Yozefu alias NTURO ;

Ø   Frodouard qui était policier;

Ø   LANDUWARIDI, VIANNEY, et d’autres Interahamwe et tueurs Hutu.

2)      Massacres de Tutsi à Nyarubaka, Gitega, Kamonyi

Le 16/05/1994, les femmes qui ont été amenées du Centre de Santee de Musambira et dont les époux et enfants avaient été massacrés, ont été conduites avec leurs nourrissons, à un endroit appelé Gitega, dans le Secteur de Nyarubaka, dans l’ancienne Commune de Musambira.  Arrivés à cet endroit, les tueurs ont déclaré qu’aucun enfant Tutsi de sexe masculin ne devait survivre. Parce que les enfants de sexe masculins étaient particulièrement recherchés pour être tués, certains des parents ont essayé de leur faire revêtir des vêtements féminins.

Parmi les tueurs a Gitega, il y avait une femme du nom de MUKANGANGO Laurence qui vérifiait qui des enfants étaient filles ou garçons. Les enfants de sexe masculins ont tous été jetés vivants dans une fosse et les tueurs ont ordonné aux femmes Tutsi de les recouvrir de terre. Certaines d’entre elles l’ont refusé et ont été battues avant d’être tuées sur le champ, et les autres ont accepté de recouvrir de terre les enfants.

Ces enfants sont morts dans les pires souffrances, certains demandaient de ne pas les obstruer les yeux avec la terre, d’autres demandaient pardon et disaient qu’ils ne recommenceront plus à être Tutsi, la plupart ont essayé de sortir de la fosse en vain. 78 enfants y ont été tués.

Depuis cet endroit vers le Secteur de Nyarubaka, de nombreuses femmes et filles ont été tuées en cours de route, et torturées ; arrivées à Musumba elles furent encore plus violemment battues en présence de RUZIGANA Emmanuel, le Bourgmestre de la Commune Nyamabuye qui était venu y organiser une réunion ; quelques survivantes sont arrivées à Kabgayi, d’autres ont continué à errer dans les bois jusqu’à la fin du Génocide.

3)      Massacres de Tutsi à l’Ecole des Sciences à Byimana

Pendant le Génocide perpétré contre les Tutsi, 105 Tutsi ont été tués dans un bois dans la propriété de l’Ecole des Sciences à Byimana. Cette école est située dans l’ancienne Préfecture de Gitarama, Commune Mukingi,  Secteur Muhororo, Cellule de Kigarama, actuellement en District Ruhango, Secteur Byimana, Cellule Bukomero, village Muhororo. Cette école était gérée, et encore jusqu’aujourd’hui, par les Frères Maristes.

De nombreux Tutsi y ont été tués, en particulier ceux qui y étaient venus en provenance de Kabgayi,  parmi lesquels des Frères Maristes Tutsi qui s’y étaient réfugiés le 24/04/1994, après avoir été chassés de leur établissement de Byimana par leurs collègues Hutu ; ils avaient été amenés à Kabgayi par leur Supérieur, Uwamungu Jean Bosco.

Le 29/4/1994, les tueurs ont d’abord tué un enseignant du nom de Nteziyaremye Migabo Lazare qu’ils ont amené depuis l’école pour aller le tuer au centre de Byimana où il habitait.

Des jours après, le 13/05/1994, les enseignants Tutsi de l’école de Byimana furent tués, parmi lesquels Rubayiza Etienne qui s’était caché dans l’enceinte de l’école, Gasana Balthazar et  Nyirakazungu  Gloriose qui habitaient dans des locaux des Frères Maristes à l’extérieur de l’école et qui furent fusillés par des militaires. Gasana a été tué avec son fils Niragire Prudence. Dans l’enceinte de l’école habitaient les épouses des militaires du camp Gako qui avaient fui Bugesera après la prise de cette localité par les troupes du FPR Inkotanyi. Après la prise de Bugesera, il y avait également des militaires qui avaient été blessés au front.  Ceux-ci sont parmi les auteurs des massacres à Byimana.

Le 24/4/1994, des militaires avaient ramené de Kabgayi où ils s’étaient réfugiés, des Frères Maristes de Byimana, parmi lesquels le Préfet des études Gatari Gaspard, Nyirinkindi Canisius et  Bisengimana Fabien qui furent tués par ces militaires à Byimana. Il y en avait d’autres qui travaillaient à Kabgayi, comme le Frère Supérieur des Frères Maristes au niveau national et qui avait son siège à Kabgayi, le Frère Munyanshongore.

Parmi ceux qui ont été ramenés de Kabgayi, il y avait aussi le Père Niyonshuti Célestin qui avait été affecté dans le passé à la Paroisse  catholique de Byimana, et la Sœur des Abenebikira, Mama Benigne, qui dirigeait le Centre nutritionnel de la Diocèse de Kabgayi, tous les deux furent également tués à Byimana.

En général, la plupart de ceux qui ont été ramenés de Kabgayi étaient des Frères Maristes, des religieux et d’autres Tutsi qui s’y étaient réfugiés, en particulier les plus connus parmi lesquels KALINDA Viateur qui était journaliste sportif à Radio Rwanda, et d’autres.

Avant qu’ils ne soient ramenés de Kabgayi pour être tués à Byimana, leurs collègues Hutu de Byimana sont allé les visiter et leur apporter à manger à Kabgayi, mais c’était pour mieux s’informer notamment sur leur nombre et leur identité, jusqu’à ce qu’ils ont demandé que leurs collègues Tutsi soient ramenés à Byimana pour y être tués. Dès qu’ils sont arrivés, ils ont été fusillés par les militaires qui vivaient dans les locaux des Frères Maristes après avoir été blessés au front. Parmi eux il y a le Lieutenant Monique et un militaire du nom de Nzayisenga qui était originaire de Byimana.

