Procès Munyemana à Paris pour génocide, 13 décembre 2023. J22

Avant de reprendre l’interrogatoire de l’accusé, ce dernier demande à faire une déclaration.

« Contrairement aux apparences, je ne suis pas enfermé dans une bulle. Je m’occupais de mes enfants. Je ne suis pas resté insensible. J’ai oublié. Je ne savais pas que j’aurais des comptes à rendre. Je me sens comme dans une carapace. Les échanges d’hier m’ont touché. Cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour les victimes. » (NDR. Probablement une mise au point préparée avec ses avocats pour atténuer le sentiment qu’il a laissé la veille lors de la seconde journée de son interrogatoire.)

Interrogatoire de l’accusé (suite et fin).

Les conditions de la remise des clés du secteur.

À propos de ce thème, on est en présence de plusieurs versions, commence le président. À monsieur MUNYEMANA: « Vous auriez confisqué les clés à BWANAKEYE lors de la réunion du 17 avril. Des témoins le disent. D’autres disent que vous n’avez jamais eu ces clés. GASHONGORE, que vous auriez récupéré les clés chez son frère MAMBO, le conseiller de cellule, chez qui vous seriez allé avec KUBWIMANA. Vous dites que vous vous êtes bien rendu chez MAMBO mais que vous n’avez pas trouvé les clés. »

Monsieur MUNYEMANA donne sa version. La décision de récupérer les clés a été prise le 22 avril quand il a appris que des Tutsi avaient été tués. Il a alors averti BWANAKEYE par téléphone. Ce dernier lui a répondu qu’il ne pouvait se déplacer car il était assiégé par des miliciens à son domicile. Il fera son possible pour trouver quelqu’un de confiance pour lui apporter les clés. Le soir, l’accusé va se rendre chez MAMBO accompagné par KUBWIMANA car il ne sait pas où habite le conseiller de cellule (NDR. Peut-on le croire quand on sait qu’il est à Tumba depuis plusieurs mois?) MAMBO n’a pas de clé. Ce n’est que le lendemain que BWANAKEYE finira par lui faire parvenir une clé du bureau de secteur. A partir de là, il ouvrira la porte aux réfugiés.

Monsieur le président lui fait remarquer qu’il aura fallu quand même 48 heures pour obtenir cette clé! Il fait remarquer à l’accusé que le conseiller de secteur et Celse GASANA ne donnent pas la même version.

Monsieur MUNYEMANA poursuit. Il a gardé la clé jusqu’au 15 mai, une semaine après avoir repris son travail à l’hôpital. C’est le 14 avril que le groupe de réfugiés auquel appartient Vincent KAGERUKA arrive au bureau de secteur. L’accusé utilisera la clé à quatre reprises. La pluie obligeait les réfugiés à venir au bureau de secteur et lorsqu’ils arrivaient, une nuée de miliciens les entourait.

Le président s’étonne que les Tutsi se réfugient de leur plein gré dans un bâtiment administratif alors que l’administration a demandé l’extermination des Tutsi.

Un juré s’étonne à son tour que MUNYEMANA, médecin, tarde à aller secourir les réfugiés Alerté qu’il y a des blessés par RUGANZU, il aurait dû les assister . Il y avait des femmes violées! (NDR. A Tumba, de nombreux médecins avaient élu domicile. Aucun ne s’est porté au secours des réfugiés! Beaucoup ont même participé au génocide)

Madame l’assesseure fait remarquer qu’il fallait « avoir des tripes », « du cœur » corrige-t-elle.  L’accusé avait peur! Comment est-il accueilli par les miliciens?  « J’explique que j’ai la clé et je dis que je viens de la part de BWANAKEYE » . Et les gendarmes qui habitent chez lui? Leur a-t-il demandé d’intervenir?  « Ils partent au travail. Je n’avais pas d’ordre à leur donner. C’est comme si je donnais des informations à des gens qui les avaient déjà! » répond l’accusé.

Maître Foreman demande pourquoi attendre le 22 alors qu’il y a des morts le 21? MUNYEMANA répond que le 21 il n’y a pas de morts au bureau de secteur.  Les tueries commencent la nuit du 21 au 22. Les morts du 21 sont des morts du quartier.

