Procès Munyemana pour génocide à Paris, 24 novembre 2023. J9

Emplacement de la fosse commune où étaient jetés les corps des victimes du bureau de secteur. C’est dans cette fosse que François KARANGANWA a été jeté aussi.

           Audition de Jean-Marie Vianney GASHUGI.

           Lecture par le président de l’audition de François BWANAKEYE, décédé.

           Audition de Mathias Nsansabahizi, détenu.

           Lecture de l’audition de Vincent KAGERUKA par le président, seul rescapé du bureau de secteur de Tumba, récemment décédé.

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Audition de monsieur Jean-Marie Vianney GASHUGI, en visioconférence de Kigali. Témoin cité à la demande de l’association Survie.

Monsieur GASHUGI est un rescapé du génocide qui a perdu de nombreux membres de sa famille à cette période. Le témoin habitait à Tumba à 300 mètres du domicile de MUNYEMANA. Il déclare que ce dernier était membre du MDR Power: il l’a aperçu lors d’un meeting brandir un signe de ce parti. Il témoigne aussi l’avoir vu aller à des réunions chez RUGANZU, avec REMERA, MUREKEZI Vincent, MURERA Fidèle et d’autres encore, réunions auxquelles les Tutsi n’avaient pas accès. Il suppose donc que ces réunions avaient pour objet de préparer le génocide.

Monsieur GASHUGI a alors considéré qu’il était clair que la situation avait changé et avait décidé de partir. Les massacres avaient commencé dans les collines environnantes et ses voisins avaient changé d’attitude. C’est grâce au fait qu’il se soit enfui très tôt, le 18 avril 1994, qu’il a survécu. 

Il n’a ainsi pas assisté à la réunion du 17 avril car il avait peur et préparait son départ. Il lui a néanmoins été rapporté que MUNYEMANA y avait pris la parole pour dire que des membres de la famille de sa femme étaient venus se réfugier à Tumba.

Lecture de l’audition de monsieur François BWANAKEYE par le président.

Monsieur BWANAKEYE est aujourd’hui décédé, mais il a auparavant été entendu à plusieurs reprises sur les évènements qui se sont déroulés à Tumba pendant le génocide.

Il était à l’époque le conseiller du secteur de Tumba jusqu’à ce qu’il soit écarté de ce poste par Siméon REMERA lors de la réunion du 17 avril qu’il avait convoquée. Cette réunion avait pour but de faire en sorte que la violence ne s’étende pas à Tumba, mais que REMERA, MUNYEMANA, MABOMBOGORO et d’autres l’ont dessaisi. Il rapporte dans son témoignage que MUNYEMANA a pris la parole pour parler de réfugiés fuyant les Inkotanyi et pour appeler la population à « travailler », à faire ce qui se faisait dans d’autres communes à savoir des tueries. Son intervention aurait galvanisé la population et les massacres ont ainsi commencé le 21 avril. Après cela, BWANAKEYE se serait cloîtré chez lui.

Ce témoin rapporte que l’accusé enfermait des gens dans le bureau de secteur dont il avait pris la clé chez RUGANZU.

Audition de monsieur NSANSABAHIZI, détenu cité par l’accusation, en visioconférence de Kigali.

Avant d’être entendu, le témoin consulte longuement la liste des parties civiles. Il en connaît quelques-unes.

Entendu à trois reprises par les enquêteurs français, monsieur le président demande au témoin ce qu’il peut dire sur l’accusé.

« Sosthène MUNYEMANA a joué un rôle dans le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. entre le 20 et le 24 avril » commence monsieur Nsansabahizi. Chauffeur du bourgmestre Joseph KANYABASHI, le témoin évoque un des faits dont il se souvient. Joseph HITIMANA, alias RUGANZU, avait appelé le bourgmestre de Ngoma. Le chauffeur dit avoir été accompagné d’un certain Jean-Baptiste GAHAMANYI et de Cyprien, un journaliste. Arrivés au bureau de secteur de Tumba, il y retrouve Sosthène MUNYEMANA, RUGANZU, Siméon Remera et Spratus Sibomana. A côté d’eux gisent les cadavres de cinq personnes qui venaient d’être exécutées, devant la maison de Charles GAKWAYA, tout près de chez RUGANZU. A cause des corps, le chauffeur ne pouvait poursuivre sa route.

