Génocide des Tutsi : une première personne reconnue coupable de génocide par la justice belge

Kigali: Ce Jeudi 19 décembre 2019, la cour d’assises de Bruxelles, a rendu un arrêt de culpabilité dans l’affaire Neretse Fabien. Cet ancien haut fonctionnaire rwandais a été reconnu coupable de génocide et crimes de guerre. Dans la journée qui a suivi, la cour a tenu une audience sur la peine au bout de laquelle elle a prononcé une peine de 25 ans de réclusion criminelle. Le procureur fédéral avait requis une peine de 30 ans, mais la cour a retenue comme unique circonstance atténuante l’âge avancé de Fabien Neretse qui a 71 ans. Cette condamnation intervient suite à une procédure pénale qui avait été engagée il y a plus de vingt ans, au Rwanda, en Belgique comme en France.

Le procès au fond devant la cour d’assises de Bruxelles avait commencé le 7 novembre 2019. Neretse était accusé de crime de génocide et de crime de guerre. Il lui était reproché d’être l’un des fondateurs de la milice Interahamwe et d’avoir joué un rôle décisif dans les massacres d’un nombre indéterminé de personnes identifiées comme des Tutsi et des hutus modérés. Il était en particulier tenu pour responsable, par l’accusation, de la mort de 11 personnes tuées le 9 avril 1994, à Nyamirambo, dont Claire Beckers de nationalité belge, tuée ensemble avec son Mari Isaïe Bucyana et leur Fille Katia. Il était également accusé d’un rôle dans les massacres commis à Mataba son village d’origine où il s’était replié vers le 16 avril 1994. Neretse avait plaidé non coupable à toutes les charges. Dans sa défense, il a dit à la cour qu’il ne partageait pas l’idéologie génocidaire, qu’il n’avait pas planifié ni participé au génocide. Il avait en outre fait valoir qu’il avait beaucoup d’amis Tutsi. Pendant 5 semaines la cour a entendu 120 témoins à charge et à décharge.

Dans le verdict rendu ce 19 décembre Neretse a été reconnu coupable de génocide pour s’être attaqué à un nombre indéterminé de personnes ciblées sur base de leur appartenance à l’ethnie Tutsi, avec l’intention de détruire leur groupe ethnique. Neretse a également était reconnu coupable de crimes de guerre en rapport avec la mort de certaines personnes ciblées dont Claire Beckers, son mari Isaie Bucyana, et leur fille Katia Bucyana, la mort de Colette Sissi, Grâce, Lily, et Jean de Dieu.

RAPPEL DE CERTAINES ETAPES DE LA PROCEDURE QUI ONT DEBOUCHE SUR LE PROCES

Fabien NERETSE avait été renvoyé devant la Cour d’Assises ensemble avec deux co-accusés Emmanuel NKUNDUWIMYE et Erneste GAKWAYA, mais, le 9 Octobre dernier, le juge de la Cour d’Assises de Bruxelles a rendu une décision ordonnant la disjonction d’affaires pour absence de lien de connexité entre les causes. Il résulte de cette décision la comparution d’un seul accusé – Fabien Neretse – dans le procès qui vient de s’écouler, tandis que ses deux anciens co-accusés feront l’objet d’un procès distinct, à une autre session de Cour d’Assises qui sera fixée à une date ultérieure.

Refus de correctionnalisation et renvoi devant la Cour d’Assises

Le 20 octobre 2017, la Chambre du Conseil devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles avait ordonné le renvoi de Fabien Neretse, Emmanuel Nkunduwimye et Erneste Gakwaya devant la Cour d’Assises, rejetant ainsi la demande du Procureur Fédéral de les renvoyer devant le Tribunal Correctionnel au lieu de la Cour d’Assises, demande qui était alors contestée aussi bien par la défense que par les parties civiles. La chambre avait invoqué comme motifs de sa décision, le degré de gravité des faits reprochés aux inculpés, la nécessité de soumettre les témoignages à la contradiction dans le cadre d’une procédure garantissant l’oralité des débats et l’impératif de bâtir une conscience sociale mondiale à travers le débat public et contradictoire.

Cette décision de refus de correctionnalisation, était ensuite devenue irrévocable suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle de Belgique – arrêt numéro 148/2017 du 21 décembre 2017, qui avait annulé les dispositions de loi précitée après l’avoir déclaré inconstitutionnelle, et partant, avait réaffirmé la compétence de la Cour d’Assises en matière de crime.

Un premier procès de « génocide »

Ce procès est le cinquième organisé devant la Cour d’Assises à Bruxelles concernant des faits liés au génocide des Tutsi au Rwanda, mais, c’est, en effet, la toute première fois qu’une Cour d’Assises belge s’est prononcé sur des faits qualifiés de « crime de génocide ».

Devant la Chambre du Conseil, la qualification de « crime de génocide » avait été l’objet de contestation par la défense qui, sur base du principe de non rétroactivité de la loi pénale, arguait que cette qualification ne pouvait pas être concevable car le génocide n’était pas encore incriminé par la législation belge au moment des faits en 1994. Cependant, la Chambre du Conseil a rejeté cet argument de la défense et pris une décision dans le sens inverse. Elle a estimé, en effet, que l’acte constitutif du crime de génocide était clairement considéré comme criminel en vertu du droit international en 1994, car des instruments internationaux suffisamment accessibles aux inculpés le condamnaient, notamment la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 qui explique de manière claire et précise les comportements constitutifs du crime de génocide.

Le verdict rendu ce 19 décembre par la Cour d’Assises de Bruxelles, marque un nouveau pas dans la jurisprudence liée au traitement du contentieux de génocide des Tutsi par les juridictions Belges. Neretse est la première personne reconnue coupable, par la justice Belge, du chef d’accusation de « génocide » dans les affaires relatives au Génocide des Tutsi au Rwanda.

Y-a-t-il des recours possibles

En Belgique, les décisions de la Cour d’Assises ne sont pas susceptibles d’appel. La seule voie de recours possible c’est le pourvoi en cassation. Fabien Neretse a donc la faculté d’user de cette voie de recours, mais il est à retenir qu’il s’agit d’une voie de recours extraordinaire, qui se limite uniquement aux questions de droit. Elle n’examine pas le fond de l’affaire et ne suspend pas l’exécution du jugement.

Cette note d’information est une communication du programme « Justice et Mémoire » qui vise à faciliter aux populations rwandaises la compréhension et la participation aux procès de génocide sur base de compétence universelle, et favoriser l’intégration des apports de ces procès dans la mémoire de la justice du génocide.

Ce programme est conduit par les organisations RCN Justice & Démocratie, PAX PRESS, Haguruka et Association Modeste et Innocent (AMI). Ce programme entend suivre la suite de la procédure et informer sur le déroulement de ces procès.

Ce programme bénéficie du soutien financier de la Belgique à travers la Direction générale au développement (DGD). Les diffusions du programme n’engagent pas la DGD. . (Fin)