« Le 21 et le 22 avril, que faites-vous? », demande maître TAPI. Sosthène MUNYEMANA est parti faire des courses à Rango d’où il rentre vers 10h30. Pendant les premières attaques, il reste chez lui. Il pense avoir entendu un coup de feu. Des tueurs se présentent chez lui armés de massues, de machettes, fouillent la maison et demandent les cartes d’identité des occupants. Il en est « choqué ».  Le 22, il reste chez lui, sort de temps en temps devant son portail. Quant à BWANAKEYE, il n’avait pas beaucoup d’autorité sur les miliciens. Et MAMBO? Il n’avait pas encore pris la mesure de son implication dans le génocide.

Les avocats des parties civiles font remarquer à l’accusé qu’il a beaucoup varié dans ses déclarations concernant la remise des clés, que ce soit devant l’OFPRA, la CNDA ou devant la cour. Si c’est à lui que BWANAKEYE a remis les clés, c’est parce qu’il l’avait appelé. Monsieur le président insiste et demande à monsieur MUNYEMANA ce qui se passe alors. « Je l’appelle pour lui dire que j’ai fait rentrer des gens dans le bureau de secteur et il me répond qu’il passera aujourd’hui ou demain. Il ne venait jamais le jour même. »

Les avocats de la défense lui demandent de sortir de l’analyse. « On veut des faits précis » insiste maître BOURG. Quant à maître DUPEUX, il insiste pour faire dire à l’accusé que les personnes auxquelles il ouvrait la porte éprouvaient une grande satisfaction, ils étaient contents de ne plus être exposés aux miliciens.

Lorsque BWANAKEYE arrivait enfin le matin, il était seul en voiture. Il convoque les responsables de cellules qui convoquent à leur tour les habitants. Il commençait alors à s’enquérir de la situation dans chaque cellule. Pour arriver au constat que les réfugiés ne pouvaient pas retourner chez eux. Et tout cela en présence des réfugiés et des miliciens. (NDR. Il semble bien que MUNYEMANA construise là un récit qu’il invente au fur et à mesure. Cette description est incompréhensible. Comment imaginer de telles réunions dans ces conditions?)

BWANAKEYE va alors se rendre chez l’accusé pour appeler le bourgmestre KANAYABASHI qui envoie alors une camionnette conduite par un policier communal. Les réfugiés seront alors conduits au bureau communal à Butare « pour y être protégés» . C’est en tout cas ce que MUNYEMANA imagine.

Le président de poser une nouvelle question: « On vous a fait croire qu’on les protégeait. Vous avez été dupés? »

Sosthène MUNYEMANA: « C’est possible, je le concède. C’est dommage pour moi (NDR. Pas pour les victimes?) C’est un signe de naïveté. » Le président reprend la balle au bon, avec une pointe d’ironie: « Vous avez été un naïf au grand cœur? » « Je ne m’attendais pas à ce qu’on les tue » se contente de répondre l’accusé.

Comment peut-il affirmer que le bureau de secteur était un lieu de refuge? « Je voyais le soulagement dans leurs yeux (sic). J’ai fait confiance à KANYABASHI. » Mais comment faire une confiance aveugle au bourgmestre qui avait fait  allégeance au gouvernement? Pour toute réponse, MUNYEMANA dit qu’il ne connaissait pas les propos de KANYABASHI, il n’avait pas entendu son discours. « Je suis un citoyen qui tente de sauver des gens. Je savais que BWANAKEYE n’était pas un extrémiste » finira-t-il pas ajouter. Monsieur le président lui rappelle que BWANAKEYE a été condamné, tout comme KANYABASHI. Et lui, dans cette chaîne?

Monsieur le président a beau lui tendre des perches, il ne les saisit même pas. Il se demande comment le bureau de secteur ait pu être un refuge alors qu’il est entouré de miliciens. Pourquoi les Tutsi seraient-ils en sécurité alors que tout est mis en place pour les pourchasser? « Je vous demande de nous aider à comprendre. Peut-être que vos avocats vont vous arracher la vérité aux forceps? » poursuit le président (Sourires sur les bancs des jurés et des parties).

Monsieur le président nomme alors tous les témoins qui ont parlé du bureau comme un lieu de détention. Vingt et un l’affirment, et l’accusé, après chaque déclaration lue par monsieur SOMMERER, dit que c’est faux! Seuls cinq témoins diront le contraire.

La « maison 60 ».