Sosthène MUNYEMANA portait une épée, entouré d’une multitude de gens munis d’armes traditionnelles. Le bourgmestre a demandé ce que ces corps faisaient sur la route: il fallait les débarrasser par peur des satellites qui pouvaient prendre des photos gênantes. RUGANZU a fait savoir que derrière le domicile de François KARANGANWA il y avait une fosse très profonde dans laquelle on pouvait jeter les corps. Sosthène MUNYEMANA a donné des consignes aux gens qui étaient là.

Ensuite, KANYABASHI et Cyprien se sont rendus au domicile de MUNYEMANA chez qui ils sont restés près d’une demi-heure. Le chauffeur est resté devant la maison du médecin: des policiers se tenaient à l’arrière du véhicule. De retour à Ngoma, monsieur NSANZABAHIZI interpelle le bourgmestre: « Pourquoi n’avons-nous pas arrêté ces gens qui avaient participé aux massacres? Nous pouvions les arrêter et les emprisonner. » Monsieur KANYABASHI lui a conseillé de ne pas s’occuper de cette affaire: « C’est planifié, les Tutsi doivent être tués. » Le chauffeur est alors rentré chez avec un brigadier, tout en confiant à ce dernier qu’ils avaient commis une erreur en n’arrêtant pas les tueurs. Mais le responsable, c’était KANYABASHI.

Le témoin évoque un autre souvenir concernant Sosthène MUNYEMANA. « Je le voyais souvent passer avec des gendarmes, dont un major, commandant adjoint de la brigade de Butare. L’accusé portait toujours une épée à la ceinture et un long manteau qui le couvrait jusqu’aux genoux. Il portait aussi un chapeau qui ressemblait à ceux que portent les Chinois. Il était escorté par un jeune homme qui était armé d’un fusil de type R4: c’était Innocent, le fils de Félicien KUBWIMANA.

Monsieur le président demande au témoin s’il confirme le fait que Sosthène MUNYEMANA a accouché une femme hutu de Rango. C’est vrai, c’est lui-même qui conduisait la voiture qui transportait l’accouchée. C’était le 25 mai 1994.

Monsieur le président fait remarquer au témoin que lors de son audition du 30 mars 2010 il n’avait pas parlé de Cyprien mais de Faustin MUNYERAGWE, le directeur de la prison de Karubanda afin de faire enterrer les corps par des prisonniers, sur ordre de KANYABASHI. Le témoin avoue s’être trompé lors de son témoignage, à l’époque. Le directeur de la prison, en confrontation, avait confirmé sa présence. Ce dernier avait refusé de faire enterrer les corps par des prisonniers pour des raisons administratives: il avait besoin d’une réquisition du préfet. Le témoin profite d’une question du président pour redire que l’accusé avait un garde du corps qui l’accompagnait partout. Vincent MUREKEZI, un détenu de Nyarugenge était là aussi.

Sur question d’un avocat des parties civiles, le témoin rappelle qu’il a bien été condamné à la réclusion à perpétuité. Il a plaidé coupable pour avoir participé aux massacres de Kabakobwa (NDR. Pour lesquels monsieur MUNYEMANA a bénéficié d’un non-lieu), pour avoir dénoncé des Tutsi qui se cachaient chez lui et pour le meurtre d’un jeune Hutu, Frédéric, avec lequel il avait eu un différent. En plaidant coupable, il ne comptait pas sur une remise de peine car on l’avait aussi accusé de viol. Il connaît bien MUNYANEZA, son codétenu à Huye.

Madame Sophie HAVARD, l’avocate générale, fait remarquer que le témoin, entendu six fois, avait été constant concernant le rôle de Sosthène MUNYEMANA lors de la venue de KANYABASHI. Si le directeur de la prison ne signale pas la présence de MUNYEMANA, c’est parce qu’il ne le connaissait pas. Le témoin confirme.

Maître DUPEUX, pour la défense, rappelle les propos de MUNYERAGWE: « Si je dis que ne connais pas Sosthène, c’est la vérité. »

« Vous avez dit qu’après avoir vu les cadavres, poursuit l’avocat, vous auriez suggéré au bourgmestre d’arrêter les tueurs. C’est la première fois que vous dites cela. Pourquoi aujourd’hui? Si vous l’aviez dit plus tôt, cela aurait pu plaider en votre faveur! » (NDR. Madame l’avocate générale fait remarquer que ce n’est pas la première fois que le témoin tient de tels propos.)