Parmi les responsables de ces massacres il y avait notamment  :

Ntamugabumwe Emmanuel, Nduwamungu Emmanuel et Kibihira qui ont tous été condamnés pour crime de génocide par les juridictions Gacaca. Parmi ceux qui ont planifié ces massacres il y avait aussi le curé de la Paroisse catholique de Byimana, le Père NDAGIJIMANA Joseph qui a été condamné par les tribunaux à la prison à perpétuité et qui est incarcéré à la prison de Nyanza à Mpanga, le Frère NKUSI François, originaire de Cyanika en District de Nyamagabe et qui résidait dans les locaux des Frères Maristes à Byimana, lequel a été condamné à vingt-cinq (25) ans de prison par la juridiction Gacaca du Secteur Muhororo, il est incarcéré à la prison de Nyanza.

Il y avait également le Frère Uwamungu Bosco qui résidait à Byimana, il a été ordonné prêtre après le Génocide ; il réside actuellement aux Etats Unis d’Amérique (USA), il a été condamné par la juridiction Gacaca du Secteur Muhororo à trente (30) ans de prison ; Rugamba François qui était chauffeur des Frères Maristes, il a été condamné par les tribunaux à trente (30) ans de prison, il est incarcéré à la prison de Nyanza ;  Ntiyamira Alexis qui était président du MDR dans la Commune Mukingi et était aussi enseignant au Groupe Scolaire Shyogwe, il s’est réfugié en RDC.

4)      L’ONU a continué de refuser de porter secours aux Tutsi contre qui un Génocide était en train d’être perpétré

Le 17 mai 1994, le Conseil de Sécurité de l’ONU a voté une résolution qui augmentait le nombre des casques bleus de la MINUAR à cinq mille cinq cent (5,500) hommes et qui imposait au Rwanda un embargo sur les armes. L’ONU a cependant refusé de donner à la MINUAR mandat d’utiliser la force pour arrêter le Génocide.

Celui-ci a pris fin avant que cette résolution relative à l’embargo sur les armes ne puisse être respectée. Et pourtant la BBC avait annoncé dans les informations diffusées le 14 mai 1994, que des pays comme le Nigeria, le Ghana, la Tanzanie, le Zimbabwe, la Zambie, le Sénégal et l’Australie avaient promis de fournir de nouvelles  troupes a la MINUAR. Radio BBC expliquait alors que le Secrétaire General de l’ONU, Boutros-Boutros Ghali, avait dans son rapport déclaré que la MINUAR aura besoin d’un budget de 110 millions de dollars américains, somme qui n’a jamais été réunie.

Les discussions au Conseil de Sécurité de l’ONU ont été caractérisées par le refus de la part du Gouvernement génocidaire rwandais et de ses alliés français de voter toute résolution en faveur des Tutsi qui étaient en train d’être exterminés. Le représentant du Rwanda à l’ONU, BIZIMANA Jean Damascene (qui s‘est réfugié aux USA),  et Jean Bernard MERIMEE, ambassadeur de la France à l’ONU, ont refusé de voter l’augmentation des troupes de la MINUAR au Rwanda et de voter l’embargo sur les armes du Gouvernement génocidaire.

5)      Le mot génocide a été prononcé par le Pape Jean-Paul II

Après un mois et demi pendant lequel les Tutsi étaient chaque jour massacrés sous les yeux de la communauté internationale, et alors que l’ONU continuait de refuser de qualifier de génocide les massacres des Tutsi, le Chef de l’Eglise catholique, le Pape Jean Paul II a dénoncé cette situation.

Dans son message au monde du dimanche 15 mai 1994, il a exhorté la communauté internationale de faire son possible pour arrêter le Génocide au Rwanda.  Le Pape Jean  Paul II a également demandé de mettre en place des mécanismes pour poursuivre en justice les responsables du Génocide.

La Radio France Internationale, RFI, par le biais de son journaliste Jean Helene, présent au Rwanda dans la partie contrôlée par le Gouvernement génocidaire, a continué à soutenir celui-ci et à donner la parole à ses représentants. Le 15 mai 1994, RFI a donné la parole au chef des Interahamwe, Robert Kajuga, qui a nié tous les massacres commis par le Gouvernement de Kambanda, ses forces armées et les Interahamwe/Impuzamugambi, et clamé  que ceux qui étaient tués étaient des Inkotanyi et non pas des civils.

 CONCLUSION

Le 18 mai 1994, le Génocide avait déjà emporté de nombreux Tutsi dans tout le pays, il ne restait qu’un petit nombre de survivants qui résistaient encore où qui n’avaient pas encore été tués pour différentes raisons. Tous les efforts mis à contribution par l’Etat dans les massacres et sa part de responsabilité dans ceux-ci en incitant la population Hutu à commettre le Génocide qui a exterminé les Tutsi, constituent la preuve irréfutable que le Génocide perpétré contre les Tutsi a bel et bien été planifié et mis en oeuvre par l’Etat rwandais. Les présentes dates ont été surtout caractérisées par les massacres d’enfants en bas âge et de femmes qui vivaient encore à cette époque.

* Dr Bizimana Jean Damascène, Secrétaire Exécutif Commission Nationale de Lutte contre le Génocide (CNLG)