La maison 60, c’est le lieu où les Tutsi de Rango ont été rassemblés après leur arrestation le 17 mai 1994. Ils seront ensuite conduits sous escorte au bureau de secteur. De là, on les transportera au bureau communal à Butare. On ne les reverra plus. Des témoins disent que Sosthène MUNYEMANA était présent lors de leur transfert. Certaines de leurs épouses hutu tenteront bien de les ravitailler. « Si Sosthène n’avait pas donné les clés » dira l’une d’elle, « nos maris auraient pu s’enfuir. »

Monsieur MUNYEMANA n’a jamais entendu parler de cette « maison 60 ». Quant à Rurangwa qui l’accuse, il ne le connaît pas et s’il l’a accusé en Gacaca, c’était pour obtenir une réduction de peine. Et d’ajouter: « Au début, je pensais qu’ils étaient venus de leur plein gré. C’est au cours de l’instruction que j’apprendrai que certains ont été amenés pour y être enfermés. » Peut-on le croire?

Conditions de vie dans le bureau de secteur.

Lors de la confrontation avec Vincent KAGERUKA, seul Tutsi à avoir survécu en se cachant sous le camion qui, du bureau communal, emportait les réfugiés vers un lieu inconnu, ce dernier évoque son séjour au bureau de secteur en disant qu’ils étaient dans «l’œil du cyclone» . (NDR. Puis-je me permettre une note d’humour? Monsieur le président, emporté par son élan, précise à l’usage des jurés que, selon la mythologie, les Cyclopes étaient des êtres monstrueux avec un œil unique au milieu du front.)

Monsieur MUNYEMANA intervient alors à propos de Vincent KAGERUKA: « J’ai exposé ce que j’ai pu faire pour lui.. J’ai ouvert la porte quand il est entré. Mais c’est BWANAKEYE qui a ouvert quand il est sorti. Si je n’avais pas ouvert la porte pour les laisser entrer, ils auraient été tués sur place. » Quant à l’expression « Comité organisateur du génocide », c’est une expression inventée par les rescapés après le génocide. 

« Les Tutsi massacrés au secteur pendant la nuit, vous n’avez rien entendu » interroge madame l’assesseure. « J’ai entendu des cris, mais du côté de mon domicile » répond l’accusé. « Toujours le même processus de décision, ça ne vous paraît pas louche » interroge un juré. « Cela s’est passé comme ça, Je pensais qu’ils seraient en sécurité là où on les conduirait. »

Pour monsieur MUNYEMANA le bureau de secteur était bien un lieu de refuge. Il le confirme sans cesse. Concernant le ravitaillement des réfugiés, là aussi il a changé de version. Quant aux menaces, finalement il semblerait que ce soit lui qui en subisse le plus. Et d’ajouter: « J’avais donné l’adresse de mon épouse à mes enfants pour le cas où je mourrais. Je comprends la douleur des réfugiés. Tous les jours je me souviens de quelque chose de nouveau ». On lui fait alors remarquer que, devant l’OFPRA, il n’avait pas évoqué de menaces.

Et lui revient soudain, comme par miracle, un nouvel épisode. (NDR. Pendant la pause, la famille MUNYEMANA semblait être en conciliabule avec leur avocate, probablement à l’origine de ce nouveau souvenir à rapporter devant la cour.)

« Ma fille m’a rapporté un événement que j’avais oublié. Des miliciens sont venus chercher notre employée tutsi. Ils ont mis ma fille à genoux, l’ont menacée. J’entends des cris, je sors. Je trouve ces miliciens qui lui marchent sur les mains. J’interviens: S’il vous plait, c’est ma fille. Je négocie et ils repartent toujours en menaçant. J’ai alors décidé d’emmener mes enfants chez le parrain de mon second fils à Kigembe. »

Réaction du président, malicieux: « La psychologue vous a ébranlé hier. Votre avocate vous a secoué? »

Monsieur MUNYEMANA craque pour la première fois: « Pour moi, c’est un double drame. Vous vous rendez compte? Depuis 28 ans! » Il essuie quelques larmes.

Maître FOREMAN qui souhaite lui poser une question patiente quelques instants, que l’accusé se remette. Il veut savoir si les premiers réfugiés du bureau de secteur étaient venus de leur plein gré. C’est ce qu’il a toujours dit. Par contre, pour ceux qui sont arrivés de Rango, il était clair qu’ils étaient conduits par des miliciens. Mais il n’y avait pas de blessés dans ce groupe. Il n’a pas parlé de blessés ou de femmes violées. Il n’avait évoqué que des blessures superficielles. Maître DUPEUX se dit stupéfait de cette intervention de son collègue FOREMAN.