Le témoin de répondre:  «Je vous ai dit que je ne suis pas innocent. J’ai plaidé coupable et demandé pardon. »

Avant la suspension de l’audience, la parole est donnée à monsieur MUNYEMANA. Il conteste avoir été présent aux côtés de Joseph KANYABASHI, comme l’affirme le témoin. « Du 20 au 22 avril, j’étais confiné chez moi, je n’ai pas bougé de la maison. Je n’ai même pas entendu dire que le bourgmestre de Ngoma soit venu à Tumba. » Et de poursuivre, sur question de la défense: « Je n’avais pas d’épée, je ne me suis jamais accoutré de la façon dont on me décrit. » Ce que conteste madame HAVRAD, l’accusé est bien sorti de chez lui pour aller au marché de Rango.

L’après-midi va être consacré à la lecture des auditions d’un témoin que les parties civiles regrettent de ne pouvoir entendre: Vincent KAGERUKA, le seul rescapé du bureau de secteur de Tumba, réfugié en Norvège, est récemment décédé. 

Pendant près de 2h30, monsieur le président Marc Sommmérer va lire les différentes auditions ou documents qui concernent monsieur Vincent KAGERUKA, malheureusement récemment décédé.

Le premier document est celui établi par la gendarmerie de Butare, non daté. Est évoquée la réunion du 17 avril 1994 au cours de laquelle est prise la décision d’installer des barrières pour contenir les attaques éventuelles de l’ennemi. On désigne des chefs de rondes: Sosthène MUNYEMANA est nommé chef de la cellule de Amajyambere. Lors de cette réunion, l’accusé va créer la panique dans la population en annonçant qu’il a accueilli chez lui des Hutu venus de la région dont sa femme est originaire et que les Inkotanyi ont commencé à tuer les Hutu.

Le témoin, caché jusqu’au 14 mai, Vincent KAGERUKA va être arrêté et conduit au bureau de secteur. Appelé, Sosthène MUNYEMANA serait arrivé avec les clés: « il était très content » précise le témoin. Pendant la nuit, d’autres Tutsi vont être amenés au bureau de secteur. Le 17 mai, Sosthène MUNYEMANA est revenu au bureau avec REMERA, RUGANZU et BWANAKEYE. On demande aux prisonniers de nettoyer la salle dans laquelle les Tutsi sont enfermés. C’est le 19 mai qu’ils seront transférés à la brigade de gendarmerie de Butare.

Un second document qui précise que l’accusé a été nommé responsable de son quartier est remis par maître William BOURDON, alors avocat des parties civiles dans cette affaire. On y évoque trois clés du bureau de secteur remises à Sosthène MUNYEMANA.

Selon le troisième document, le dossier établi par l’association African Rights, il est dit que Vincent KAGERUKA part se cacher le 21 avril alors qu’à l’aide d’un haut-parleur on incite les Tutsi à quitter leur cachette. (NDR. A noter que la plupart des témoins cités par ce document n’auraient pas reconnu les propos qu’on leur attribue et les juges français ont décidé de l’écarter. Par contre, à aucun moment on ne donne le titre de ce dossier: « Sosthène MUNYEMANA, le boucher de Tumba.« ) Le témoin part se cacher près de l’église pentecôtiste. Une personne lui promet de lui fournir à boire et à manger mais elle envoie trois tueurs à qui le témoin promet de l’argent qu’il doit aller chercher chez lui. Il est arrêté et conduit au bureau de secteur le 14 mai, comme rapporté dans le premier document. Sosthène MUNYEMANA serait arrivé et se serait réjoui de son arrestation. A 21 heures, l’accusé serait revenu pour enfermer d’autres Tutsi. Trois jours plus tard, l’accusé revient avec « ses amis », fait sortir tout le monde et oblige les Tutsi à nettoyer le local (NDR. Comme dit précédemment.) Transférés à la brigade de Butare, les Tutsi y sont enfermés jusqu’au 25 mai. Au moment où on demande aux Tutsi de monter dans le camion qui va les transporter sur le lieu de leur exécution, Vincent KAGERUKA se glisse sous le véhicule et s’évade. Caché dans une forêt, il survivra là jusqu’à l’arrivée des soldats du FPR.

Compte-rendu de l’audition du témoin entendu pendant trois jours par des enquêteurs norvégiens. On apprend que ses parents ont été tués le 23 avril, son frère ayant été exécuté le 19, « jour où (il) aurait dû mourir aussi. » On épouse va se réfugier avec leur enfant dans le quartier de Matyazo. Vincent KAGERUKA sera pasteur et sous-préfet de 1994 à 1998. Il créera un bureau d’étude dont il s’occupera jusqu’en 2000. C’est alors qu’il se réfugie en Norvège suite à des démêlés avec un militaire de haut rang à qui il aurait refusé un prêt. Il avait fini par se créer beaucoup d’ennemis au sein du FPR. Il avait été démis de ses fonctions de sous-préfet le 31 décembre 1998. « Avant la réconciliation avec les bourreaux, il voulait la justice » est-il précisé dans ce rapport. Il aurait eu ensuite des problèmes psychologiques et psychiatriques suite à des ennuis avec la police norvégienne.