L’avocate générale veut préciser les choses: « Des blessures superficielles? Ce n’est pas ce que dit Vincent KAGERUKA.  Vous étiez en lien avec d’autres professionnels de santé, la Croix Rouge, vous auriez pu organiser le ravitaillement? Deux ou trois jours sans manger. Comment faisaient ceux qui n’avaient pas de femme hutu? Vous faites confiance au conseiller, au bourgmestre, vous n’avez pas entendu de discours, vous n’avez pas entendu l’appel à la pacification, vous avez l’impunité accordée aux tueurs, devant le juge vous reconnaissez que les autorités cautionnaient les tueries. Vous confirmez tout cela? »

L’accusé confirme. Et de rappeler le cas de SYAMBA que sa « ronde du Bonheur » avait arrêté et qui, libéré, était revenu les menacer. Il n’a jamais su qui l’avait libéré.

Les avocats de la défense mettent la pression sur leurs clients. Ils veulent des faits précis, pas d’analyse. Ils vont le bousculer concernant les conditions dans lesquelles il s’est rendu au bureau de secteur le 14 mai lorsqu’il a entendu des cris suite à l’arrivée de Vincent KAGERUKA. Ce sont les cris des miliciens: « Le roi de Tumba! Le roi de Tumba! » qui l’ont alerté. Combien de fois s’est-il rendu au bureau? Deux fois ce jour-là. De toute façon, s’il ne les avait pas enfermés, ils seraient morts. C’est ce qu’il avait déjà dit.

Monsieur MUNYEMANA sera ensuite interrogé sur son emploi du temps, sur sa reprise du travail à l’hôpital. Il donne des précisions sur ses activités mais comme il n’est pas poursuivi pour les tueries à l’hôpital, malgré un certain nombre de témoignages, il n’est pas nécessaire de passer trop de temps sur le sujet.

L’auto-défense civile.

Se rapportant à l’ouvrage de monsieur GUICHAOUA, Butare, la préfecture rebelle, monsieur le président rappelle à l’accusé que son nom apparaît comme membre de cette organisation. L’accusé écrira à l’auteur pour qu’il rectifie ce qu’il considère comme une erreur. Il n’obtiendra pas de réponse. Monsieur MUNYEMANA attribue cette mention à son ancien ami James. Personne n’arrivera à le convaincre que ce n’est probablement pas le cas. Il n’était pas membre de ce comité. Il n’aurait appris son existence qu’à l’OFPRA. (NDR. Encore une déclaration difficile à croire. Mais c’est sa défense.) Même si son nom apparaît dans un dossier concernant son collègue RWAMUCYO, ou dans un autre document remis par le juge belge VANDERMEERSCH concernant la formation qu’auraient suivie un certain nombre de tueurs de Tumba, il le conteste. Maître Foreman s’étonne que l’accusé ne découvre ces révélations qu’en lisant GUICHAOUA alors que le sujet a été abordé lors de la réunion du 14 mai.

Maître BOURG vole au secours de son client: « Monsieur MUNYEMANA, vous êtes partout. On va bientôt dire que vous étiez aussi à la RTLM. » Et puis, son client n’a jamais été interrogé sur ce sujet. C’est un document truffé d’erreurs. KANYABASHI n’a jamais été condamné pour cela. La seule source, c’est l’OFPRA, l’OFPRA, l’OFPRA…

La réunion du 14 mai 1994 à l’Université.

Le président résume le contenu de cette journée. Les propos tenus lors de cette rencontre avaient pour but de mobiliser les intellectuels. Il cite l’Agenda de Jean KAMBANDA versé par le Parquet sur lequel il est mentionné que les accords d’Arusha n’ont aucune valeur[7]). Le discours de RWAMUCYO est aussi mentionné: l’intervention du Cercle des Républicains qui appelle à l’extermination des Tutsi, sans oublier le discours de KAREMERA, au nom du MDR, qui adhère aux positions de KAMBANDA et de RWAMUCYO. Monsieur MUNYEMANA est appelé à donner sa réaction.

« Il n’y a aucune ambiguïté, commence l’accusé. Je sens que c’est la dérive. Ces discours sont inacceptables. Ce jour-là, j’ai eu la confirmation de ce que j’avais vu. Je ne souscris pas aux discours de KAREMERA. Je ne comprends pas qu’il s’exprime au nom du Cercle des Intellectuels du MDR. Si cette réunion était organisée par le MDR, je n’étais pas au courant. »

Maître Foreman s’étonne que, dans le journal DE MORGEN, il se soit porté garant de KAREMERA. L’avocate générale se propose de lire le début du discours de Jean Kambanda. Il remercie les intellectuels pour leur soutien à la ligne de conduite du gouvernement et leur demande de continuer à aider ce gouvernement. Et de remercier  le Cercle des Intellectuels de Butare. (NDR. Cf la motion de soutien au gouvernement intérimaire). A noter que si Sosthène MUNYEMANA ne prononce pas de discours lors de cette rencontre, il ne manifeste pas non plus son désaccord. Il se serait tu car il ne soutenait pas ces discours. Et l’avocat du CPCR d’élever la voix; « Vous voulez nous faire croire que vous n’êtes pas au courant de l’organisation de cette réunion? »

Maître DUPEUX résume la position de son client: « Vous entendez ces discours. Vous confirmez que vous ne souscrivez à aucun? » Monsieur MUNYEMANA ne peut que confirmer.

L’aide apportée par MUNYEMANA à des gens de Tumba.

Un certain nombre de personnes ont manifesté leur soutien à l’accusé. Monsieur le président en donne les noms et les propos qu’ils ont tenus. Ce qui amène l’accusé à réagir: « Cela représente quelques bonnes actions que j’ai pu faire. Il y en a peut-être d’autres mais ce n’est pas le nombre qui compte, c’est l’intention. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir évoqué ces témoignages. »

Madame l’avocate générale souligne que Alison DES FORGES évoque le cas de tueurs qui ont sauvé des Tutsi parce qu’ils connaissaient les personnes ou qu’elles faisaient partie de leur famille. L’accusé se défend en disant que ce n’est pas son cas. Il n’a rien à voir avec ce que dit l’auteur d’Aucun témoin ne doit survivre.

Maître DUPEUX ne peut rester sans réponse: « Le seul fait qu’un Hutu ait sauvé des Tutsi le fait considérer comme un génocidaire. Je trouve cela incompréhensible. » (NDR. Ce n’est pas vraiment cela que l’avocate générale voulait dire. Simplement reconnaître l’existence de ce que certains observateurs ont appelé « les tueurs-sauveteurs» )

La fuite de monsieur MUNYEMANA.

Monsieur le président reprend les circonstances de la fuite de l’accusé fin juin 1994. Prévue le 15 juin avec l’aide de son ami Straton NSABUMUKUNZI, ministre de l’élevage dans le gouvernement KAMBANDA, ce départ ne se fera finalement que le 22. Après être passés par Gikongoro et Cyangugu, ils rejoindront Gisenyi où ils vont rester trois jours. Monsieur MUNYEMANA dit avoir logé à l’hôtel Palm Beach dont il a gardé précieusement des factures de consommations. En réalité, il a occupé la maison de son ami avec ses enfants et la fille de ce dernier. En produisant ces factures et le tampon des autorités congolaises sur son passeport, il contredit ceux qui prétendent qu’il était encore à Butare lors de la visite pastorale du cardinal ETCHEGARAY. Des discussions animées  n’arriveront pas à en savoir davantage. Le périple du cardinal de Butare à Gisenyi est aussi évoqué. Maître DUPEUX précise que si la défense a fourni de telles factures, c’était bien pour contrer ceux qui signalent la présence de son client à Butare lors de la visite du cardinal.

Quant à savoir qui il fuyait, c’est un autre mystère. Il a dit plusieurs fois qu’il craignait les militaires qui l’avaient menacé. Il n’a pas organisé de fête de départ comme l’a prétendu un témoin. S’il a donné des dates différentes, c’est vrai, mais il s’est trompé. Au passage, il conteste l’expression « génocide des Hutu contre les Tutsi ». Pour le FPR, « le génocide est un fourre-tout » . Pour lui,  «  le génocide a été commis par des génocidaires » . Les massacres ont été commis par deux camps extrémistes. (NDR. On n’est pas loin d’une forme de négationnisme).

Il lui est rappelé que dans un courrier de novembre 1994, il a écrit que deux camps s’opposaient. Hutu et Tutsi se mariaient assez souvent entre eux. Par contre, la troisième composante de la population rwandaise, les Batwa, « était restée pure » (sic)

Les faux témoignages.