On apprend quelques détails supplémentaires sur ce qu’il a vécu pendant le génocide. Le 21 avril, il voulait fuir vers le Burundi mais arrivé à Ndora il doit renoncer à son projet. Il veut alors se réfugier chez les religieuses Abizeramariya à Gisagara (NDR. Une congrégation religieuse locale moins importante que les Benebikira) mais elles refusent de l’accueillir. Il repart vers la commune de Shyanda et arrivé à l’église de Save (NDR. La première paroisse du Rwanda créée en 1990) mais se fait tabasser par des Hutu. Arrivé à Cyarwa, près de Tumba, il se cache dans des champs de sorgho. Le 27 juin, on le trouve caché dans un cimetière autour duquel des Interahamwe coupent les broussailles (NDR. La méthode utilisée par monsieur le président oblige à des « redites » tout en complétant les autres documents).

Sur Sosthène MUNYEMANA. C’était une connaissance mais pas un ami. Il existait entre eux une méfiance réciproque. Où il est dit aussi que les femmes tutsi se plaignaient du comportement de leur gynécologue. Certaines préféraient aller consulter à Kigali. Il était vu comme un extrémiste, considérait les Tutsi de l’intérieur comme complices du FPR. Lors de la réunion du 17 avril, il aurait joué un rôle important.

Sur Jean KAMBANDA. Ce dernier serait venu trois fois en avril chez l’accusé mais personne ne peut témoigner des propos qu’ils ont échangés. Jean KAMBANDA et Sosthène MUNYEMANA étaient connus comme des extrémistes hutu.

Le 17 avril, l’accusé s’est distingué par son intervention concernant la mise en place de « la sécurité », ce mot désignant la préparation du génocide. Cette réunion n’aurait duré qu’une demi-heure.

Son témoignage paru dans le document d’African Rights aurait été donné à Alison DES FORGES.

A la date du 6 mai, alors qu’il était caché dans un champ de sorgho, le témoin aurait reconnu MUNYEMANA à sa voix alors que ce dernier recherchait les Tutsi dans des maisons

Le 14 mai, jour de son arrestation, on voulait l’emmener vivant chez REMERA. Vincent KAGERUKA voit Sosthène MUNYEMANA en possession des clés du bureau de secteur. D’abord conduit au bar de RUGANZU, Remera chante l’arrestation « du roi de Tumba ». L’accusé est présent. Alors que ce dernier prétend avoir mis KAGERUKA à l’abri, ce dernier parle du bureau de secteur comme d’un « lieu de transit vers la mort » . Il est dit aussi que 8 Tutsi avaient d’abord été enfermés dans la maison appelée « N° 60 » avant d’être enfermés dans le bureau. 400 Tutsi auraient transité par le bureau de secteur. Le témoin conteste les propos qu’on lui prête dans le dossier d’African Rights.

Monsieur le président évoque ensuite la confrontation qui a été organisée entre l’accusé et KAGERUKA. L’accusé conteste toutes les déclarations du témoin. Jean KAMBANDA n’est jamais venu chez lui pendant le génocide (sic). Un seul point d’accord, selon MUNYEMANA: c’est bien lui qui a ouvert le bureau de secteur. Pour Vincent KAGERUKA, le bureau de secteur était « le couloir de la mort».

Monsieur MUNYEMANA intervient pour réfuter tout ce que le témoin a dit de lui. Un avocat des parties civiles lui rappelle ses déclarations successives concernant les clés du bureau: « J’ai toujours été le seul à détenir la clé du bureau de secteur », déclaration faite à deux reprises. Puis: « Je n’ai jamais remis la clé à qui que ce soit ». Enfin, en mars 2016: « Il y avait peut-être plusieurs clés. » Comment explique-t-on cette évolution? On n’obtiendra pas de réponse convaincante.

Maître DUPEUX tente de voler au secours de son client: « Qu’est-ce qui serait arrivé à Vincent KAGERUKA si vous n’aviez pas ouvert la porte? »

On se doutait de la réponse de l’accusé: «Il aurait été tué! » Dont acte. (Fin).

Dossier réalisé par Alain GAUTHIER, président du CPCR; Margaux MALAPEL, bénévole ; et Jacques BIGOT, responsable des notes et de la présentation