Monsieur le président, selon sa façon habituelle de conduire les débats, évoque les étapes de la procédure et les éléments qui s’y rapporte:

Document du Haut-Commissariat aux Nations Unies considéré comme un faux, l’activisme des époux GAUTHIER, intervention de l’accusé à Bordeaux dans laquelle il ne parle jamais de génocide et dénonce le nouveau pouvoir, « une dictature qui en remplace une autre » , KAGAME dictateur… Des témoins ont dénoncé l’existence de faux témoignages. On parle de « procès politique », interventions des témoins de la défense qui vont dans le même sens (REYTJENS/SWINNEN/RUSESABAGINA…), positions de Human Rights Watch…

Monsieur MUNYEMANA ne peut s’empêcher de remercier de nouveau le président pour les précisions qu’il vient d’apporter. Pour ce qui le concerne, il s’agit bien d’un procès politique. Être intellectuel est un motif suffisant pour être mis en cause. Et de rappeler l’assassinat de certains membres de sa famille par le FPR.

Maître FOREMAN  se dit choqué du rôle qu’on attribue au couple GAUTHIER et il abat une dernière carte: la lettre que MUNYEMANA a envoyée à Éric NZABANDORA, le fils rescapé de Maria NYIRAROMBA et remise à Alain GAUTHIER lors d’un séjour à Butare au début des années 90. L’avocat du CPCR va lire le début de ce courrier  daté du 10 octobre 2001:

« Je prends tout ce temps pour t’écrire, car j’ai su que tu avais souhaité m’écrire. Peut-être as-tu eu peur, croyant que dans cette lettre il serait nécessaire de tout détailler. Je voulais alors te rassurer car dans cette lettre il ne serait pas nécessaire de tout détailler, ni d’aller chanter sur la colline que tu m’as écrit. Dans cette lettre tu pourras juste dire ce qui suit: tu ne sais rien de mal sur moi durant les jours de 1994, et que ce que tu as dit avant c’était pour te racheter.

Ainsi, je pourrai le signaler avant que quelqu’un d’ici vienne faire l’enquête auprès de toi pour les jours à venir, pour te poser des questions dans le secret et que ces autres ne te mettent la pression (…) Tout cela fera que le dossier sera vite bouclé.

Je te préviens de tout cela pour que tu ne continue pas à t’enfermer dans le mensonge, jusqu’à ce qu’ils viennent te demander de venir m’accuser devant tout le monde car cette fois-ci le mensonge dans lequel tu t’es enfermé sera divulgué aux yeux de tous et là tu aurais des problèmes. Car en réalité j’ai déjà montré suffisamment de preuves, ils savent donc que beaucoup de choses ont été inventées. (…) Moi; alors, je te conseille de suivre le chemin que je t’ai indiqué plus haut, et que tout cela n’arrive pas. »

Maître FOREMAN ajoute que le jeune Éric devait se rendre auprès d’un membre de la belle-famille de l’accusé pour recevoir une somme d’argent. Avec Alain GAUTHIER, il avait prévu de se rendre au rendez-vous mais qu’il avertirait la police. Alain GAUTHIER apprendra, deux ou trois mois plus tard, lors d’un nouveau voyage à Butare, qu’Éric était mort subitement. Il avait trente ans!

Monsieur MUNYEMANA demande de contextualiser ce courrier. Il le met en rapport avec le témoignage d’Éric dans le document d’African Rights, « Sosthène MUNYEMANA, le boucher de Tumba » dans lequel le témoignage d’Éric était rapporté. Et d’ajouter, comme si cela pouvait justifier un tel courrier, que sa belle-sœur qui gérait sa maison, logeait chez Maria, la maman d’Éric lorsqu’elle venait à Tumba.

Cette dernière journée consacrée à l’interrogatoire se termine dans une certaine agitation. Après qu’un autre avocat des parties civiles eut fait remarquer à l’accusé que, politiquement, après le génocide il ne représentait plus rien, monsieur le président suspend l’audience.

Une modification du calendrier est annoncée. Il n’y aura pas d’audience le vendredi matin. L’avocate générale, qui se retrouve désormais seule, commencera son réquisitoire l’après-midi et le terminera lundi matin 18. L’après-midi de la même journée sera réservée aux plaidoiries de la défense. Le délibéré et le verdict se tiendront bien comme prévu le mardi 19 décembre. (A suivre…).

Dossier réalisé par Alain Gauthier, président du CPCR ; Margaux Malapel, bénévole ; et Jacques Bigot, notes et présentation